Aux États-Unis, le mouvement de soutien à la Palestine prend de l’ampleur chaque semaine depuis le début de l’offensive d’Israël à Gaza. Les travailleurs de la santé sont parmi les acteurs les plus actifs de cette mobilisation. Horrifiés par la situation humanitaire à Gaza, dont le système de santé s’est effondré avec les bombardements israéliens et le blocus total de Gaza, de nombreux travailleurs de la santé bravent les menaces de répression institutionnelle et s’organisent pour apporter leur soutien aux Palestiniens.
Comme l’explique Mike Pappas, soignant et militant à Left Voice, la mobilisation des travailleurs de la santé américains, « est une réponse à l’appel lancé par les syndicalistes palestiniens et leurs alliés aux travailleurs de la santé du monde entier pour qu’ils se prononcent en solidarité avec leurs collègues en Palestine ».
Cortège du secteur de la santé dans les manifestations et comité de travailleurs à la base
Cet activisme passe en premier lieu par la constitution de cortèges de travailleurs de la santé et d’étudiants du secteur dans les manifestations, comme à New York, Los Angeles ou encore à Chicago. L’expression de ce secteur bénéficiant d’une large sympathie de la population offre un soutien de poids dans la lutte pour dénoncer le génocide en cours.
Autre élément décisif, les soignants cherchent à se structurer à la base. A New York, un comité des travailleurs de la santé de NYC pour la Palestine s’est constitué. Des militants de Left Voice (organisation sœur de Révolution Permanente aux États-Unis) mais aussi des activistes soignants de Black Lives Matter, des participants aux mobilisations de soutien à la Palestine de 2021, ou encore des travailleurs pour qui c’est la première expérience politique y prennent part.
Ce comité de travailleurs est à l’initiative de diverses actions et prises de position politiques importantes. L’objectif est d’organiser le soutien à partir des lieux de travail dans les hôpitaux, et le comité se donne pour tâche d’élargir et d’amplifier la mobilisation. Dans une déclaration datant de mi-octobre, signée par plus d’une centaine de travailleurs de la santé, le collectif explique ses motivations :
« Les mots ne peuvent pas exprimer combien nous sommes dévastés et désespérés pour le peuple de Gaza. Nos cœurs se brisent pour les patients en phase critique avec un accès de plus en plus limité à l’oxygène, à l’électricité, à de l’eau propre et à d’autres nécessités de base que nous tenons pour acquises en tant que travailleurs de la santé aux États-Unis. […] Alors que nous prenons soin de nos patients dans des établissements de santé bien éclairés, entourés du bourdonnement des moniteurs et du matériel médical, nous sommes parfaitement conscients que des milliers de Gazaouis font face à la perte de leur domicile, à des blessures, à la maladie et à la mort en raison des frappes aériennes israéliennes et du siège meurtrier. Ces circonstances sont aggravées par le blocus de 16 ans qui a laissé Gaza dans la misère et l’isolement. En tant que travailleurs de la santé américains, nous avons juré de protéger la vie. Nos valeurs professionnelles et notre humanité nous obligent à plaider en faveur de la fourniture équitable de soins médicaux. »
Ce samedi 4 novembre, un rassemblement ainsi qu’une veillée étaient organisés à New York au City Hall Park par le comité afin d’exiger « la fin immédiate de l’assaut militaire israélien sur Gaza et les attaques en Cisjordanie ». Il a réuni près de 300 personnes, parmi lesquelles des infirmières, des médecins, des psychologues, des travailleurs sociaux, des sages-femmes, du personnel auxiliaire, et des étudiants en médecine.
Plus largement, dans le communiqué d’appel au rassemblement le comité revendique la levée totale du siège de Gaza afin de pouvoir acheminer le matériel médical nécessaire pour permettre un accès aux soins médicaux à Gaza ; la fin de l’État d’apartheid et le droit au retour en Palestine pour tous les Palestiniens ; la rupture des aides économiques et militaires des États-Unis à Israël ; ainsi que des soins gratuits pour tous aux États-Unis, et l’arrêt immédiat de la répression et des représailles institutionnelles pour le soutien à la Palestine.
Tandis qu’un secteur important de mobilisation aux États-Unis pointe la complicité des Démocrates et de Biden dans le nettoyage ethnique en cours en Palestine, Mike Pappas affirmait dans son discours lors du rassemblement : « Je suis soignant, mais je suis aussi jeune papa, j’ai une fille de 5 mois, et voir des enfants réclamer leurs parents qui viennent de mourir sous des missiles israéliens financés par les USA, c’est terrible. Je n’imagine pas ce que c’est que de devoir écrire le nom de ma fille sur son corps, au cas où elle mourrait dans des bombardements sans merci.
