D.M.est arrivé en France il y a dix ans, il est toujours sans papiers et nous raconte sa galère :

C’est la deuxième semaine que vous occupez les lieux, comment tu vois l’avancée de votre bagarre ?

J’ai commencé cette occupation avec beaucoup d’espoir. Les autres aussi. Moi, depuis dix ans que je suis en France, je n’avais jamais vécu ça et je pensais que la direction allait céder assez vite. Ce que nous demandons c’est notre droit, et il n’y a pas de raison de nous le refuser.

En fait, ça ne se passe pas comme je pensais. Ils disent qu’on peut rester là aussi longtemps qu’on voudra et que ça ne les fera pas céder. On n’a pas du tout entamé les négociations. Ils se permettent de nous ignorer parce qu’officiellement on n’existe pas et qu’on vit dans la peur de la police.

Mais en même temps, notre mouvement les gêne et ils ont déposé plainte pour l’occupation des locaux devant le tribunal de Versailles. Le jugement c’est demain mardi. Nous, on ne se laisse pas décourager. On travaille à se renforcer avec ceux des autres agences d’intérim de Manpower et Randstadt qui occupent aussi aux Mureaux et à Poissy. Ce qui nous réconforte c’est quand on a des soutiens de la population, de collègues, de militants, de délégués syndicaux.

C’est quoi exactement ce que vous demandez ?

On demande tout simplement qu’Adecco, notre employeur, remplisse les attestations de concordance et les CERFA. L’attestation de concordance c’est un papier rempli par l’employeur qui fait le lien entre l’identité réelle et le nom d’emprunt, souvent celui d’un frère ou d’un cousin, que nous sommes obligés d’utiliser pour avoir du travail. Après, quand on a l’attestation on peut demander le CERFA qui est nécessaire pour la régularisation.

Moi, depuis 10 ans que je suis en France, et que je travaille, j’ai entrepris plusieurs fois la régularisation. Mais la loi change à chaque fois et je n’arrive jamais jusqu’au bout. Cette fois-ci on se bat parce qu’Adecco refuse de donner les attestations de concordance.

Comment se fait-il qu’ils ne veulent pas reconnaître qu’ils vous emploient avec une autre identité ? Ils ne savent pas ?

Bien sûr qu’ils savent et ceux chez qui on a des missions savent aussi. Ce ne sont pas des petites boîtes qui nous emploient ; ce sont des grosses multinationales du CAC 40 comme le centre Renault Guyancourt, ou Sodexho par exemple.

Mais ça les arrange qu’on soit dans cette situation parce que ça leur permet de nous exploiter au maximum dans des conditions dont les autres ne voudraient pas. Beaucoup d’entre nous travaillent dans la restauration ou le bâtiment et nos conditions de travail sont très dures. Beaucoup de trajets de plusieurs kilomètres non rémunérés ; des missions de 2heures ou 3 heures dont personne ne veut ; l’impossibilité d’appeler les pompiers en cas d’accident du travail de peur de la police ; pas d’AME ni de CMU quand nous sommes malades ; des queues pour avoir du boulot dès 5 heures du matin devant l’agence qui n’ouvre qu’à 9 h ou 10h… Ils ont besoin de notre précarité pour vendre notre travail à Sodexho ou d’autres au meilleur prix.

Qu’est-ce que vous envisagez pour les jours qui viennent ?

Ce qu’on veut c’est faire connaître notre lutte ; nous renforcer. Il faut voir ce que ça va donner demain mardi au tribunal de Versailles. En tout cas, on est en train de s’organiser pour essayer d’envoyer une délégation des trois sites, Montigny, Poissy, Les Mureaux avec une banderole, dans la manif de la santé jeudi. On ne peut pas y aller tous parce qu’il faut toujours rester assez nombreux pour occuper mais on est solidaires. On aurait besoin d’appuis pour organiser ça. Nous on tient bon.

22/06/15