Depuis le 9 janvier 2023, le procès des 3 brigadiers qui ont interpellé Théodore Luhaka le 2 février 2017 à Aulnay-sous-bois a débuté au tribunal de Bobigny (93). Théo a pu donner son témoignage à la barre lundi, malgré son handicap qui a nécessité qu’il soit assis sur un coussin. Il a raconté l’interpellation, les violences qu’il a subi et la souffrance depuis. A la barre, Théo fait état de l’horreur de l’agression qu’il a subit : « Je suis devenu un truc, une agression, une "Théo". "Une Théo", c’est une matraque dans les fesses. Peu importe ce que je fais, je serai toujours celui qui s’est fait violer ».

Les médecins qui se sont portés sur l’affaire sont tous unanimes sur la qualification d’infirmité permanente causée par les coups de matraque de Marc-Antoine Castelin, membre de la brigade BST, accusé lors de ce procès. Les dégâts sont la rupture du sphincter et la lésion du canal anal, occasionnant une incontinence fécale et une sténose anale, l’handicapant à 90%.

Théo déclare au tribunal : « Au niveau des selles, j’ai trouvé un système : tu ne manges pas, tu n’as pas de selles. Mais les gaz, on m’a dit : “Tu pourras jamais les enlever” ». Le handicap le cloisonne à rester chez lui, à regarder des séries toute la journée, sans capacité de rémission. Sa sœur, devant les jurés, dit : « Les transports en commun, il ne les prend plus. C’est plus la même personne. C’est dur de le voir comme ça ».

Au-delà des dégâts irréversibles au niveau physiologique, les conséquences de l’interpellation l’ont énormément affecté sur le plan moral. Son comportement a beaucoup changé. Le traumatisme, le manque de perspectives dû à son handicap tout cela a conduit à la perte, petit à petit, de ses amis proches. Son psychiatre a décrit qu’il avait « des idées de suicide » à l’approche du procès.

La fin de la médiatisation de l’affaire l’a fait tomber dans une dépression sur sa condition, malgré son soutien lors des manifestations contre les violences policières : « En fait, je ne sers plus à rien. La réalité, c’est que je suis mort. Le 2 février 2017, je suis vraiment mort, ce n’est pas une image. Dans les manifs, sur les pancartes, il y a écrit "Zyed, Bouna, Théo, Adama". Demain, le procès finira, les gaz, les selles, les fuites continueront, et ma famille continuera de voir un mort-vivant enfermé dans sa chambre ».

Les impacts psychologiques l’empêchent même de pouvoir prendre des traitements palliatifs, ce qui lui a été reproché par la défense des brigadiers, osant sous-entendre qu’il n’a pas voulu se soigner pour apitoyer le jury. Or les soins, décrits comme particulièrement intensifs, le replongerait dans une situation traumatique, sans qu’il ne puisse guérir entièrement. Théo dit à ce sujet : « Pourquoi prendrais-je le risque de me soigner ? On vous met tout nu, on vous met un truc dans les fesses, vous revivez la scène qui vous a mis ce traumatisme, c’est encore pire. »

Lors du procès, les policiers se défendent, allant jusqu’à se placer en victime de la médiatisation, d’avoir commis les violences de façon volontaire. Après la non-qualification des faits en viol, les institutions ont continué à défendre le travail des policiers notamment l’IGPN parlant d’« incompréhension » de la part du policier qui a mis un coup de matraque.

Près de sept ans après les violences subies, Théo reste en attente d’un acte de justice. Une justice qui rappelle à chaque occasion qu’elle se place du côté des bourreaux qui, comme le dit le représentant de l’accusation, lui ont volé sa jeunesse. A d’autres, comme Adama, après que la gendarmerie ait volé la vie, la justice a volé une seconde fois la dignité d’être humain, en déclarant un non-lieu. Pour Théo comme pour tous les autres, pas de justice pas de paix !