La situation est également révoltante parce que, et je pense qu’il faut être très clair là-dessus, la seule raison pour laquelle Israël peut se permettre de continuer ce génocide, c’est notre pays. C’est parce que l’impérialisme américain a besoin d’un État qui lui sert d’avant-poste au Moyen-Orient, pour pouvoir assurer ses intérêts capitalistes et impérialistes dans la région, et c’est pour ça qu’il cautionne encore et toujours la violence d’Israël. Le sang des Gazaouis n’est pas seulement sur les mains d’Israël, il est sur les mains des USA, des Démocrates et des Républicains, de Joe Biden. »
Dans ce sens, après une seconde déclaration du groupe de travailleurs de la santé de New York pour la Palestine appelant à un cessez-le-feu, ils encouragent les travailleurs de la santé du monde entier à soutenir la Palestine et à interpeller leur section syndicale pour le faire. Pour renforcer cette interpellation, un appel adressé aux soignants du monde entier à entreprendre des actions en soutien aux Palestiniens, signé par plus de 3 000 professionnels, a été soumis et est en attente de publication dans The Lancet, l’une des revues médicales les plus prestigieuses.
Une mobilisation importante malgré une chasse aux sorcières brutale dans le secteur de la santé
Cette mobilisation exemplaire et déterminée des travailleurs de la santé aux États-Unis se réalise dans un contexte politique où le gouvernement américain mène une véritable campagne maccarthiste pour réprimer, condamner et censurer toutes les expressions de soutien à la Palestine. Le secteur de la santé n’est pas épargné par cette chasse aux sorcières, à l’image de la répression brutale à Harvard et dans d’autres universités aux États-Unis qui s’abat sur les voix dénonçant les crimes d’Israël. Comme l’explique Left Voice dans cet article, « l’institution [du secteur de la santé] ne cherche pas seulement à dissuader l’expression de la solidarité avec la Palestine, elle cible ouvertement et attaque ceux qui le font ».
En effet, depuis le début de la campagne de bombardement israélien à Gaza, plusieurs travailleurs de la santé ont été licenciés pour avoir exprimé des opinions en faveur de la Palestine. C’est le cas, par exemple, d’un médecin urgentiste de l’hôpital Lenox Hill, qui a été licencié après avoir été accusé de faire l’apologie de l’attaque du Hamas. De même, un docteur de l’Université de New York a également été renvoyé pour avoir partagé un message sur son Instagram en soutien à la résistance palestinienne. Cette répression touche également les responsables syndicaux du secteur de la santé, à l’image de Tania Singh, ancienne infirmière dans le Minnesota, qui a été licenciée après avoir exprimé ses opinions sur les réseaux sociaux.
Au-delà de ces sanctions scandaleuses, c’est tout un climat de peur et d’intimidation que l’Etat et le patronat étasunien cherchent à s’installer pour décourager toute critique de l’État d’Israël. À l’Université de New York (NYU) Langone, un étudiant en soins infirmiers a déclaré à Left Voice qu’il avait été convoqué à une réunion avec le bureau des relations avec les employés et les syndicats pour être interrogé sur ses publications sur les médias sociaux en soutien à la Palestine. Il s’est avéré que des individus de l’université collectaient des captures d’écran des médias sociaux et les partageaient avec l’administration de NYU.
À l’hôpital Montefiore, à New York, les médecins résidents ont également signalé avoir été convoqués à des réunions disciplinaires concernant leurs publications sur les médias sociaux en soutien à la Palestine. À New York-Presbyterian / Columbia University, un médecin résident a rapporté à Left Voice qu’il avait « reçu un avertissement » pour avoir porté un simple T-shirt sur lequel était écrit « Palestine ».
Ainsi, malgré les offensives antidémocratiques d’ampleur, les travailleurs de la santé de New York affirment leur détermination à ne pas taire leur indignation face au nettoyage ethnique mené par Israël en Palestine et leur opposition au soutien de Biden et des États-Unis à l’État colonial. Leur exemple de structuration à la base de comités sur les lieux de travail, pour élargir, développer et amplifier le mouvement de soutien à la Palestine, doit servir de modèle. Une initiative qui doit inspirer les travailleurs de la santé, mais également l’ensemble des secteurs en France. Cette perspective s’accompagne de l’interpellation de chaque section syndicale afin d’exiger qu’elles rompent avec leur passivité et qu’elles déclenchent des grèves et des blocages qui seraient un levier puissant pour faire plier l’impérialisme et l’État israélien.
