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La grève des travailleurs de l’automobile inquiète Biden, et c’est une bonne nouvelle

Il y a quelques jours, Joe Biden a appelé les dirigeants des trois grands constructeurs automobiles à accorder des concessions aux grévistes de l’UAW. Une démonstration de son inquiétude quant aux potentialités de la grève dans l'automobile.

Sybil Davis


et Jason Koslowski

25 septembre 2023

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La grève des travailleurs de l'automobile inquiète Biden, et c'est une bonne nouvelle

Article traduit de Left Voice

Le 15 septembre à minuit, le syndicat des travailleurs de l’automobile (UAW) aux Etats-Unis a entamé sa grève dans trois usines des « Big Three » – GM, Ford et Stellantis. Bien que limitée, cette grève a immédiatement provoqué une onde de choc dans tout le pays et tous les médias bourgeois se sont tournés vers la couverture de la grève. En effet, la grève s’avère très populaire : 75 % des Américains soutiennent l’UAW dans son combat.

Cette grève s’inscrit dans ce que certains ont appelé un « été chaud pour le monde du travail », caractérisé par la grève évitée de justesse chez UPS et les grèves en cours dans l’industrie culturelle, ainsi que par de nombreuses grèves et actions syndicales de moindre ampleur, comme celle des travailleurs de Blue Cross Blue Shield, également représentés par l’UAW. De quoi mettre la classe ouvrière au centre de l’agenda national.

Il n’a ainsi fallu que douze heures à Joe Biden pour s’adresser au pays à ce sujet, un révélateur du pouvoir que les travailleurs de l’UAW ont entre les mains en ce moment. Joe Biden a notamment tenté de se positionner en ami des travailleurs, dénonçant les profits records des Big Three qui n’ont pas été « partagés » avec les travailleurs. Il a ouvertement appelé les patrons à faire des concessions. « Les profits records doivent signifier des contrats records pour l’UAW » a-t-il déclaré, tentant de se placer en arbitre qui peut intervenir dans les luttes du monde du travail et les résoudre rapidement, en faveur des travailleurs.

Le discours de Biden montre l’importance cruciale de la grève de l’UAW aux États-Unis

La lutte d’une classe ouvrière étasunienne en pleine ébullition limite la capacité de manœuvre de Biden et du Parti démocrate. Le vaste soutien de l’opinion publique à la grève de l’UAW – et aux grèves en cours à Hollywood – combiné à la nécessité pour Biden de consolider le soutien électoral de la classe ouvrière industrielle dans le Midwest avant les élections de 2024, l’a conduit à adopter une position beaucoup plus favorable aux travailleurs qu’il ne l’a fait lors de mobilisations ouvrières antérieures, telles que la grève des cheminots qu’il a contribué à briser l’année dernière. Biden a dû non seulement s’exprimer sur la grève, mais aussi se positionner du côté des salariés.

Mais son discours a également montré clairement que son objectif principal était de mettre rapidement fin à la grève afin d’éviter qu’elle ne devienne plus importante, plus audacieuse, plus puissante et qu’elle ne perturbe davantage l’économie. Il est poussé sur ce plan par les exigences d’une économie fragile, économie qu’il a placée au cœur de sa campagne de réélection. Avec une reprise économique incertaine depuis 2020, Joe Biden a besoin que cette grève soit la plus courte et la moins perturbatrice possible.

Biden a donc beaucoup d’enjeux dans ce combat et peu de marge de manœuvre. Les trois grands constructeurs automobiles sont une grande puissance industrielle. Ensemble, ils contrôlent environ 40 % du marché automobile aux États-Unis et dominent une industrie qui représente environ 3 % de l’ensemble du PIB des États-Unis. Cette grève constitue donc une menace pour les victoires économiques dont Biden se vante dans la perspective des élections de l’année prochaine. L’inflation a quelque peu diminué ; les chaînes d’approvisionnement encombrées qui ont rendu plus difficile l’achat de voitures et de bien d’autres choses sont seulement en train de se détendre. Mais la sortie de ces crises est loin d’être assurée, comme l’a récemment souligné le Wall Street Journal. Et cette grève pourrait contribuer à faire grimper les prix des voitures et à bloquer à nouveau les chaînes d’approvisionnement.

La grève menace également l’agenda impérialiste du Parti démocrate. La concurrence avec la Chine s’est intensifiée. La lutte des États-Unis contre la Chine sur le marché international des véhicules électriques en est un élément clé. Les Big Three et l’UAW sont notamment en conflit autour de la transition énergétique d’une partie du parc automobile et de la production. La production de véhicules électriques pose en effet une question essentielle : se fera-t-elle sur le dos des travailleurs ? Une grève longue de l’UAW retarderait la préparation des États-Unis à la compétition avec la Chine. C’est pourquoi, malgré toutes ses déclarations en faveur des syndicats, Joe Biden soutient le fait que la production de véhicules électriques se fasse avec un niveau de syndicalisation affaibli. La grève de l’UAW « entre en collision avec l’agenda industriel de Biden » à l’heure où les capitalistes américains sont loin derrière la Chine dans la vente de véhicules électriques, et Biden entend bien commencer à combler cet écart.

Biden court un autre danger

Une grève réussie de l’UAW pourrait par ailleurs enhardir de nombreux autres travailleurs. Comme le montrent la grève de l’UAW et la lutte d’UPS, les aspirations de la classe ouvrière aux Etats-Unis sont de plus en plus fortes. Les travailleurs sont de moins en moins disposés à se contenter de moins que ce qu’ils méritent. Tous les regards sont tournés vers les travailleurs de l’automobile. Leur lutte a le potentiel de déclencher de nombreuses autres grèves.

