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Bretagne

Nouveaux dispositifs policiers et surveillance accrue : l’offensive sécuritaire se déploie à Brest

Entre la destruction du squat culturel et politique de l’Avenir, les associations sanctionnées, les manifestations interdites et réprimées par la police ou encore la plainte de Darmanin contre un syndicaliste, les politiques sécuritaires s'intensifient à Brest.

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Nouveaux dispositifs policiers et surveillance accrue : l'offensive sécuritaire se déploie à Brest

Crédits photo : Ambredav

Le milieu militant vivait jusqu’ici dans une relative tranquillité et avait été plutôt épargné par la répression, mais celle-ci s’est accélérée à l’automne 2022. Depuis 2015, le site de l’Avenir en centre ville place Guérin était occupé pour lutter contre la gentrification, suite à une promesse non tenue par la mairie socialiste d’y construire une salle de quartier. Des militants et habitants du quartier l’avaient finalement bâtie eux-mêmes. Cet été, la sous-préfecture est allée jusqu’à envoyer le RAID pour déloger les personnes assurant la défense du lieu et assurer sa destruction.

Baisse du consentement et tournant autoritaire

Cette exacerbation autoritaire s’inscrit dans un contexte de résurgence de la lutte des classes depuis 2016 et la première loi travail, en passant par le mouvement des Gilets jaunes initié en novembre 2018, celui, massif, contre la réforme des retraites en 2023 puis cet été, la révolte des quartiers populaires suite au meurtre de Nahel par un policier. Sur fond d’inflation, partout, le consentement au pouvoir de Macron et au gouvernement à la base sociale de plus en plus minoritaire s’amoindrit, et favorise un sautdans l’autoritarisme du régime qui criminalise les soutiens à la Palestine et multiplie les dissolutions comme celle de la Défense Collective de Rennes le 3 avril 2024.

 Le monde du travail est également touché par la répression en réaction au mouvement des retraites de 2023 : plus de 1000 syndicalistes sont poursuivis en justice pendant que des délégués syndicaux sont sous le coup d’une offensive patronale dure, comme c’est le cas de Christian Porta, délégué CGT du site Neuhauser de Fürst actuellement menacé de licenciement.

Le pouvoir local prend ses dispositions sécuritaires

Le 25 novembre 2021, François Cuillandre, maire de Brest, et Philippe Mahé, préfet du Finistère, signaient une convention de sécurité portant jusqu’à 2026. Ce, afin d’augmenter le nombre d’agents des forces de répression de 16% sur cinq ans et d’instaurer début 2022 une Brigade Anti Criminalité de jour. Jusqu’ici son service ne s’effectuait que la nuit.

Au menu également : 15 caméras de vidéosurveillance « à des points stratégiques du centre-ville et de certains quartiers, afin de mieux lutter contre les trafics de stupéfiants » promises pour ce même début d’année par un pouvoir socialiste local qui jusqu’ici se refusait à utiliser ce type d’arsenal sécuritaire... Brest était alors l’une des rares villes de sa taille à ne pas en disposer. Ce, alors que « la ville est déjà équipée de quelque 700 caméras, pour la protection des bâtiments publics et les transports en commun »selon le maire.

Une « Brigade de Tranquillité Urbaine », qui a pour fonction d’assurer une présence « dissuasive » dans l’espace public et dispose d’un pouvoir de verbalisation a été inaugurée le 15 novembre 2022 « en contact direct avec le commissariat central », comme le rappelle Yohann Nédélec, adjoint au maire en charge de la tranquillité urbaine. Celui-là même qui clamait avoir« tout fait pour tendre la main et s’embarquer dans une belle histoire  » avec le collectif Pas d’Avenir sans avenir avant d’orchestrer la destruction du site.

Des signes avant-coureurs d’une montée en puissance de la répression

Le 18 octobre 2022 s’est institué l’espace d’auto-organisation militante de l’AG des luttes de Brest, après une manifestation pour l’augmentation des salaires et pour la défense du droit de grève (les raffineurs venaient d’être réquisitionnés). Le 10 novembre, deux manifestants furent placés en gardes à vue suite au prolongement d’un cortège par quelques militants de l’AG des luttes. Un manifestant fut violemment frappé au sol.

Dans la nuit du 31 décembre 2022 au 1er janvier 2023, il y eut trois interpellations suite au traditionnel cortège pour aller exprimer sa solidarité aux prisonniers de la prison de l’Hermitage. Les années précédentes il pouvait se dérouler librement en absence de surveillance policière mais cette fois-ci, il eut affaire à « un déploiement policier aussi disproportionné que violent. A plusieurs reprises, les forces de police ont attaqué à coups de matraque et de gaz lacrymogènes le cortège ».

