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État colonial

Offensive coloniale contre le droit du sol à Mayotte : Darmanin annonce une réforme constitutionnelle

Alors que le Conseil constitutionnel a censuré les exceptions coloniales de la loi immigration, Darmanin annonce une réforme constitutionnelle en 2024 pour durcir le droit du sol à Mayotte, profitant de la crise sur l’île.

Camille Yomiclo

9 février

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Offensive coloniale contre le droit du sol à Mayotte : Darmanin annonce une réforme constitutionnelle

Crédit photo : Visite de Darmanin à Mayotte, juin 2023. Capture d’écran, Mayotte la 1ère.

Un projet de réforme constitutionnelle pour s’attaquer de nouveau au droit du sol à Mayotte

En pleine crise à Mayotte, alors que l’île est paralysée par des barrages de collectifs d’habitants dénonçant l’insécurité et la présence des étrangers, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a profité de la séquence pour avancer son agenda xénophobe. Jeudi 1er février, lors d’un colloque sur les Outre-mer organisé par le journal Le Point, il a annoncé une réforme constitutionnelle pour restreindre le droit du sol sur l’île, en ancrant son statut d’exception dans la constitution.

« L’autorité de l’Etat va se mesurer non pas simplement en nombre de policiers et gendarmes supplémentaires, mais au changement de droit, sans doute très profond, qu’il faut pour empêcher la venue de ces personnes à Mayotte » a-t-il expliqué. L’annonce survient après la censure du Conseil constitutionnel des exceptions coloniales de la loi immigration.

Cette proposition incarne un nouveau saut dans la gestion répressive de l’immigration sur l’île, une politique anti-migration d’exception prétendant répondre à la situation sociale dramatique de Mayotte où près de 80% des habitants, mahorais compris, vivent sous le seuil de pauvreté. Encore une fois, face aux crises sociales découlant de la gestion coloniale de l’île, le gouvernement désigne les migrants, et plus particulièrement les femmes comoriennes qui « [accoucheraient] quasiment dans les kwassa-kwassa » comme responsables des crises sociales, économiques et sanitaires alimentées par une situation souvent qualifiée de « péril démographique ».

Alors qu’il vient de passer une loi immigration d’une brutalité historique, le gouvernement veut maintenant entériner le statut d’exception juridique à Mayotte, comme l’a expliqué Darmanin : «  Il faudra changer, dans la Constitution, les règles du droit du sol et l’accès à la nationalité si on veut radicalement changer les choses à Mayotte … Notre volonté est de faire en sorte que les deux parents doivent être français ou réguliers, et que ce soit plus d’un an avant votre naissance  ».

Dans l’hexagone, le droit du sol s’applique automatiquement à 18 ans pour un enfant né en France de parents étrangers, s’il réside en France au moment de ses 18 ans et s’il a vécu en France pendant au moins 5 ans depuis ses 11 ans. Avec la loi Collomb de 2018, ce droit a connu un premier durcissement à Mayotte, conditionnant l’accès à la nationalité au fait d’avoir au moins un parent en situation régulière depuis trois mois avant la naissance de l’enfant. La loi immigration devait durcir encore davantage ce droit en augmentant cette condition de régularité du séjour à 1 an pour Mayotte. Elle prévoyait aussi d’étendre ce droit d’exception à deux autres colonies, la Guyane et Saint-Martin, avec des conditions légèrement différentes : la durée de régularité d’un des deux parents était portée à 9 mois pour la Guyane et à 3 mois pour Saint-Martin. Ces mesures avaient été retoquées au Conseil constitutionnel.

Les réformes annoncées par Darmanin pour 2024 devront être précisées par Macron, qui devrait se rendre à Mayotte dans les prochains mois.

Un projet inscrit dans la continuité de la politique impérialiste de la France menée dans la région

Darmanin avait déjà brandi cette fameuse « autorité » de l’État colonial l’année dernière, avec un déploiement massif de policiers et de militaires dans le cadre de l’opération d’expulsion d’étrangers, Wuambushu. Une opération qui, tout comme le régime dérogatoire en droit des étrangers déjà en place à Mayotte, rappelle combien l’Etat français a fait de cette colonie un terrain d’expérimentation pour sa politique répressive de surveillance et de chasse des étrangers.