La marge de manœuvre de Biden est également limitée par l’orientation de la droite – y compris Trump – qui tente d’utiliser sa politique en matière de véhicules électriques pour mettre le sort des ouvriers de l’automobile sur le dos de Biden. Ce « combat pour la classe ouvrière » entre Biden et le trumpisme sera probablement une caractéristique déterminante de l’élection de 2024. La force de Trump auprès des secteurs de la classe ouvrière industrielle du Midwest l’a porté à la victoire en 2016 et la capacité de Biden à reprendre certains de ces États cruciaux – dont le Michigan – a été essentielle pour lui permettre de remporter la victoire en 2020. Aujourd’hui, alors qu’une probable revanche électorale se profile à l’horizon, Joe Biden tente désespérément de sortir de la grève de l’UAW avec le soutien de ce secteur clé et envisage même de se rendre sur le piquet de grève, ce qui serait une première pour un président en exercice. Pour le moment, les dirigeants de l’UAW se rendent bien compte de leur pouvoir et refusent d’accorder leur soutien à Biden.

Connaître ses ennemis

Biden et les dirigeants du Parti démocrate ont été mis au pied du mur pour le moment, face à des secteurs de la classe ouvrière de plus en plus en colère et de plus en plus actifs. De quoi pousser le Président à faire pression pour une résolution rapide en faveur de l’UAW, en tentant de déjouer ainsi les plans de Trump qui essaie également de courtiser les travailleurs de l’UAW en se rendant à Detroit. Un soutien refusé par Shawn Fain, président de l’UAW, à juste titre tant, au cours de son mandat, Trump s’est montré violemment hostile aux travailleurs, offrant d’énormes concessions à la classe capitaliste, affaiblissant le National Labor Relations Board (NLRB), etc…

Mais il ne faut pas perdre de vue que, si Biden peut penser qu’il est le champion des travailleurs et des syndicats face à Trump, le Parti démocrate paie ses factures grâce aux dons considérables des entreprises et du capital financier, comme Kim Moody, Thomas Ferguson et bien d’autres l’ont montré à maintes reprises. Ce parti travaille pour la classe capitaliste. Il y a quelques mois, les priorités du gouvernement et du parti sont apparues clairement de ce point de vue. Les syndicats des chemins de fer avaient démocratiquement voté la grève afin d’obtenir, entre autres, d’importantes concessions en matière de sécurité. Or, une grève des chemins de fer menaçait également l’économie en proie à l’inflation. Biden est intervenu, avec l’aide de la quasi-totalité de son parti, y compris Alexandria Ocasio-Cortez, pour imposer un accord antidémocratique aux travailleurs et empêcher la grève. La catastrophe du déraillement du train de East Palestine, dans l’Ohio, s’est produite quelques semaines plus tard.

Le démarrage progresif de la grève de l’UAW, avec seulement 10 % des travailleurs des Big Three en grève à ce stade, et la combativité et la préparation de l’UAW, qui leur donnent clairement l’avantage pour l’instant, ont amené Biden à intervenir pour le bien de l’économie en faisant pression sur les patrons des Big Three. Mais Biden est loin d’être le champion de l’UAW. Sa principale priorité est le bien-être de l’économie capitaliste et ses profits. Pour lui, la principale menace à éviter est une grève longue qui bloquerait l’économie. Des intérêts contradictoires avec ceux des travailleurs de base de l’automobile, pour qui une grève perturbant l’économie aiderait à intensifier la lutte pour obtenir non seulement un bon contrat, mais aussi pour construire un rapport de forces durable, nécessaire pour défendre leurs acquis, protéger leurs emplois contre les licenciements et lutter pour organiser de nouveaux syndicats dans le secteur des véhicules électriques, qui n’est pas syndiqué.

Un pouvoir réel

Biden se fait le champion de l’UAW, poussant une partie de la classe capitaliste à faire des concessions aux travailleurs. Mais il a toujours été clair : son objectif est de sauvegarder l’économie impérialiste et capitaliste des États-Unis et les profits qui la font fonctionner. L’UAW détient actuellement un énorme pouvoir entre ses mains. Mobilisée, en colère, elle et prête à faire grève pour obtenir des concessions majeures de la part des patrons qui ont réalisé d’énormes profits sur le dos de ses travailleurs. Un pouvoir que Biden est forcé de reconnaître et qui le place dans une situation contradictoire, où il doit faire pression sur les patrons des Big Three pour qu’ils fassent des concessions, tout en faisant en sorte que la grève prenne fin rapidement pour que les profits des capitalistes continuent d’affluer.

Le véritable pouvoir de l’UAW provient de ses travailleurs de base et de leur organisation, car ce sont eux qui produisent toute la valeur qui sort des usines. C’est la source de l’arme la plus puissante des travailleurs à l’heure actuelle : la grève. Ce pouvoir doit être organisé à partir de la base afin de libérer son véritable potentiel. Les travailleurs doivent décider de la progression de la grève, sans interférence de Biden, Trump ou de tout autre politicien capitaliste – puisque ce sont leurs vies et leurs moyens de subsistance qui sont en jeu, et que ce sont eux qui produisent tous les profits des patrons.

En ce sens, les travailleurs doivent s’organiser ensemble, au sein de comités de grève dans l’usine et aux niveaux régional et même national, pour s’assurer que la grève s’étende et se renforce, qu’elle résiste à toutes les tentatives de cooptation de la part des politiciens et qu’aucun accord limité ne soit imposé aux travailleurs à l’avenir. C’est ce que Biden craint le plus en ce moment – la puissance et la combativité des travailleurs de l’UAW. Ce sont eux qui doivent décider de la suite de la grève, pas Biden. L’avenir est entre les mains de la base.


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