×

Palestine

Crise humanitaire à Gaza : comment Israël organise la famine et la pénurie

Depuis le début de l’offensive militaire, le gouvernement israélien ne cache pas ses ambitions de couper la bande de Gaza du monde et de tout accès aux premières nécessités. La famine et la maladie se font sans cesse plus ressentir, avec des effets terribles à long terme, organisées par Israël avec le soutien des puissances impérialistes.

Raji Samuthiram

29 décembre 2023

Facebook Twitter
Crise humanitaire à Gaza : comment Israël organise la famine et la pénurie

Crédit photo : Capture d’écran, France 24

Alors que l’offensive génocidaire de Tsahal dans la bande de Gaza se poursuit, Israël continue d’affamer la population. Entre la famine, la soif, et les maladies, la situation macabre à Gaza ne fait que s’empirer ces derniers jours. Derrière la crise humanitaire actuelle, un projet mortifère organisé consciemment par l’État d’Israël, avec le soutien des puissances impérialistes, et une conséquence du blocus de Gaza en place depuis 2006 et de la situation coloniale plus largement.

Israël utilise la famine comme arme de guerre, selon des organisations humanitaires

«  Je dois marcher 3 kilomètres pour trouver un gallon (4 litres) [d’eau]. Et il n’y a pas de nourriture. Si on en trouve, ce sont des boîtes de conserve. On ne mange pas bien.  » Marwan, 30 ans, a partagé ce témoignage auprès de Human Rights Watch le 18 décembre dernier. Comme plus de 80% des habitants de Gaza, il a du fuir les violences de Tsahal et vit aujourd’hui dans le sud de la bande avec sa femme enceinte et ses deux enfants.

La situation de Marwan est désormais la norme dans la bande de Gaza, où Israël prive les palestiniens de toute nécessité première depuis le début de son offensive : eau, nourriture, électricité. Le 18 décembre dernier, Human Rights Watch a déclaré qu’Israël utilisait la famine comme arme de guerre, faisant écho à la déclaration d’Oxfam en octobre. Selon l’ONU, plus de la moitié des gazaouis sont en situation de famine, et 90% ne mangent pas tous les jours. Récemment, un pédiatre Israelien écrivait dans Haaretz : «  “Crise humanitaire” est un terme stérile pour décrire une catastrophe humaine inimaginable qui se déroule juste à côté de chez nous, devant nos yeux et avec notre connaissance.  »

Boulangeries bombardées, convois humanitaires visés : comment Israël empêche les gazaouis de se nourrir

Alors que l’État israélien contrôle l’entrée et la sortie des produits de première nécessité, plus de la moitié de la population gazaouïe, soit 1,2 millions de personnes, souffraient déjà de d’insécurité alimentaire aiguë avant la séquence actuelle. Suite à l’imposition du blocus en 2007, Israël avait calculé les besoins nutritifs de la population de Gaza, et avait expressément dressé une « ligne rouge » à ne pas franchir afin de garder la population en vie sans les affamer, mais en restreignant fortement l’entrée de produits de première nécessité. Une façon d’éviter une « crise humanitaire » tout en minimisant autant que possible l’entrée de certains produits comme le houmous, les fruits, et les légumes. Une gestion violente et coloniale tout comme celle des canalisations d’eau, aujourd’hui fortement dégradées en raison des restrictions imposées par Israël : déjà avant le 7 octobre, presque 97% de l’eau du sol aquifère de Gaza n’était pas potable.

C’est dans ce contexte de pénuries quotidiennes que dès le début de la guerre, les autorités israéliennes ont déclaré vouloir punir collectivement les gazaouïs en coupant totalement l’accès à l’eau, la nourriture, et au carburant. Depuis le 7 octobre, seul 2% de l’approvisionnement alimentaire habituel rentre à Gaza. Dès le début de l’offensive, Tsahal a attaqué les boulangeries, et le manque de carburant a empêché les livraisons de farine. Le 4 novembre dernier, l’ONU a déclaré que les palestiniens à Gaza ne pouvait compter que sur deux morceaux de pain par jour en moyenne, et manquaient cruellement d’eau. C’est aussi à ce moment-là que l’organisation des nations unies annonçait qu’il n’y avait plus aucune boulangerie dans le nord de Gaza.

Les coupures d’eau et de carburant, en plus des bombardements, multiplient également les situations terribles : les maladies respiratoires sont accentuées par l’air rendu toxique par les bombes, quand la pénurie de carburant oblige les gazaouis à cuire leur nourriture au feu, souvent par la combustion de plastique. De la même manière, l’eau empoisonnée, qui ne peut plus être épurée, transmet des maladies dont le nombre explose. Nasreen Tamimi, directrice de l’Autorité palestinienne pour la qualité de l’environnement (PEQA), témoigne des dégâts pour EuroNews : «  Les corps des martyrs sous les décombres, les déchets médicaux dangereux, la fermeture des usines de traitement et de désalinisation sont autant de facteurs qui ont contribué à la crise actuelle.  »

Avec le siège, Israël entretient de façon délibérée les pénuries, organisant ainsi la mort des dizaines de milliers de palestiniens. Sous pression internationale, les autorités ont levé quelques coupures sur certains produits. Mais les produits de première nécessité entrent au compte-goutte : depuis le 15 novembre, l’importation minimale de carburant est permise, et vers mi-octobre, trois tuyaux d’eau desservant une partie du Sud ont été ré-ouverts. Les maigres convois humanitaires qu’Israël laisse rentrer depuis l’Égypte depuis fin octobre sont largement insuffisants pour pallier le manque généralisé. D’autant que le bombardement des routes et les coupures des communications empêchent la distribution effective de l’aide au delà des zones immédiatement proches de Rafah, ville du sud de la bande et principal point d’entrée de l’aide humanitaire. Ce n’est que la semaine dernière qu’Israël a autorisé l’entrée d’un premier convoi humanitaire en provenance du poste frontière de Kerem Shalom, dans le sud-est de la bande de Gaza. 46 camions sont rentrés ce jour-là, alors qu’avant le siège actuel, 500 camions rentraient quotidiennement. Durant la « trêve » momentanée fin novembre, 200 camions sont entrés par jour.