Aujourd’hui, Mayotte est plongée dans une crise, sur fond d’un taux de pauvreté de près de 80%, d’attaques de bandes de jeune plongés dans la misère et d’une sécheresse historique. Le tout ancré clairement dans le désinvestissement de l’État français, qui cherche principalement à maintenir ses intérêts économiques dans la région. Dans ce contexte, Darmanin présente la constitutionnalisation de l’exception sur le droit du sol à Mayotte comme réponse aux collectifs d’habitants qui bloquent la circulation et manifestent en agitant des revendications xénophobes.

La France porte une responsabilité coloniale historique dans le sous-développement de la région, et donc des causes de l’immigration. En 1974, la France a arraché Mayotte à l’archipel des Comores, contre tout respect du droit international, pour assurer ses intérêts dans la région très stratégique (défense des projets gaziers de Total, contrôle des routes commerciales dans le canal du Mozambique, maintien d’une base militaire dans la zone). Or, les peuples ont toujours circulé librement entre ces îles. L’État français, voyant l’immigration comme une « menace » pour la stabilité à Mayotte et donc pour ses intérêts, a longtemps cherché à contrôler et réprimer les sans-papiers venant principalement des Comores, mais aussi d’autres pays africains comme le Rwanda, le Burundi, ou de Congo-Brazaville. Ainsi, tout en menant activement une politique de pillage et de déstabilisation dans la région, la politique françafricaine a activement contribué au sous-développement de l’archipel contribuant aux mêmes causes poussant à l’immigration vers Mayotte, véritable îlot de pauvreté dans un océan de misère.

Le projet d’un durcissement plus important du droit du sol (et plus largement du droit des étrangers et de la nationalité) à Mayotte s’inscrit dans cette xénophobie entretenue par l’impérialisme français et ses politiques coloniales. L’annonce de Darmanin relève également d’une ambition politique solidement ancrée dans les gouvernements successifs, un projet pensé, souhaité et annoncé par l’Etat français depuis au moins 2005. Le 17 septembre 2005, François Baroin, alors ministre de l’Outre-mer, annonçait déjà dans une interview au Figaro Magazine qu’à Mayotte, «  le droit du sol ne doit plus en être un  ». Après avoir essuyé plusieurs échecs, ce n’est qu’en 2018, avec la loi Collomb, que le projet d’attaque du droit du sol trouvera un débouché dans ce confetti de l’Empire.

Un pas de plus vers l’expérimentation de la répression xénophobe dans les outre-mer

Survenant juste après le passage de la loi immigration, ce projet de réforme constitutionnel et la nouvelle attaque du droit du sol annoncée par Darmanin constituent un pas de plus vers l’expérimentation de mesures ultra-répressives dans cet outre-mer, faisant de ce territoire un avant-poste des politiques xénophobes de l’État français. Les droits d’exception déjà bien en place dans la colonie avaient inspiré certaines propositions de la récente loi immigration, comme la suppression de l’AME. Bien que censurée par le Conseil Constitutionnel, Attal a promis de réformer l’AME sur l’ensemble du territoire national d’ici l’été. La proposition du Sénat de durcir le droit du sol pour l’Hexagone, par la suppression du critère d’automaticité, allait dans le même sens. Sans calquer à l’identique le droit d’exception déployé à Mayotte, sans doute jugé pour l’heure trop éloigné des « normes métropolitaines », la gouvernance coloniale de cet outre-mer en fait un territoire qui, comme l’annonçait déjà François Baroin en 2005, contribue « à la définition de quelques pistes nouvelle », en permettant de « faire bouger les lignes » et de « sortir des tabous ».

Loin d’apporter une solution à la situation de précarité généralisée dans l’ensemble de l’archipel, les politiques anti-migration ultra-répressive de l’Etat français ne font que fabriquer toujours davantage de sans-papiers, au mépris total de leurs vies. Le projet de réforme annoncé par Darmanin s’inscrit dans la droite lignée des politiques coloniales, xénophobes et criminelles menées sur l’île, au seul service des intérêts impérialistes de la France dans la région.


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