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Crimes coloniaux

Le 17 octobre 1961, l’Etat français tuait des centaines d’Algériens à Paris

Il y a 62 ans, la police française massacrait des Algériens en plein cœur de Paris dans le cadre d’une manifestation contre le colonialisme de l’État français. Retour sur la répression d’État la plus meurtrière en Europe depuis le Seconde Guerre mondiale.

Karl Nara

17 octobre 2023

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Le 17 octobre 1961, l'Etat français tuait des centaines d'Algériens à Paris

La France massacre des Algériens

Le 17 octobre 1961, les Algériens manifestaient à Paris à la suite de l’instauration par le préfet de police de Paris, Maurice Papon, d’un couvre-feu visant la communauté algérienne à partir de 19h. Ce dernier, ancien secrétaire général de la préfecture de Bordeaux en 1942, collaborateur notoire, fit déporter 1500 Juifs bordelais pendant la Seconde Guerre mondiale.
Pour la répression parisienne, Maurice Papon s’inspire directement du « mode opératoire appliqué par l’armée coloniale en Algérie notamment lors de la « Bataille d’Alger » de 1957 ». Arrestations de masses, torture et sabotage des actions politiques faisaient pleinement partie de la doctrine de maintien de l’ordre de Papon.

Ces méthodes débutent dès la mise en place du couvre-feu : ratonnades, rafles, contrôles aux faciès, emprisonnements, confiscations de papiers d’identité et exécutions sommaires sont mises en place par la police parisienne ainsi que par des groupes d’extrême-droite comme l’Organisation de l’armée secrète (OAS). Au total, ce sont des dizaines de corps d’Algériens qui seront retrouvés dans les bois de Bologne et Vincennes, ainsi que dans la Seine, et même proche de certains lieux de travail. Ces méthodes de violence politiques profondément racistes démontrent la volonté de l’État colonial français de semer la terreur parmi les populations algérienne vivant sur le territoire métropolitain.

Mais le 17 octobre, ce sont près de 40 000 algériens (hommes, femmes et enfants) qui rejoignent la manifestation contre le couvre-feu à Paris. Le dispositif répressif policier est énorme. Des barrages sont constitués à plusieurs portes de Paris pour empêcher les manifestants d’entrer dans la ville. Des policiers armés sont placés dans les stations de métro et des bus de la RATP sont réquisitionné pour transporter les manifestants dans des centres de rétention. Pour déchaîner les policiers, Papon n’hésite pas à diffuser le mensonge du décès de certains policiers.

Ainsi, la nuit du 17 octobre la police française use des meilleures techniques de répression contre-révolutionnaire française qui sont vite reconnues et exportées internationalement, notamment en Amérique latine pour appuyer les dictatures chilienne ou argentine.

Le bilan officiel de l’époque faisait écho de deux morts, causés selon les autorités par des « luttes fratricides entre Nord-Africains ». Aujourd’hui, les historiens comptent entre 100 et 200 Algériens massacrés cette nuit-là. Un bain de sang que Paris n’avait pas connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Devant le nombre important de morts, les policiers finissent par s’en débarrasser en les jetant dans la Seine. Des corps qui seront repêchés quelques jours plus tard. Le 31 octobre, c’est le corps de Fatima Bedar, 15 ans, qui est retrouvé. Bien sûr, il faut ajouter les centaines de personnes blessées par balle et par des coups de matraques, les centaines d’Algériens expatriés vers les prisons d’Algérie, ainsi que pas moins de 15 000 personnes interpellées et entassées dans les centres d’internement. Le mensonge sur les chiffres officiels a été entretenu par les autorités pendant 30 ans. C’est l’historien Jean-Luc Einaudi qui en 1991 publie son livre La Bataille de Paris dans lequel il révèle les véritables chiffres.

Derrière les commémorations hypocrites, la France poursuit ses politiques impérialistes et racistes

Comme l’année précédente, Emmanuel Macron se targuera probablement d’un tweet pour dénoncer ces « crimes inexcusables ». Probablement qu’il mentira encore sur les chiffres, n’évoquant que « des dizaines de morts » et des « centaines de blessés ».

