Triste Russie

 

En effet, malgré sa condamnation par la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 2010, les autorités russes maintiennent depuis dix ans leur interdiction de la marche des fiertés. A n’en pas douter, il faudra en effet bien plus que ces éternelles résolutions et recommandations de la « communauté internationale » pour mettre la pression sur le gouvernement Poutine, qui n’a eu de cesse ces dernières années de renforcer la répression à l’encontre des LGBT. Il y a seulement deux ans, celui-ci validait une loi punissant tout acte de « propagande » des « relations sexuelles non traditionnelles » devant des mineurs. Cette « propagande », sur internet, est passible de 90 jours de prison pour les organisations. Autant dire que toutes les organisations de défense des droits LGBT ou de lutte contre les violences homophobes sont interdites d’existence !
 

A chaque nouvelle interdiction, le gouvernement russe se réfugie derrière le fait que les sondages démontreraient l’accord des russes avec ce genre de mesure, mais comment penser que l’homophobie peut reculer, lorsque c’est l’Etat lui-même qui la promeut et qui interdit les organisations LGBT ? Lorsque ce sont les députés eux-mêmes qui se permettent les plus infâmes des discriminations, comme le député Vitali Milonov, célèbre pour ses sorties sur la nécessité de mettre en place une « police des mœurs » ou d’organiser des « raids » dans les clubs gays ?
 

On n’en n’oublierait presque que la Russie soviétique a été un des premiers pays à appliquer la dépénalisation de l’homosexualité, dans le code issu de la Révolution russe, en 1918. Entre temps malheureusement, le pays a vécu aussi bien la contre-révolution stalinienne, qui a enterré toutes les politiques progressistes en termes de genre et d’auto-organisation des opprimés [1] que les attaques brutales du néolibéralisme suite à la chute du mur de Berlin. La politique de Poutine et consorts s’inscrit dans cette trajectoire de la restauration conservatrice en Russie, contre laquelle luttent au jour le jour les organisations LGBT du pays.
 

Et gaie fierté

 

Celles-ci ont témoigné ces dernières années de leur combativité, de leur créativité, pour contrer cette répression grandissante. L’année dernière, c’est une vieille voiture repeinte au couleur du drapeau LGBT et diffusant la musique de Conchita Wurst (chanteuse travestie gagnante de l’Eurovision en 2014) qui avait tenté d’ouvrir la marche. Une « synthèse de ce pays » expliquait alors Nikolai Alekseev, « une vieille caisse soviétique que l’on arrive à refaire fonctionner, la musique qui sort par de vieux transistors de plus de 40 ans et toujours en état de marche et de la vodka pour se donner du courage ». Cette année, c’est un quad multicolore qui fit son entrée dans les rues de Moscou pour revendiquer le droit élémentaire à l’existence.


 

Mais alors que l’année dernière, les extrémistes orthodoxes n’avaient pas pointé leur nez, laissant espérer un essoufflement de leur part, cette année ils sont venus déterminés, œufs et gaz lacrymogènes aux poings. Notre « Manif pour tous » peut se réjouir de ces alliés de choix de l’autre côté de la frontière...
 

Agression par les homophobes, condamnation à 10 jours de prison, voilà ce que risquent les militants russes, simplement pour une manifestation. Dans l’hexagone, les Marches des Fiertés paraissent se dépolitiser d’année en année et se commercialisent de plus en plus. Défiler sous le drapeau sans avoir à l’esprit tous les LGBT qui résistent, en Russie ou ailleurs, à la répression, ce serait oublier les luttes qui ont rendu possible l’expression de nos fiertés.