L’AG des luttes de Brest : un saut dans la radicalité… et la répression !

Cet espace d’auto-organisation brestois gagna en massivité du fait d’un mouvement contre la réforme des retraites lui-même massif, mais aussi grâce à une préparation en amont. Elle fut le lieu d’expression d’une colère radicale de la jeunesse. Les manifestations contre la réforme virent se former un cortège de tête jamais vu pour une ville de la taille de Brest. La répression fut également inédite : 25 interpellations furent dénombrées.

L’AG des luttes connut son pic d’affluence avec l’arrivée en grand nombre d’étudiants lors du blocage de la fac Segalen à partir du 7 février 2023. Pascal Olivard, le Président de l’Université de Bretagne Occidentale envoya la police (une dizaine de camions) déloger les occupants le vendredi 10 février. Une répression qui contribua à développer la radicalité du mouvement ainsi que... toujours plus de répression.
 
Plus largement, à Morlaix, proche de Brest dans le Finistère, un premier rassemblement de soutien eut lieu le 17 mai 2023 pour défendre des militants notamment syndicaux, accusés d’avoir bloqué la RN12 lors du mouvement. Le 30 mars dernier un fest deiz/noz de soutien était organisé à Pleyber-Christ et connut un fort élan de solidarité. En juillet 2023, suite au meurtre de Nahel, Brest fut aussi le lieu de révolte des quartiers populaires. Elle aussi durement réprimée : cinq mois après la presse locale relatait : « trente-six personnes ont été interpellées et un homme a été jugé ».
 

Répression et criminalisation de la solidarité avec le peuple palestinien

Depuis le mois d’octobre 2023, la défense de l’État colonial, d’apartheid et génocidaire israélien par Macron et le gouvernement accentuait encore la répression et l’inflexion sécuritaire brestoise. Une première manifestation fut interdite le 12 octobre. Un arrêté en date du 20 octobre en interdisait une autre qui devait se dérouler le lendemain en solidarité avec le peuple palestinien. Cette interdiction était entre autres justifiée par « les troubles à l’ordre public » ayant eu lieu dans d’autres villes selon le Préfet du Finistère Alain Espinasse. Il accusait l’Association France Palestine locale de « soutien sans ambiguïté » à ces attaques et de « légitimation des méthodes terroristes » et dévoilait une surveillance des messages internes de l’AFPS, exposant des citations pour la criminaliser.

 Mais aussi l’Union Pirate et d’autres associations déclarantes d’être « responsables d’actes violents lors de précédentes manifestations à Brest depuis le printemps dernier notamment envers les forces de l’ordre et de commerces dans le centre-ville de Brest ». Des accusations mensongères, qu’il a mêlées à de possibles tensions avec l’extrême droite sur le sujet, finissant par assurer « ne pas disposer d’effectifs de police suffisants pour assurer le bon déroulement de cette manifestation »… afin de l’interdire.

Le monde associatif lui aussi sanctionné

Les associations brestoises Canal Ti Zef, Radio U, Ékoumène et le Patronage Laïque Guérin ont récemment été sanctionnées par le sous-préfet du Finistère pour avoir soutenu l’Avenir. Radio U n’avait fait que recevoir des membres du collectif à une de ses émissions quand les autres avaient signé, comme de nombreuses organisations locales, un appel à soutien à l’Avenir lorsque la rumeur courait qu’il était menacé de destruction. Les subventions qu’elles percevaient habituellement n’ont donc pas été renouvelées.

 Le sous-préfet Jean-Philippe Setbon notifia par courrier début janvier 2024 à la télé associative Canal Ti Zef, qui projetait régulièrement des films à l’Avenir, que sa demande de renouvellement de subvention était refusée pour incompatibilité avec le « Contrat d’Engagement Républicain ». La « loi séparatisme » de 2021 a rendu obligatoire la signature de ce contrat par les associations désireuses d’obtenir des subventions. Le Patronage laïque Guérin reçut quant à lui un courrier en avril 2023 alertant sur le comportement d’un animateur impliqué dans le collectif Pas d’avenir sans Avenir et remettant en question « la pérennité des subventions que les services de l’État seront amenés à accorder à [l’]association ». L’animateur participait au collectif sur son temps libre.

