Mi-novembre, Marie (pseudonyme), élève de terminale au lycée Auguste Blanqui de Saint-Ouen, s’est vu passer neuf nuits d’affilée dehors. Son récit est éloquent : « En réalité, c’était impossible de dormir. Il faisait beaucoup trop froid et surtout, je veillais sur ma mère gravement malade et sur ma sœur qui souffre de crises d’épilepsie. Nous avions peur ».

La mère de Marie a perdu son travail en septembre 2015, plus de revenus, plus de logement. « Nous avons été hébergées par une cousine de ma mère dans l’Essonne pendant onze mois », explique Marie qui, scolarisée à Saint-Ouen en classe de première à l’époque, faisait trois heures de trajet aller-retour chaque jour. « C’était épuisant. Mais cette cousine ne pouvait plus nous prendre en charge, c’était trop lourd pour elle, nous avons dû partir » , ajoute-t-elle. Marie se souvient de ce vendredi comme si c’était hier. « Nous avons passé notre journée à appeler le 115. Ils ont pu nous loger à l’hôtel durant le week-end à Sarcelles, puis plus rien. On passait nos journées à les appeler mais ils n’avaient plus rien à nous proposer. On nous avait dit qu’il fallait appeler dès 9 h au moment où ils attribuaient les places. A 9 h tapantes, on était déjà au taquet mais il n’y avait plus aucune place. On nous demandait de dormir sous des cages d’escalier, dans des églises ». Au vu de la quantité d’immeubles vides à Paris, on se demande comment est-il possible que Marie et sa famille doivent dormir dans la rue.
Marie avait informé l’assistante sociale du lycée de sa situation.« Tous les matins, elle me laissait un gel douche et une serviette à l’infirmerie pour que je puisse me débarbouiller et un peu de nourriture » . Malgré cette situation d’extrême précarité, Marie n’a raté quasiment aucun cours. « C’était important de continuer à aller en classe. Surtout, c’est le seul endroit où j’étais à l’abri ». Sans emploi, sa mère se « débrouille désormais en faisant des ménages et en coiffant à droite à gauche » . « On s’est senti très seules, poursuit la maman. J’étais dépassée. Deux filles avec moi, je ne savais pas quoi faire ni vers qui me tourner ».

Face à l’inaction de l’État, les travailleurs organisent la solidarité

Les professeurs du lycée ont monté un comité de coordination d’aide aux élèves. Grâce à cette collecte, Marie, sa mère et sa petite sœur sont provisoirement à l’abri dans un deux-pièces jusqu’au 28 décembre. Au total, ce sont 6 élèves, deux garçons et quatre filles, qui sont dans des situations de grande précarité et d’urgence au lycée Blanqui de Saint-Ouen.
Alice Mauricette, professeure d’espagnol de Marie, fait partie de ce comité. « C’est l’assistante sociale du lycée qui a lancé l’alerte relayée par les professeurs principaux. Marie et sa famille avaient passé plusieurs nuits à la rue, n’avaient rien à manger. Avec quelques collègues, nous avons lancé une collecte dans la salle des professeurs ». L’argent récolté a servi à payer les premières nuits d’hôtel dans un établissement près du lycée. « On a vachement bien dormi » , se souvient la maman.
Des enseignants récoltent aussi de la nourriture. Alice, elle, récupère de la nourriture non vendue de l’AMAP de son quartier. « J’étais impressionnée par toute cette aide, relate Marie. Je ne savais même pas comment réagir. Je ne m’y attendais pas » . Parmi ses camarades, la solidarité aussi s’organise.

« On ne peut pas fermer les yeux et faire comme si ces situations n’existaient pas ! »

Au lycée Auguste Blanqui, les quatre autres élèves, pris en charge par le 115, se heurtent à un Samu social saturé. « Forcément, parfois, on ne peut rien leur proposer », explique Sophie Mazet, professeure d’anglais au lycée. « La cagnotte que nous avons mise en place va permettre de faire face aux autres situations d’urgence. Il y a d’autres élèves en situation dramatique qui nous reviennent aux oreilles. On sait que ces situations vont se reproduire. Ce sont des familles en détresse, sans revenus. Le problème c’est que les pouvoirs publics ne semblent pas se bouger », s’insurge Alice Mauricette.
« Nous aussi, nous pourrions nous cacher derrière notre seule mission de professeur. Mais ces élèves, nous les voyons autant que leurs propres parents ! On ne peut pas fermer les yeux et faire comme si ces situations n’existaient pas ! On nous demande de les accompagner dans leur orientation, de les aider dans leurs projets et tout d’un coup, on devrait ne pas se sentir concernés par leur situation de grande précarité ?! » 

Une situation qui n’est pas nouvelle au lycée Auguste Blanqui et… ailleurs ?

Selon plusieurs enseignants, la situation n’est pas nouvelle au lycée Blanqui. « Durant les vacances scolaires de la Toussaint, une collègue a laissé son appartement à deux élèves, deux frères et leurs deux parents. Ce sont deux excellents élèves dont j’aurais pu ne jamais entendre parler de la situation alors même qu’ils sont encore mes élèves. Mais ils ne se confient pas. Ils sont hébergés par le 115 et appellent encore toutes les semaines. Ce sont des élèves qui, en général, ne souhaitent être dépendants de quiconque », explique Alice Mauricette.
Marie, sa sœur et sa maman resteront dans le deux-pièces du 19e arrondissement jusqu’au 28 décembre. Les enseignants leur ont également trouvé une solution jusqu’au 21 février. Mais après ? La professeure d’espagnol, ajoute :« On a clairement l’impression de se substituer à l’État et aux administrations. On ne nous laisse pas le choix ».

Mais, combien d’autres lycéens vivent au quotidien le même cauchemar que Marie ? Cette précarité lycéenne est révoltante. « On nous demande de les accompagner dans leur orientation, de les aider dans leurs projets et tout d’un coup, on devrait ne pas se sentir concernés par leur situation de grande précarité ?! », questionne Alice Mauricette. Aux travailleurs de l’éducation de ne pas laisser tomber ces jeunes et leurs familles, de créer des collectifs pour organiser la solidarité de la population, d’interpeller les syndicats pour qu’ils prennent en charge ce combat contre la précarité lycéenne. Alors que les élèves qui se trouvent dans cette précarité ont besoin d’un toit en toute urgence, il y a des milliers de logements vides dans toute la région parisienne. Il faut les réquisitionner pour héberger les lycéens et leurs familles, afin qu’ils puissent continuer leur scolarité dans des conditions dignes. Cette mesure d’urgence devrait s’articuler à un vrai plan de construction de logements pour tous, discuté et piloté par les principaux intéressés, les travailleurs, et financé avec l’argent public qui est aujourd’hui détourné en cadeaux aux patrons.

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