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Enquête du Poing Levé

80% des étudiant·es se sentent angoissé·es, que dit ce mal être ?

Dépression, angoisse, burn out… Avec plus de 5000 réponses récoltées, l’enquête nationale du Poing Levé sur les conditions de vie étudiante montre l'ampleur des problèmes de santé mentale qui touchent la jeunesse. Les raisons principales ? La précarité, la sélection et l’avenir, sur fond de crise climatique.

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80% des étudiant·es se sentent angoissé·es, que dit ce mal être ?

Tous les prénoms ont été modifiés

Angoisse, dépression, burn-out : un mal-être intense dans la jeunesse

L’enquête du Poing Levé sur les conditions de vie étudiante, avec plus de 5000 réponses, dessine un tableau alarmant de l’état de la santé mentale des étudiant·es en France : plus de 80% des étudiant·es sondé·es disent se sentir anxieux·ses ou stressé·es. Une situation qui remonte notamment au premier confinement lors duquel une enquête du Centre national de ressources et de résilience auprès des universités françaises montrait que 27,5% des étudiant·es avaient un haut niveau d’anxiété, 22,4% une détresse importante, 16,1% une dépression sévère et 11,4% faisaient état d’idées suicidaires.

Ces quelques chiffres mettent en évidence un mal-être omniprésent chez les étudiant·es. Parmi les témoignages que nous avons recueillis, un très grand nombre exprime une « souffrance », un « stress permanent », une « charge mentale » trop forte ou encore une « galère » permanente. Certain·es parlent également de troubles psychiatriques comme la dépression ou le burn out et des difficultés à le faire reconnaître . Jeanne témoigne ainsi «  je souffre de d’endométriose et de dépressions chroniques mais aucun aménagement est possible. »

Ce mal-être et cette souffrance s’accompagnent par ailleurs d’une mauvaise prise en charge. Ainsi 21% des sondé·es disent avoir besoin d’un suivi médical (suivi psychologique inclus) mais ne pas pouvoir y accéder. Un chiffre qui atteint les 38% chez celles et ceux qui disent ressentir de l’anxiété. Les boursièr·es ont un suivi médical plus faible que les non-boursièr·es, et globalement plus la précarité est grande, plus l’accès au soin est inexistant. Et pour cause l’accès au soin à un coût et nécessite souvent d’importants sacrifices financiers pour les bourses réduites des étudiant·es. James, étudiant du Mirail témoigne « les rendez-vous avec un psychologue sont inévitables pour moi mais il faut que je fasse des concessions pour pouvoir les payer  ». En 2021, l’observatoire de la psychologie indiquait qu’en moyenne une séance chez le ou la psychologue coûtait entre 50 et 70 euros avec une moyenne plus élevée en région parisienne (80 euros) ou à Bordeaux (70 euros). Du côté des psychiatres, la moitié n’est pas conventionné secteur 1 les prix d’une séance de 30 minutes peuvent monter à 120 euros. Et dans le public ce sont de longues listes d’attentes dans les CMP (Centre Médical-Psychologique) et des soignant·es débordé·es.

Alors que les maigres budgets des étudiant·es ne permettent pas un accès au soin régulier et satisfaisant la seule réponse du gouvernement aura été la mise en place des « chèques psy » post-covid. Ces derniers ne remboursent que 3 consultations de 45 minutes chez un nombre réduit de psy, rien qui ne permette la mise en place d’un accompagnement de fond et de qualité demandé par une grande partie de la jeunesse.

Face à cette situation insoutenable, nombreux·ses sont les étudiant·es à exiger l’accès à des soins médicaux et psychologiques gratuits et ouverts à tout le monde. Au Poing Levé nous défendons une santé qui ne soit pas un « budget à gérer » mais un droit pour toutes et tous. Nous nous battons pour une santé entièrement gratuite -y compris les soins psychologiques- et gérée par les soignant·es et les patient·es.

Les études et la sélection, une source majeure d’angoisses

Ce mal-être chez les étudiants n’est pas un phénomène qui vient de nulle part, qui serait intrinsèque à la jeunesse, à « notre époque », ou dû aux réseaux sociaux comme le défendait Emmanuel Macron, mais il est le fruit en grande partie du contexte politique et social. En effet, les principales raisons de l’anxiété évoquées par les étudiant·es sont les études (88 %), la situation politique en général (58 %), leur situation financière (56 %), et l’écologie (41 %).

