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Afrique

Présidentielle au Sénégal, entre espoirs et incertitudes

Le candidat du pouvoir, Amadou Ba, a reconnu la victoire de l’opposant Diomaye Faye même si les résultats officiels ne sont pas encore publiés. Beaucoup d’inconnues se dressent au-dessus du Sénégal.

Philippe Alcoy

25 mars

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Présidentielle au Sénégal, entre espoirs et incertitudes

Crédits Photos : Capture d’écran France 24

Changement radical. Une promesse qui éveille des espoirs pour les uns, une perspective qui inquiète chez les autres. Une grande porte vers l’incertitude semble s’être ouverte pour le Sénégal. Après trois ans de conflits politiques et sociaux, de mobilisation populaire et de répression, d’emprisonnement de dirigeants politiques et de dissolutions de partis d’opposition, de morts et de tentatives de manipulation des élections, les Sénégalais et Sénégalaises, sauf grand coup de théâtre (dont nous ne sommes pas à l’abri), savent désormais qui sera leur prochain président : Diomaye Faye.

Celui-ci est sorti de prison dix jours seulement avant le scrutin, aux côtés de son camarade, le très populaire Ousmane Sonko. Il y avait passé 11 mois pour avoir dénoncé l’emprisonnement abusif de Sonko l’été dernier. Les deux hommes politiques font partie du parti dissout par le pouvoir, le PASTEF (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité). Cette formation se présente comme représentant un « panafricanisme de gauche » et promet un changement « radical » dans le pays, notamment de mettre fin à la corruption, de faire respecter la souveraineté du pays, entre autres en rompant avec le Franc CFA et en renégociant les contrats d’exploitation gazière sur les côtés sénégalaises.

Ce discours a fonctionné auprès d’un électorat très jeune (la moyenne d’âge au Sénégal est de 19 ans) fatigué du chômage de masse (20% de la population active), des problèmes économiques qui poussent une fraction de cette jeunesse à risquer sa vie et à tenter de rejoindre l’Europe sur des embarcations de fortune.

Même si on comptait 17 candidats à l’élection, la polarisation politique était claire et tout le monde avait compris que le nouveau président serait l’un des deux principaux candidats, Faye et Ba. Amadou Ba, qui devait incarner la « continuité » du pouvoir du président sortant, Macky Sall, a rencontré beaucoup de difficultés pendant sa campagne. Premièrement son propre camp a envoyé des signaux qui indiquaient que l’on doutait de sa capacité à remporter la présidentielle. Pour beaucoup d’analystes le fait que le président Sall ait essayé de reporter l’élection témoignait de cette méfiance. En outre, au cours de la très courte campagne plusieurs figures ont fait défection et ont abandonné le candidat du pouvoir.

Aussi, dans un contexte de forte polarisation politique et d’épuisement de la figure du président Sall, le fait d’être directement rattaché à lui politiquement a certainement joué contre Ba. Un soutien du candidat Ba déclarait dimanche soir à Le Monde : « Nous payons les égarements de Macky Sall. Trois ans à pourchasser des opposants, emprisonner des manifestants. Jusqu’au report qui nous a coûté une partie de nos sympathisants. Et pourquoi a-t-il libéré Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko à dix jours du scrutin ? Pourquoi voulait-il tant saboter Amadou Ba ? ».

Il faudra encore attendre pour connaître quel sera le résultat final de l’élection, mais on peut aussi imaginer qu’un autre facteur a contribué à la victoire du camp Faye-Sonko : le soutien de dernière minute de Karim Wade, ancien ministre et fils de l’ancien président Abdoulaye Wade. En effet, le vendredi 22 mars, à quelques heures du début de l’élection, Wade a appelé ses partisans à soutenir Faye. Karim Wade est un rival du clan Sall et a tenté de se présenter, mais a été empêché à cause de règles électorales. Sall lui-même et même le gouvernement français ont agi essayant de permettre à Wade de se présenter. En effet, ceux-ci pensaient qu’une candidature de Wade avait plus de chances d’arriver au second tour et que celui-ci aurait fait une alliance avec Ba pour remporter l’élection au second tour face au tandem Faye-Sonko.

Il est possible que le ralliement de dernière minute de Wade à Faye soit guidé par du pur opportunisme, mais aussi comme une façon de se lier au camp gagnant et en quelque sorte de peser pour le modérer dans ses promesses et programme. En effet, le programme de Faye-Sonko reste un programme bourgeois, avec une tendance au souverainisme économique, même si avec une orientation assez conservatrice en termes de mœurs.

Par exemple, l’une des mesures phare du candidat qui se revendique panafricaniste, la rupture avec le Franc CFA, semble en réalité être une mesure plus graduelle. Diomaye Faye expliquait ainsi dans une interview récente comment il envisageait de procéder : « l’idéal serait de le faire dans le cadre de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avec l’éco [projet de monnaie unique ouest-africaine pour remplacer le franc CFA], mais cela traîne. L’alternative serait avec l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Nous pourrions avoir soit une monnaie nationale arrimée à une monnaie communautaire, soit une monnaie commune. Mais si le projet de la Cedeao n’aboutit pas et si l’Uemoa veut s’obstiner à rester sous tutelle monétaire, nous allons devoir envisager de prendre seul notre souveraineté, comme l’a fait la Mauritanie, qui a quitté le franc CFA [en 1973] ».

Pour l’impérialisme français, comme pour « les investisseurs », il y a beaucoup d’incertitudes concernant les orientations politiques du nouveau gouvernement sénégalais. Il y a des signaux qui montrent qu’il serait possible de maintenir les « bonnes relations » entre les deux Etats, une conseillère de l’Elysée avait d’ailleurs rencontré Sonko au Sénégal l’année dernière. En effet, on ne peut pas exclure que l’idée de Faye-Sonko soit de renégocier les relations entre le Sénégal et l’impérialisme français, sans pour autant rompre avec celui-ci ou même jeter un froid sur leurs liens.

Cependant, la pression populaire pourrait pousser le gouvernement à aller plus loin que son plan initial. Faye a d’ailleurs déclaré qu’il n’excluait pas se rapprocher de la Russie en matière de sécurité en l’associant aux partenariats historiques du pays avec la France, l’UE et les Etats-Unis. En ce même sens, ceux qui ont un sourire au coin des lèvres aujourd’hui ce sont les militaires au pouvoir dans les trois pays du Sahel en rupture avec la France, le Mali, le Niger et le Burkina Faso.

Dans les prochaines semaines et mois nous verrons cependant si le nouveau pouvoir réussit à s’installer sans créer une situation d’instabilité politique (situation qui pourrait surgir rapidement si une partie des partisans du clan Sall n’accepte pas la défaite dans un contexte de grande polarisation). Dans cette situation, même si la victoire de Faye soulève beaucoup d’espoirs parmi la jeunesse populaire et les classes laborieuses, force est de constater que le prolétariat sénégalais et les classes populaires n’ont pas une alternative propre, de classe, portant un projet d’émancipation. Le tandem Faye-Sonko, comme nous l’avons dit, porte un projet bourgeois, avec des aspects souverainistes qui rentrent partiellement en contradiction avec des aspects de la domination impérialiste, mais sûrement pas un projet prolétarien capable d’offrir une alternative véritable pour la libération de l’oppression impérialiste. Pour ces raisons, les travailleurs et les travailleuses, la jeunesse gagneraient à rester très vigilants à propos du nouveau gouvernement.


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