 La « loi confortant les principes de la République » dite « loi séparatisme » est liberticide, réactionnaire et islamophobe. Elle s’attaque à la liberté d’association, toute demande de subvention devant faire « l’objet d’un engagement [...] à respecter les principes et valeurs de la République », quand dans le même temps, ont été élargis les motifs de dissolution. Les quatre associations se sont depuis réunies pour dénoncer cette répression dans une tribune que nous soutenons tout en émettant des réserves sur les illusions institutionnelles lorsqu’elle réclame « par cet appel une prise de conscience et des actes forts des élus et des représentants de l’État ».
 

Le siège de « Guéringrad »

C’est en effet un surnom de la place Guérin à la tradition libertaire et autonome où se rencontre et s’organise l’extrême gauche locale. C’est également de là que devait partir la manifestation anti-carcérale du 10 février 2024 appelée suite à l’interdiction de celle du nouvel an 2024 en solidarité aux prisonniers. Celle-ci fut également interdite par la préfecture et un nombre inédit de forces de police fut déployé (environ 250 policiers et gendarmes mobilisés) aux alentours de la place afin de fouiller des personnes, contrôler des identités, inspecter les lieux et empêcher tout départ en manifestation. Des contrôles furent aussi effectués plus loin au centre ville. Si les organisateurs finirent par annuler la manifestation, on dénombrera tout de même 11 interpellations sans que celles-ci ne débouchent sur des GAV.

Le 11 mars, une caméra de surveillance fut placée place Guérin. Équipée du logiciel « Rapide Review » de la société israélienne Briefcam, les images sont transmises en temps réel au commissariat central, et des critères peuvent être indiqués permettant de plus facilement retrouver des images et identifier des personnes.

Enfin, le 31 mars la police vint gâcher la fin de la « fête du printemps » organisée place Guérin par le collectif Pas d’avenir sans Avenir. Un événement prévu pour un public familial qui proposait de la musique, des contes, des jeux et un pique-nique et rassemblait largement les habitants du quartier...

Une répression tous azimuts

Ce saut liberticide et autoritaire touche tous les secteurs de la société et de nos vies. Ainsi, pour le match Brest-Marseille du 18 février dernier, des moyens répressifs délirants furent encore mobilisés :70 CRS et 50 policiers. Devant le stade, les supporters brestois furent gazés pour n’avoir pas quitté suffisamment rapidement les lieux sur ordre des CRS : trois personnes finirent en GAV.
 
Les free party sont elles aussi de plus en plus réprimées, interdites, le matériel est confisqué et les participants fréquemment sanctionnés comme à Pluguffan dans le Finistère où s’est tenu un festival de musique électronique du 19 mars au 2 avril 2024 :le Préfet a annoncé 8750 amendes pour participation à une manifestation illégale. Un mouvement national est en cours contre la répression des free party.

Face à la répression : s’organiser

Le pouvoir se raidit, cherche à embrigader la jeunesse. Les États se réarment et préparent la guerre. L’extrême droite progresse et risque de faire une percée aux élections Européennes. Macron et son gouvernement l’ont légitimée en adoptant la loi immigration. Le Parlement Européen, lui, vient d’adopter le pacte migratoire. L’Europe se bunkerise pour refouler les exilés à ses portes. L’austérité arrive à grands pas. La pauvreté explose du fait de l’inflation. La crise climatique se fait de plus en plus sentir et agit sur toutes les autres… Le capitalisme en crise crée ses propres contradictions sociales et l’État se fait plus répressif, plus sécuritaire comme l’illustre encore le plan de surveillance généralisée de Darmanin pour les JO .

Une offensive autoritaire de l’État, qui a opéré un nouveau saut ces derniers jours par la répression brutale des soutiens à la Palestine et de toute voix contestataire, qui touche tout le territoire – et Brest n’échappe pas à la règle. En témoignent les attaques répétées qui visent à désorganiser voire à détruire le milieu libertaire et autonome, mais aussi politique, syndical et associatif de Brest. La plainte déposée par Darmanin contre Olivier Cuzon, syndicaliste à Solidaires, pour un article critique de la police en est le dernier exemple en date.

Contre un État qui réprime et s’ingère de plus en plus dans nos vies, la construction d’un front unitaire capable de s’opposer en bloc aux attaques contre les droits démocratiques (de réunion, de manifestation, d’organisation) tout en réclamant le retrait de toutes les lois racistes et sécuritaires, constitue l’un des enjeux centraux de la période. Une telle dynamique pourrait être un premier pas dans la préparation, à Brest, d’une riposte globale aux offensives du gouvernement.


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