«  Aide ? Quelle aide ? On en entend parler et on n’en voit pas, déclarait Abdel-Aziz Mohammad, réfugié de 55 ans, auprès de l’agence Reuters en décembre. C’est une guerre de famine. Ils nous ont forcé à quitter nos maisons, ils ont détruit nos foyers et nos commerces, et ils nous ont conduit au sud où on mourra soit sous leurs bombes soit de la faim.  »

Aux gestes humanitaires hypocrites s’ajoute la visée délibérée des hôpitaux, des routes, et des structures permettant l’accès à ces nécessités—cette semaine, une agence de l’ONU a confirmé que Tsahal a tiré sur un convoi humanitaire. Avec les bombardements, la dévastation des structures prépare la famine sur le long terme. En deux jours, le 4 et 5 novembre, Tsahal a bombardé sept installations d’eau. Le 15 novembre, Tsahal a bombardé le dernier moulin à blé opérationnel à Gaza, rendant impossible toute production de farine locale. L’agriculture est également touché : le 28 novembre, plus d’un tiers des terres agricoles dans le nord avaient été abimées. L’inondation des tunnels avec de l’eau de mer, entamé par l’armée israélienne début décembre, aura des conséquences de long terme sur les terres et l’agriculture pour des générations à venir.

Une famine orchestrée avec la complicité des États impérialistes

Si les puissances impérialistes maintiennent leur soutien à Israël, l’ampleur du désastre est telle qu’il y a une pression de plus en plus forte envers les gouvernements pour répondre à la crise humanitaire. C’est dans ce contexte que les États Unis avaient proposé d’amender la dernière résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, afin de s’assurer que l’aide humanitaire serait toujours contrôlé par Israël. Vendredi 22 décembre, le conseil a finalement adopté cette résolution exigeant plus d’aide humanitaire et à la création des «  conditions à une cessation durables des hostilités  », sans demander un cessez-le-feu ni la fin de l’opération militaire israélienne. La résolution réclame la création d’un mécanisme impliquant l’ONU aux points frontaliers et la nomination d’un coordinateur, la néerlandaise Sigrid Kaag, nommée ce mercredi.

Si les diplomates se sont félicités de cette résolution purement symbolique, le chef de la diplomatie israélienne a vite précisé qu’Israël «  examinera, pour des raisons de sécurité, toute assistance humanitaire à Gaza  ». Une déclaration qui laisse peu de doute quant au déroulement de cette assistance, alors que le gouvernement israélien poursuit ouvertement son agenda génocidaire tout en accusant les agences humanitaires de complaisance et d’inefficacité. Vendredi, le chef des opérations humanitaires de l’ONU avait critiqué Israël suite aux tirs de l’armée sur le convoi, décrivant l’encadrement jusqu’à l’asphyxie de toute aide humanitaire : il y a «  trois niveaux d’inspections avant que les camions puissent rentrer. Confusion et longues files d’attente. Une liste de plus en plus longue de produits rejetés… C’est une situation impossible pour la population de Gaza et pour ceux qui lui viennent en aide.  »

Alors que depuis le début de l’offensive à Gaza et en Cisjordanie les autorités israéliennes annoncent sans ambiguïté leurs ambitions mortifères, les résolutions diplomatiques entre pays qui soutiennent activement l’État d’Israël ne pourront mettre fin à l’horreur de la situation génocidaire. En France comme ailleurs, la solidarité avec le peuple palestinien doit continuer à s’organiser, en dénonçant les racines de la famine en cours dans une colonisation qui dure depuis 75 ans.


Facebook Twitter
Invasion de Rafah : une nouvelle étape dans le génocide des Palestiniens

Invasion de Rafah : une nouvelle étape dans le génocide des Palestiniens

Palestine : 49 étudiants de Yale interpellés, la colère s'étend à de nombreuses facs américaines

Palestine : 49 étudiants de Yale interpellés, la colère s’étend à de nombreuses facs américaines

Criminalisation des militants pour la Palestine : l'autre face du soutien au génocide d'Israël

Criminalisation des militants pour la Palestine : l’autre face du soutien au génocide d’Israël

Argentine : la jeunesse entre massivement en lutte contre Milei et l'austérité

Argentine : la jeunesse entre massivement en lutte contre Milei et l’austérité

États-Unis. L'université de Columbia menace d'envoyer l'armée pour réprimer les étudiants pro-Palestine

États-Unis. L’université de Columbia menace d’envoyer l’armée pour réprimer les étudiants pro-Palestine

Les milices de colons et l'armée israélienne mènent plusieurs raids sanglants en Cisjordanie

Les milices de colons et l’armée israélienne mènent plusieurs raids sanglants en Cisjordanie

Génocide à Gaza. La mobilisation du peuple jordanien montre la voie

Génocide à Gaza. La mobilisation du peuple jordanien montre la voie

28 salariés de Google licenciés pour avoir dénoncé le génocide en Palestine

28 salariés de Google licenciés pour avoir dénoncé le génocide en Palestine