Si le stéréotype des tsiganes voleurs de poules ou d’enfants est en passe d’être démodé, celui qui affirme que les roms sont des nomades dont le mode de vie serait incompatible avec celui des sociétés sédentaires modernes, lui, a la vie dure. C’est le premier préjugé auquel le documentaire de Marion Lièvre, Olivia Barlier et Samuel s’attache à tordre le cou : non, les Roms ne sont pas des nomades, mais aspirent à vivre dans un logement en dur et à trouver un emploi. Premières victimes de la fin du « socialisme réellement existant » dans les pays d’Europe de l’Est, de la restauration capitaliste et du retour en force du capital impérialiste ouest-européen dans la région, du chômage de masse et de la flambée des prix qui s’en sont suivis, ils en sont cependant réduits, dans de nombreux pays, à vivre au gré des expulsions qui les chassent de quartier en terrain, voire les condamnent à des allers-retours entre pays d’origine et terre d’élection.

Donnant la voix à de multiples spécialistes travaillant dans différents pays, le documentaire revient sur des années de politiques européennes, et notamment sur la « Décennie pour l’inclusion des Roms », ensemble d’initiatives prises par neuf Etats d’Europe centrale et orientale, et qui a représenté plus de 25 milliards d’euros de dépenses, pour des résultats médiocres. Si les gouvernements s’attachent à rendre les populations roms responsables de l’échec de ces programmes, les interviews croisées montrent qu’il faut cependant s’interroger non seulement sur les véritables destinataires de cet argent, mais aussi sur l’orientation qui les sous-tend : dans un système capitaliste libéral, qui crée l’exclusion pour mieux s’en nourrir en divisant et exploitant, il est impossible de prétendre avec efficacité « donner un coup de pouce aux exclus ». De nombreux exemples viennent étayer ces affirmations : en Hongrie, ce sont les expulsions massives des logements habités par des familles roms, et le travail sous-payé imposé par les municipalités aux allocataires de prestations sociales – forme de servage moderne ; en République Tchèque, les « écoles pour déficients mentaux » vers lesquelles les enfants roms sont, encore aujourd’hui, majoritairement orientés. Sans oublier, en France, la politique de démantèlement systématique des lieux de vie, harcèlement coûteux et inhumain qui casse les tissus sociaux, empêche la scolarisation des enfants et entretient « l’impression d’un afflux continuel de migrants roms » – alors que leur nombre est stable depuis de nombreuses années.

Si la fin du documentaire rappelle qu’il faudrait s’intéresser aux causes et non pas seulement aux effets, et que la question traitée dépasse celle des Roms pour poser celle, plus générale, du racisme, le cadre proposé reste cependant un peu étroit. Certes, il s’agit de « créer les conditions favorables ». Mais ce n’est certainement pas au sein du capitalisme, qui prospère sur le racisme et les divisions qu’il permet, qu’elles pourront émerger. Le film de Marion Lièvre, Olivia Barlier et Samuel Lajus n’en reste pas moins un document passionnant pour mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans l’exclusion et la stigmatisation systématiques des Roms en Europe.

Les Roms, des citoyens comme les autres ?, ce soir à 22h25 sur Arte.

Crédit photo : Stephan Massis