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Les policiers ne sont pas des camarades

Communiqué guerrier de l’UNSA Police : la police n’a rien à faire dans nos confédérations syndicales !

Dans un communiqué martial, l’UNSA Police appelle à durcir la répression contre les « hordes de sauvage ». Un texte qui pose à nouveau la question de la présence des syndicats policiers dans les confédérations syndicales.

Paul Morao

1er juillet 2023

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Communiqué guerrier de l'UNSA Police : la police n'a rien à faire dans nos confédérations syndicales !

Crédit photo : UNSA Police

« Face à ces hordes sauvages, demander le calme ne suffit plus, il faut l’imposer », « l’heure n’est pas à l’action syndicale mais au combat contre ces "nuisibles" », « mettre les interpellés hors d’état de nuire », « nous savons déjà que nous revivrons cette chienlit » : non ce n’est pas le dernier communiqué d’Éric Zemmour, mais celui publié ce vendredi par l’UNSA Police et Alliance, deux syndicats à la tête d’un bloc majoritaire dans la police.

Un texte martial, ultra-violent, déshumanisant les jeunes de quartiers populaires qui se mobilisent depuis trois nuits, traités de « nuisibles » contre lesquels les syndicats de police affirment être « en guerre », qui se conclut sur une menace contre le gouvernement dans le cas où il ne fournirait pas les moyens adaptés. « Sans mesures concrètes de protection juridique du Policier, de réponse pénale adaptée, de moyens conséquents apportés, les Policiers jugeront de la hauteur de la considération portée. Aujourd’hui les Policiers sont au combat car nous sommes en guerre. Demain nous serons en résistance et le Gouvernement devra en prendre conscience » expliquent les deux organisations.

Un communiqué qui a suscité le choc dans de larges secteurs de la gauche, du mouvement ouvrier et de la population… Y compris à l’UNSA. Sur Twitter, le secrétaire de l’UNSA Éducation a dénoncé : « Les mots ont un sens et ceux de ce communiqué sont inquiétants et insupportables. Ce ne sont pas les valeurs de l’UNSA. » De quoi poser la question de la présence de telles organisations dans des confédérations syndicales du mouvement ouvrier, ou alliées du mouvement ouvrier…

Lire aussi : « Nous sommes en guerre » : les syndicats policiers majoritaires font pression pour durcir la répression

Des organisations insérées dans nos fédérations syndicales

Loin d’être marginale, l’UNSA Police et Alliance, qui ont emporté les dernières élections professionnelles en décembre dernier, appartiennent respectivement à l’UNSA et à la CFE-CGC. Fédération réformiste, la première compte plusieurs syndicats ouvriers, qui avaient par exemple été actifs dans la mobilisation des retraites de 2019, à la SNCF comme à la RATP. De son côté, si la CFE-CGC réunit des syndicats de cadre, c’est une organisation qui a pris part à la contestation de projets de loi tels que la Loi Travail en 2016 ou plus récemment la réforme des retraites.

Cette appartenance à des fédérations syndicales leur a permis, par exemple, de célébrer en septembre dernier leur alliance à la Bourse du Travail de Paris, comme n’importe quel syndicat… Pour l’occasion, les deux organisations, à la tête d’un bloc de 13 syndicats, avaient invité un ennemi du mouvement ouvrier : Gérald Darmanin. Celui-ci a pu s’en prendre à la tribune, à quelques mètres du buste de Jean Jaurès, à « l’ultra-gauche » et proclamer son amour des « flics ». Si malaise ne date donc pas d’hier, le communiqué vient remettre en lumière de façon brûlante le problème qui, habituellement est largement banalisé.

Darmanin à la Bourse du Travail le 28 septembre 2022 - Pascale Pascariello / Mediapart

Et pour cause, la logique d’accueillir la police, traitée comme une « corporation » comme une autre dans les syndicats est généralisée au sein du mouvement ouvrier français, dont les fédérations comptent toutes leurs organisations policières : CGT-Intérieur Police, Unité SGP Police-FO, Alternative Police CFDT, SUD Intérieur… Face à des organisations ouvertement d’extrême-droite comme Alliance, reprenant régulièrement une rhétorique raciste, certains de ces syndicats affichent un profil qui se veut plus « progressiste », à l’image de la CGT-Intérieur Police ou de SUD Intérieur, sans que ces positions ne remettent en cause leur soutien à leur institution.

