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Gaza

Hôpital Al-Shifa. Mort, dévastation et mensonges

Sous prétexte de combattre des membres du Hamas et du Jihad Islamique, l’armée israélienne a totalement détruit le complexe hospitalier le plus important de Gaza. Un nouveau crime abominable.

Philippe Alcoy

2 avril

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Hôpital Al-Shifa. Mort, dévastation et mensonges

Photo : Palestinian News & Information Agency (Wafa) en contrat avec APAimages, Destruction à Gaza, 9 Octobre 2023, Creative Commons

Deux semaines de pure destruction, de dévastation, et de mort. Tsahal avait lancé à la mi-mars un siège surprise du complexe hospitalier Al-Shifa à Gaza avant de se retirer ce lundi. Les images témoignent des pertes matérielles. Al-Shifa est totalement inopérable, voire irrécupérable. Tous les bâtiments ont été touchés par les affrontements, par les bombardements et les incendies volontaires. Mais Al-Shifa n’était pas vide quand les forces israéliennes ont lancé leur assaut. L’armée israélienne, qui se félicite de ce spectacle macabre, dit avoir tué 200 combattants palestiniens durant les 15 jours qu’a duré cette opération ; 900 personnes suspectes ont également été arrêtées, certains ont été envoyés en Israël. Les autorités palestiniennes parlent de 300 morts, dont beaucoup de civils.

Seulement, l’armée israélienne affirme que son opération s’est déroulée sans causer de victimes parmi la population civile ou le personnel médical. Un mensonge éhonté. L’OMS a affirmé qu’au moins 21 patients sont morts pendant les 15 jours de siège. Dans les mêmes temps, le docteur Ahmad al-Maqadmeh et sa mère Yousra, aussi docteure à Al-Shifa, ont été retrouvés morts entre les ruines de l’hôpital. Par ailleurs, beaucoup de témoignages et d’images montrent des cadavres, y compris d’enfants. Des cadavres calcinés, des corps visiblement écrasés par les tanks ou les bulldozers israéliens, des parts de corps, des squelettes. L’horreur de ces crimes dépasse les dystopies les plus monstrueuses du cinéma contemporain.

Le complexe hospitalier avait déjà été attaqué en novembre dernier par Tsahal. Selon le récit officiel des autorités israéliennes, les branches armées du Hamas et d’autres organisations de la résistance palestinienne auraient établi leur commandement dans l’hôpital. Malgré les deux occupations supposées des lieux, l’armée israélienne n’a jamais été capable d’apporter des preuves de ses affirmations. Peu importe. Ces déclarations ne servaient qu’à légitimer le bombardement d’hôpitaux palestiniens ; et il faut dire que la presse occidentale a largement contribué à installer ce récit mensonger et criminel.

En effet, l’un des objectifs de l’armée israélienne semble être de rendre inhabitable Gaza, même après la fin de la guerre. La destruction des hôpitaux de l’enclave est en ce sens un point clé pour atteindre cet objectif. Toutes les ressources militaires, politiques et idéologiques possibles sont mobilisées afin de justifier la dévastation matérielle et des vies humaines. Le médecin norvégien Mads Gilbert, qui a travaillé à Al-Shifa, a réagi à l’opération israélienne sur l’antenne d’Al-Jazeera de la façon suivante : « si l’hôpital le plus important de votre pays était attaqué par une armée d’invasion qui avait vraiment l’intention de détruire l’hôpital et de tuer la population, ne le défendriez-vous pas dans ses environs ? Ne pensez-vous pas que votre armée devrait défendre votre hôpital le plus important pour la population ? Bien sûr, ils ont essayé de le défendre, mais je n’ai pas entendu parler de combattants à l’intérieur de l’hôpital Al-Shifa et n’oubliez pas qu’il s’agit du deuxième siège d’Al-Shifa. Lorsqu’ils l’ont envahi la première fois, ils n’avaient aucune preuve de l’existence d’installations militaires, ils n’ont rien trouvé. Ils répètent leurs mensonges parce qu’ils en ont eu besoin pour attaquer tous les autres hôpitaux de Gaza. Vous savez, sur les 35 hôpitaux, presque tous ont été attaqués, même sans l’excuse d’être un centre de commandement militaire. Il s’agit donc d’un mensonge et cela dépasse le cadre de la question, car ce qu’ils font, c’est détruire l’infrastructure palestinienne, leur vie et leur société ».

Beaucoup craignent que la prochaine cible soit l’hôpital d’Al-Aqsa, où un campement de tentes de réfugiés a été attaqué ce week-end, tuant plusieurs personnes. Ces attaques meurtrières pourraient être une préparation à l’assaut de la ville de Rafah qui abrite plus d’un million de réfugiés selon l’ONU. Une opération que le gouvernement promet depuis plusieurs semaines et qui pourrait être catastrophique.

Cependant, les aberrations de l’armée israélienne à Gaza ne nous laissent qu’une seconde de répit, après chaque crime survient un autre. C’est ainsi que moins de 24 heures après le retrait de Tsahal d’al-Shifa on a appris que sept travailleurs humanitaires ont été tués par l’armée israélienne. Or, cette fois, le gouvernement de Benjamin Netanyahu se trouve à la défensive car parmi les personnes tuées se trouvaient plusieurs citoyens occidentaux, issus de pays qui soutiennent la guerre d’Israël.

Ce n’est évidemment pas la première fois qu’Israël tue au cours de cette guerre des travailleurs humanitaires (ni des médecins, ni des journalistes, ni des civils, ni des enfants) mais cet incident arrive à un mauvais moment pour Netanyahu. Après près de 6 mois d’une guerre sanglante, les pressions des gouvernements impérialistes commencent à s’exprimer publiquement ; sur le plan intérieur la coalition de Netanyahu avec l’extrême-droite est en risque face à la pression d’une partie de plus en plus grande de la société qui exige la fin des exemptions qui permettent aux juifs orthodoxes de ne pas faire le service militaire et donc de ne pas être envoyés se battre à Gaza ; puis il y a la pression des familles des otages qui ont entamé samedi un mouvement pour exiger un cessez-le-feu et un accord pour la libération des israéliens encore pris en otage à Gaza.

Regrettablement, ces manifestations de la part d’une partie importante de la population israélienne ne prennent pas vraiment en compte les souffrances des civils palestiniens. Elles sont focalisées sur la question de la libération des otages israéliens uniquement. La droitisation générale de la société israélienne depuis au moins 15 ans vis-à-vis de la question palestinienne et le traumatisme provoqué par l’attaque du 7 octobre créent un certain consensus sur la nécessité de mener cette guerre, tout en déshumanisant les Palestiniens et en renforçant la légitimité du colonialisme. Il y a très peu d’espace pour les voix critiques qui prennent en compte aussi les souffrances des Palestiniens et qui envisageraient, même timidement, de considérer quelques revendications partielles des Palestiniens.

C’est en effet cette situation qui permet à Netanyahu de gagner du temps et de tenter de maintenir un semblant d’unité nationale derrière lui à travers des attaques atroces contre les populations palestiniennes à Gaza, comme à Al-Shifa. Ce n’est pas sûr que cela soit suffisant. Le besoin de Netanyahu de perpétuer la guerre afin de rester au pouvoir et d’échapper à des ennuis judiciaires va probablement le pousser vers des limites flirtant avec le déclenchement d’une guerre régionale, comme l’assassinat de hauts gradés de l’armée iranienne en Syrie par des bombardement israéliens le montre.


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