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Tribune Libre

Réponse d’une enseignante aux voeux d’Emmanuel Macron : « l’école n’a rien à voir avec la Nation »

Emmanuel Macron avait prévenu durant sa campagne que l'Education serait sa priorité. C'est pourquoi il a voulu souhaiter une bonne rentrée à ses professeurs sous forme d'une lettre commune aux enseignants. Face au contenu de la dite lettre, une enseignante en littérature a voulu répondre dans nos colonnes au président de la République.

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Enseignante agrégée de littérature, j’ai reçu ce matin les bons voeux d’Emmanuel Macron pour la rentrée scolaire, comme tous les enseignants de l’Education nationale. Je vous fais parvenir ma réponse.

Ce matin, comme tous les enseignant.e.s de l’Education Nationale j’ai eu la chance de recevoir les vœux, pour la rentrée scolaire, d’Emmanuel Macron. Il s’agit d’une simple lettre de vœux, on pourrait ne pas s’y attarder comme on le fait de toutes ces cartes formelles de bienvenue ou de félicitations qu’on affiche sur le frigo sans presque les lire, qui disent toutes la même chose, signées par des mains différentes. C’est son apparence inoffensive qui fait d’elle une missive dangereuse. Cette lettre dit plus que « bonne rentrée », elle témoigne du regard porté par le Président de la République sur les enseignant.e.s et sur les enfants, elle parle de sa vision de l’école. En cela, il s’agit de ne pas s’y tromper et de la lire vraiment, pour ce qu’elle nous apprend de ce qui nous attend sous le gouvernement Macron, et sur notre situation actuelle. Elle est l’occasion parfaite de lire entre des lignes par ailleurs béantes et mal tissées.

Monsieur Macron commence sa lettre en croyant bon de distinguer l’individuel du collectif pour évoquer les « promesses » de l’école dont il rêve et qu’il porte aux nues. Non, l’école ne fait pas une « promesse individuelle » aux enfants qui ont « [leur] avenir entre [leurs] propres mains » et qui doivent l’assurer par « leur mérite » et « une promesse collective » pour une « société unie ». Séparer ces deux notions c’est manquer, d’emblée, l’objectif principal de l’éducation qui correspond à tenir ensemble l’individuel et le collectif qui sont un seul et même corps. L’individuel, qu’il place évidemment en premier, n’est pas une chose différente du collectif : le collectif est composé d’individus qui ont pleinement accès à leur individualité, à l’ensemble de leurs contradictions, de leurs possibilités, de leur puissance, pour former avec d’autres un projet commun qui permette l’unicité de chacun. L’individu n’existe que par le collectif qui l’autorise à être ; sans lui, il est mutilé.

Non l’école ne « construit » pas une « nation ». Ce n’est pas ce que nous faisons. Ce n’est pas ce que je fais. L’école ne construit pas. Elle doit s’employer à défaire, à casser ce qui a été figé, elle essaye de donner du mouvement là où s’est fossilisée la pensée, elle veut la rendre libre. Elle ne construit rien et surtout pas une nation, elle est un chantier de déconstruction, avec beaucoup de bruit, de poussière qui vole. L’école n’a rien à voir avec la nation, elle a à voir avec des humains qui veulent devenir autre chose que des chaises et des tables, elle ne donne pas naissance à un peuple français qui se définirait par les limites de son territoire, selon votre définition présumée de la nation. L’école veut permettre aux enfants, aux adolescents, de distinguer les bornes des limites : elle cherche à constituer un savoir commun qui puisse permettre l’ouverture et le contact, au lieu de se constituer en frontière. Elle accompagne des enfants dans leur réflexion autour de la souveraineté : d’où vient le pouvoir ? Faut-il vraiment regarder en haut, lever la tête pour le savoir ? Ce n’est pas ce que je veux. Je ne veux pas construire des enfants, ils ne sont pas en kit, je veux leur donner les outils pour agir, ouvrir leurs mains pour qu’ils soient, en tant que peuple, souverain, acteur, pour qu’ils n’aient pas d’ordre à attendre de moi, en tout premier lieu.

Non, le problème n’est pas que « notre autorité » soit « contestée ». Le problème est que vous associez la notion d’autorité à l’enseignement. Je travaille à convaincre les enfants de leur légitimité à prendre la parole, à n’être pas d’accord, à exercer leur esprit critique, à entendre les divergences. Je ne forme pas de petits soldats et je n’en suis pas un. Ce n’est pas ce que nous faisons, en classe. Ce n’est pas ce que je fais. Nous travaillons sur les murs où nous sommes enclos avec eux. Le problème est que vous reprochez à « la société » de ne pas « [nous] donner la place qui [nous] revient pourtant de droit », pauvre de nous. Mais ce n’est pas à nous que la société doit faire de la place, et ce n’est pas à elle de créer de l’espace. C’est à vous de faire de la place, et de la faire pour les enfants et les adolescents, plutôt que de les enfermer dans des écoles ou de les en exclure.