Une contradiction qui ressurgit dans le contexte de polarisation sociale

Ces organisations défendent des positions qui correspondent peu ou prou à celle partagées au sein de la NUPES sur la police : réforme de l’institution, développement d’une police plus « proche » de la population, transformation de l’IGPN en entité indépendante, … En clair, l’idée qu’une police moins répressive, moins violente, moins subordonnée au gouvernement et à sa politique serait possible. Sur le fond, ces syndicats convergent cependant avec toutes les autres organisations, non seulement dans la nécessité de plus de moyens pour la police, la CGT Police revendiquant par exemple en 2021 l’embauche de 30.000 policiers, mais surtout dans la défense de l’institution.

En 2016, en pleine mobilisation contre la loi Travail marquée par un déferlement de violences policières contre les manifestants, la CGT Police n’avait ainsi pas hésité à manifester aux côtés d’Alliance contre la « haine anti-flic ». Une façon de s’opposer ouvertement au large sentiment anti-police qui se développait alors face à la répression. En mai 2021, lors du fameux rassemblement réactionnaire drivé par Alliance, l’UNSA et FO, devant l’Assemblée nationale, la CGT appelait aux côtés de l’ensemble des syndicats policiers excepté SUD Intérieur à cette mobilisation ultra-répressive, à laquelle s’est pliée la majeure partie de la gauche institutionnelle.

Si le communiqué de l’UNSA et d’Alliance constitue une expression particulièrement droitière des positions défendues par les syndicats de police, le malaise qu’il suscite exprime une contradiction insoluble entre mouvement social et organisations de policiers. Car aussi « réformistes » soient-ils, convaincus de la possibilité d’une police « républicaine », « proche » de la population, ces organisations sont toujours du côté de la défense de l’ordre établi, dont la protection est la mission essentielle de cette institution. Dans une situation de polarisation croissante, cette situation est toujours plus intenable, et rend particulièrement actuelle la revendication de l’expulsion des organisations de policier de nos confédérations syndicales.

Les policiers ne sont ni des « travailleurs », ni des camarades

La question de fond que pose la présence des syndicats de police dans les syndicats réside dans la compréhension du rôle de cette institution. Pour les confédérations syndicales, et plus globalement les forces de gauche institutionnelle, les policiers seraient des travailleurs comme les autres et la police un « service public ». C’est ce qu’expliquait la Confédération CGT dans son communiqué après la mort de Nahel, appelant à un « débat démocratique sur ce service public, avec l’ensemble des acteurs·rices concerné·es, les citoyen·nes et usager·es. »

Cette approche nie le caractère réel de l’institution policière, reprenant les poncifs, particulièrement appréciés par l’État et la droite, qui font des policiers des fonctionnaires, dédiés à la défense de la « veuve et l’orphelin », et un service public au même titre que la santé ou lestransports. Or, la police est une institution structurellement répressive et racistes, dont les violences dans les quartiers populaires ou contre les manifestants ne sont pas des dérapages mais une partie de l’activité « normale ». Comme l’ont montré les théoriciens marxistes, ou plus récemment des sociologues de la police comme Mathieu Rigouste ou Paul Rocher, l’objectif de cette institution consiste d’abord à écraser celles et ceux qui remettraient en question l’ordre établi et à exercer une pression continue sur les franges les plus précaires pour éviter les explosions sociales.

Si dans les périodes de prospérité relative, ce caractère fondamentalement répressif apparaît à une échelle moins large, restant cantonné aux moments d’explosions ou aux marges de la société, par exemple dans les quartiers populaires où l’oppression policière ne connaît jamais d’interruption, dans les moments de crise comme ceux que nous vivons depuis plusieurs décennies, les formes de répression plus violentes deviennent plus systématiques. Ce n’est ainsi pas un hasard si la politique des gouvernements successifs ces dernières années a été de lâcher la bride à la police, renforcer son impunité, la doter d’outils répressifs toujours plus étendus et d’augmenter ses moyens.