Le 16 octobre 2021, l’Élysée publiait un communiqué pointant la responsabilité de Maurice Papon dans ce massacre : « Les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République ». En faisant de Maurice Papon le responsable plein et entier de ce massacre, l’Élysée voulait dédouaner De Gaulle et la République. Le 17 octobre 2021, c’est Didier Lallement, alors préfet de Police de Paris qui rendait un hommage hypocrite pour les 60 ans du massacre. Cette commémoration –inédite– du préfet de police a constitué une récupération ignoble et cynique de la mémoire des victimes du 17 octobre 61. La doctrine répressive de Didier Lallement s’inscrit en effet dans la droite lignée de Papon, que ce soit avec la répression raciste des migrants à Paris ou celle des Gilets Jaunes.

Comme l’explique le sociologue Mathieu Rigouste, ces doctrines répressives s’inscrivent dans « une matrice institutionnelle de la France contemporaine en offrant un répertoire de techniques de contrôle des populations ». Cette matrice, qui a évolué depuis les années 1950, a pourtant gardé comme point essentiel la désignation des étrangers et en particulier des musulmans issus des anciennes colonies françaises comme « ennemi intérieur ».

Un exemple particulièrement parlant de la continuité coloniale qui s’exprime dans le traitement policier des populations de l’immigration post-coloniale se trouve dans la création de la Brigade anticriminalité (BAC) qui intervient dans les quartiers populaires. En effet, créées en 1971 par Pierre Bolotte (ancien haut fonctionnaire aux colonies) ces unités de police sont envoyées dans les banlieues parisiennes et en Seine-Saint-Denis afin de mater les débuts de dénonciations de violences policières par les communautés arabes. Ainsi, c’est la République française et sa police, racistes et colonialistes, et qui ont massacré les Algériens à Paris et qui encore aujourd’hui, tuent dans les quartiers populaires à l’image de Naël, Zineb Redouane, Adama Traoré, Zyeb, Bouna, et tant d’autres. Et c’est également contre la jeunesse d’origine immigrée des quartiers populaires que l’État a utilisé le couvre-feu en 2005 et en 2023 dans certaines villes après la mort du jeune Naël.

Depuis 2017 et le début de présidence d’Emmanuel Macron, les politiques répressives, sécuritaires et racistes se sont succédées avec la dissolution du CCIF et de Baraka City, la loi sécurité globale, la loi immigration ou encore les offensives islamophobes à l’école.

Aujourd’hui la politique impérialiste et pro-coloniale de la France se poursuit avec une actualité frappante dans le cadre d’une possible intervention militaire d’Israël à Gaza. Alors que les massacres de palestiniens, les bombardements sur Gaza par l’armée israélienne s’enchaînent avec une ampleur inédite, l’État français soutient plus que jamais Israël et a décidé de réprimer et criminaliser systématiquement toute expression de soutien à la lutte du peuple Palestinien en France. Chaque manifestation est interdite, et oser soutenir le droit du peuple palestinien à se défendre et taxé « d’apologie du terrorisme ».

Aujourd’hui, la lutte continue

Les descendants des victimes de cette nuit de massacres continuent de commémorer cette date pour continuer de lutter contre le racisme d’État et les violences policières. La vérité et la justice pour les victimes des violences racistes de l’État français doivent être faites. Aujourd’hui, où le soutien au peuple palestinien est plus que jamais empêché par la répression et la propagande médiatique du régime, la meilleure commémoration aux victimes du massacre colonial du 17 octobre 1961 est de lutter avec détermination pour faire exister le droit de soutenir les peuples opprimés, au premier rang desquels le peuple Palestinien, afin de faire résonner les aspirations antiracistes et anticolonialistes des manifestants du 17 octobre 1961 et leur rendre hommage.

Des rassemblements ont lieu dans plusieurs villes de France, et, à Paris, un rassemblement est appelé Place Saint Michel à 18h.


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