Vous voulez, par exemple, « diviser par deux » les effectifs des classes de CP et de CE1 de l’éducation prioritaire à l’issue des rentrées 2018 et 2019. Mais vous ne parlez pas du nombre de postes d’enseignant.e.s qui devrait alors, logiquement, doubler, pour permettre plus de classes possibles. Vous ne parlez pas non plus de multiplier par deux les locaux qui devront les accueillir. Vous parlez d’une mystérieuse « évaluation » qui devrait nous permettre « d’agir plus vite encore pour aider les élèves « en difficulté », et je suis curieuse de savoir si elle va prendre la forme d’un examen angoissant où il s’agira pour eux de « réussir » ou d’ « échouer », et cela dès le début de l’année. Je m’interroge aussi, au sujet des élèves que vous considérez en « difficulté ». Si vous pensez à ceux qui refusent le système scolaire tel qu’il leur est proposé, ils sont, au contraire, en pleine possession de leurs moyens. Vous parlez des élèves en situation de handicap, qui ont droit, selon vous, à « une scolarité comme les autres, parmi les autres ». Ils ont surtout le droit à une scolarité qui leur soit adaptée, les vouloir « parmi les autres » c’est les vouloir dans des classes de plus de 30 élèves face à des enseignant.e.s non spécialisé.e.s, dans un programme qui ne correspond en rien à leurs besoins spécifiques.

Vous ne pouvez vous empêcher d’employer, bien sûr, votre mot fétiche, « réussir » : vous voulez même nous en « donner les moyens » au même titre que vous voulez « la réussite de nos élèves ». Non nous n’irons pas « plus loin » comme vous nous exhortez à le faire. Je veux être plus près. Je veux être juste là, ici, certainement pas en avant ni plus haut. Je n’ai pas pas d’autre « ambition » que de donner aux élèves les moyens de penser par eux-mêmes, c’est l’unique réussite, et cela n’a aucun rapport avec l’insertion dans la « vie active » qui vous tient tant à coeur, si ce n’est pour questionner ses enjeux et ses conditions. Nos « efforts » ne « payent » pas, selon votre métaphore monétaire favorite : nous n’attendons aucun rendement, aucun profit, ce n’est pas en ces termes que l’école se pense.

Vous nous « [faites] confiance pour agir » et vous avez raison. Mais détrompez-vous, nous ne « dessi[nons] » pas « aujourd’hui » « les traits de la France de demain ». Je ne dessine nulle part. Les enfants ont déjà des visages. Il faut les regarder dans les yeux, ils ne sont pas des faces blanches à colorier, souvent ils ont l’air sombre. Ce sont eux qui nous dessinent partout sur le corps, les bureaux, les portes, les cloisons, les plafonds.

Vous voulez « nourrir davantage » notre formation. Encore faut-il qu’elle existe. La première fois que je me suis retrouvée devant une classe, c’était le premier jour de mon premier poste. Je n’ai jamais étudié que la littérature et ce que j’ai appris de l’enseignement ce sont les enfants qui me l’ont donné, en même temps qu’ils s’efforçaient de devenir des apprenants. L’Education nationale ne forme pas ses professeur.e.s, ce sont les enfants qui s’en chargent. Nous essayons de le leur rendre, d’en être à la hauteur. Quand je suis devenue enseignante j’aurais aimé être prête à eux, être « armée » comme on l’entend souvent dans les médias au sujet de la formation des enseignant.e.s : être armée non pas contre eux mais pour eux, pour leur défense, pour leur révolte, pour leur colère et pour la mienne, pour leurs désirs, pour leurs rêves. Non pas pour les « préparer à la vie active et aux études supérieures » mais, éventuellement, au monde hors des murs de l’école, de l’université, de l’entreprise. Je ne veux pas les « préparer », je veux les habituer à s’étonner de ce à quoi ils sont, depuis l’enfance, préparés. Je veux qu’ils soient choqués du monde qui leur est servi et choqué du monde dont ils sont privés. Je leur apprends à se tenir droit pour faire face ensemble, à dire nous à dire non, j’essaye de leur donner le goût et la saveur de la terre avant qu’ils ne s’y écrasent tête la première poussés du haut des écoles en feu par nous leurs professeur.e.s, par ce que vous voulez faire de nous.

Crédits photos : @ MAX PPP

La lettre d’Emmanuel Macron aux enseignants :


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