Parce que la police ça sert d’abord à réprimer les travailleurs et les classes populaires et que l’État et son bras armés seront toujours au service de la défense du capitalisme et en opposition aux mouvements et révoltes que ce système suscite, le mouvement ouvrier révolutionnaire a, en général [1], rejeté historiquement l’idée d’une communauté d’intérêt entre la police et les travailleurs. En 1932, Trotsky synthétisait cette position, en évoquant l’impasse des espoirs placés par la social-démocratie allemande dans une « bonne » police :

« en cas de danger réel, la social-démocratie place ses espoirs (…) dans la police prussienne. Mauvais calcul ! Le fait que les policiers ont été choisi pour une part importante parmi les ouvriers sociaux-démocrates ne veut rien dire du tout. Ici encore c’est l’existence qui détermine la conscience. L’ouvrier, devenu policier au service de l’État capitaliste, est un policier bourgeois et non un ouvrier. Au cours des dernières années, ces policiers ont dû affronter beaucoup plus souvent les ouvriers révolutionnaires que les étudiants nationaux-socialistes. (…) Et l’essentiel c’est que tout policier sait que les gouvernements changent mais que la police reste. »

Une position qui tranche évidemment avec celle des directions syndicales, dominées par des positions réformistes, alimentant l’illusion d’une possible fraternisation avec la police qui est un frein à une lutte conséquente contre la répression et la violence d’Etat. Or, l’expérience des dernières années rend audible un discours radical sur ce terrain dans des secteurs de plus en plus larges du mouvement ouvrier, du mouvement social et plus largement de la population. Dans un contexte d’offensive autoritaire et sécuritaire continue ces dernières années, la contestation de l’arbitraire et des violences policières se répand, ouvrant un espace pour discuter le rôle structurel de la police comme institution opposée au mouvement social et à ses intérêts.

Il s’agit d’un enjeu central pour combattre les illusions sur la police, qui réémergent à chaque mobilisation et sont alimentées par la gauche institutionnelle et certains syndicats policiers, qui sont un frein à une mobilisation conséquente face à la répression et à l’avancée politique du mouvement de masse.

Soutenons la révolte des quartiers populaires, exigeons l’expulsion des syndicats de police de nos confédérations !

A l’heure où les fédérations syndicales n’offrent que des réponses timorées à la colère, il est donc fondamental que les militants syndicaux qui luttent pour une convergence avec les quartiers populaires reprennent la revendication d’expulsion des syndicats de police des confédérations. Une position qui ne constitue pas seulement un moyen d’afficher une rupture claire avec une institution répressive et raciste, mais qui est fondamentale pour pouvoir mener de véritables politiques d’alliance avec ceux qui subissent au quotidien son oppressions et plus largement contre la répression.

En effet, les syndicats de policiers ne se contentent pas d’appartenir aux confédérations syndicales : ils pèsent sur la ligne des organisations. C’est ainsi que pendant le mouvement contre la réforme des retraites, la CFE-CGC dont fait partie Alliance a pris position contre des communiqués intersyndicaux locaux dénonçant la répression des manifestations par la police. Dans l’Est, le 24 mars, la fédération locale réagissait à une proposition dénonçant la répression de la manifestation de la veille en expliquant :

Extrait d’un courrier de l’UD CFE-CGC 67 du 24 mars 2023 à l’intersyndicale du 67.

Une opposition assumée au nom de « la présence de représentants de la Police Nationale (…) parmi nos adhérents » et accompagnée de menaces de rompre avec l’intersyndicale locale en cas de publication du communiqué. De quoi incarner très concrètement le poids que fait peser la police dans les syndicats, et l’obstacle que celui-ci constitue pour organiser une réelle politique contre la répression et les violences policières. Un enjeu que l’intersyndicale a d’ailleurs largement choisi d’ignorer au cours de la bataille des retraites.

Face à l’offensive autoritaire, dans laquelle la police joue un rôle toujours plus central face à la contestation sociale, l’expulsion des organisations de policiers de nos fédérations est un enjeu stratégique. Une revendication qui peut servir de point d’appui pour poser la question de la construction d’une riposte d’ensemble aux côtés de la jeunesse des quartiers populaires, autour d’un programme qui pose, à côté de la revendication de la justice et la vérité pour Nahel et toutes les victimes de violences policières ainsi que la libération immédiate et l’amnistie de tous les réprimés, la question de l’abrogation de la loi de 2017 et de toutes les lois racistes, mais aussi la lutte pour les salaires, le partage du temps de travail ou encore la défense des services publics dans les quartiers populaires.

Notes :

[1] Avec des débats sur lesquels nous ne reviendrons pas ici, l’idée que les policiers seraient des « travailleurs en uniforme » restant défendue par certains courants trotskystes.


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