De nombreux·ses étudiant·es témoignent de l’anxiété engendrée et créée par leurs études, au point de pousser 42% d’entre eux à envisager de les arrêter. Avec l’arrivée des nouvelles plateformes de Pacoursup et Mon master, la pression est montée crescendo, non sans conséquence sur l’état mental des étudiant·es. De nombreux témoignages convergent autour de « la peur de la sélection », « le stress lié à la sélection ». Raphaëlle, étudiante à Toulouse 2 en psychologie raconte : « je ne suis qu’en L1 et j’aime beaucoup mes études mais il y a toujours cette appréhension de pas avoir de place dans le master que nous voulons ».

Les étudiant·es ayant envisagé d’abandonner leurs études font également état de burn-out et de surcharge. Alix, etudiant·e à Paris, partage ce sentiment : « La charge de travail beaucoup trop importante au niveau du travail personnel. On nous requiert du travail personnel en plus juste pour être considéré un élève normal alors qu’on a déjà pas le temps avec les 30 heures de cours par semaines plus les trajets. En art, on nous demande de faire des visites, des loisirs, etc. comme si on avait le temps.  »

Dans ce sens des études scientifiques ont soulevé le phénomène du « Gros poisson dans la petite mare », qui démontre que plus les établissement scolaires sont sélectifs, moins les élèves ont tendance à se sentir compétents. Alors que le gouvernement tend à des formations de plus en plus sélectives, plus d’élite, il crée en parallèle un climat anxiogène et pousse les étudiant·es les moins confiant·es, issues notamment des classes populaires à sortir des bancs de l’université. Le stress engendré par les différentes réformes, qui ferment de plus en plus les portes des universités aux classes populaires, pousse les étudiant·es à l’abandon.

Nous exigeons dans ce sens l’abrogation de Parcoursup et de Mon Master et de toute mesure sélection qui sont à l’origine d’un véritable écrémage sociale. Les différents gouvernements ont organisé la casse de l’université publique en rognant sur les moyens alors que les effectifs n’ont cessé de croître. Nous défendons également une augmentation sérieuse des moyens, pour répondre au nombre de demandes. Les différents gouvernements ont organisé la casse de l’université publique en rognant sur les moyens alors que les effectifs n’ont cessé de croître. Nous défendons également une augmentation sérieuse des moyens, pour répondre au nombre de demandes. Chaque étudiant·e qui sort du lycée ou de licence doit trouver une place dans la filière de son choix.

La précarité : une racine de la souffrance

En effet, parmi les étudiant·es qui ont envisagé d’arrêter leurs études, 56% indiquent que cela est lié à leurs situations financières. Dans l’enquête, de nombreux·ses étudiant·s évoquent la nécessité de travailler en parallèle de leurs études, ce qui a des conséquences indéniables sur leurs études. James, étudiant à Lille témoigne : « Mon travail m’empêche d’assister à tous les cours », tandis que Laura, étudiante également à Lille, raconte : « J’ai dû changer de fac en cours d’année afin de pouvoir continuer à travailler et venir en cours car les TD se chevauchaient et ne me laissaient pas le temps d’aller travailler. Lorsque j’ai demandé un changement d’emploi du temps, on m’a forcé de me mettre en contrôle terminal, réduisant mes chances de réussite et me mettant dans l’impossibilité d’avoir une bourse sans laquelle, cumulée avec mon travail, je ne peux pas aller en cours.  » Même son de cloche auprès de Jeanne, étudiante en master à Paris Cité qui expliquait en début d’année « les profs nous ont dit ‘cette année la priorité c’est les études, pas le travail en dehors’ comme si on avait le choix ».

La pression financière augmente avec l’inflation, aggravant encore la situation. C’est le cas de Julie, étudiante en Master et qui doit travailler deux fois plus : « Je sens une pression sur mon budget encore plus forte avec l’inflation. Je travaille plus, j’ai moins de temps, pour au final moins de loisirs et d’aisance. Je travaille deux fois plus qu’au début de mes études pour payer le simple quotidien : les factures et les courses. Sans mon logement gratuit, je n’aurais pas pu continuer mes études financièrement. »

La précarité a en effet pour conséquence une difficulté d’accès au logement comme en témoigne les appartements insalubres et infestés de nuisibles dans lesquels de nombreux·ses étudiant·es sont contraintes de vivre quand d’autres n’arrivent tout simplement pas à en trouver. C’est le cas de Philippine, étudiante à Paris 1 : « Je n’ai toujours pas de logement malgré de nombreuses demandes et mon statut d’étudiante boursière (donc prioritaire). À cause des études, je n’ai pas le temps d’en chercher, mais le fait de ne pas avoir de logement empiète aussi sur mes études. » Et les procédures sont longues, creusant chaque mois un peu plus les dettes : « Je ne touche pas encore mes APL de la CAF car j’ai fait ma demande en juin. Le processus bureaucratique est long et j’attends toujours leur réponse  », témoigne Alexandre, étudiant à Paris 1. Rose, étudiante en Master 1 souligne également « Le CROUS est une catastrophe. J’aurais dû être échelon 5 et je me retrouve échelon 3 pour aucune raison et sans réponse de leur part  ».

Face à ces difficultés, certain·es étudiant·es n’ont d’autre choix que de contracter des prêts colossaux pour subvenir à leurs besoins, comme c’est le cas d’Elie, étudiant au Mirail, « Je suis endetté(e) à hauteur de 20 000 € (prêt étudiant) ». D’autres se voient contraints de voler pour finir le mois : « C’est la galère, je vole depuis 5 mois pour manger », comme c’est le cas de Elias, étudiant·e à Paris 8.

Ces conditions difficiles conduisent certain·es étudiant·es à bout : « La précarité amène des problèmes anxieux, des idées suicidaires...  » C’est pour en finir avec cette situation et dans la perspective d’un autre avenir qu’au Poing Levé nous défendons un revenu étudiant et une augmentation de tous les salaires de 400 euros et leur indexation sur l’inflation. Un tel revenu, attribué indépendamment des nationalités ou des filières, doit être financé par un impôt fortement progressif sur les grandes fortunes. Seulement ceci permettra que ces étudiant·es puissent suivre leurs études sans avoir à se demander comment ils payeront leur facture demain.

La mise en place d’un revenu étudiant est soutenu par 79% des sondé·es, signe de l’aspiration de nombreux·ses jeunes à pouvoir étudier sans pressions financières, première cause d’échec scolaire à l’université

Avenir violent et inquiétant : une jeunesse en quête de perspectives émancipatrices

Aux raisons matérielles –sélection, inflation, précarité- et quotidiennes s’ajoutent une peur de l’avenir. Celui-ci laisse en effet présager une intensification des multiples crises et une montée des idées réactionnaires qui pèsent sur le moral et joue sur l’anxiété. C’est ce dont témoignent les 58% d’anxieux-ses qui pointent la responsabilité de la situation politique globale ou les 41% qui indiquent que la crise écologique joue un rôle dans leur état de stress.

Ainsi cette détresse qui saisit la jeunesse, bien loin d’être personnelle, ou causée par une conjoncture de « problèmes individuels » est au contraire bel et bien celle d’un système qui détruit les vies. Comme il saccage la planète et les ressources naturelles à aucune autre fin que le profit, le capitalisme exploite, épuise et détruit les ressources humaines dont il dispose.

Apparaît ainsi l’impossibilité de se construire en bonne santé pour toute une génération : aux conditions économiques difficiles dans lesquelles nous vivons, s’ajoute l’idéologie néolibérale qui place sur un piédestal la valeur du travail, naturalise la compétition entre tous, et fait des autres un perpétuel et dangereux concurrent pour chacun.

Mais ces dernières années, la jeunesse a participé à de nombreuses luttes, dessinant une aspiration à lutter contre un système qui opprime et détruit, que ce soit pour le climat ou contre les violences sexistes et sexuelles, ou encore les violences racistes d’État. Au Poing Levé nous nous battons pour une autre vie, pour un monde émancipateur où l’on puisse avoir accès à des études de manière libre et pouvoir vivre une vie qui vaille la peine d’être vécue sans craindre la fin du mois ou la fin du monde.

Les principales données ainsi que les analyses et perspectives programmatiques sont à retrouver dans la brochure ici

Le rapport scientifique de l’enquête nationale du Poing Levé sur la précarité est également consultable en intégralité en ligne


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