Madame la Ministre,
 
Du fin fond de la Drôme, je vous écris ce soir, infiniment triste, parce que je ne sais pas quelle professeure je serai lundi, ni même ce que je pourrai enseigner.

En effet, ce vendredi, j’apprends le suicide d’un de mes élèves, douze ans, et celui d’une ancienne élève, vingt-quatre ans. Et je vous avoue que j’ai du mal à m’en remettre.

Autant vous le dire tout de suite, les deux étaient (comme cet imparfait me peine !) de très bons élèves, brillants souvent, sensibles toujours. Latinistes aussi. J’avais encore la chance de leur enseigner le latin et le grec.

Ils avaient peut-être contre eux leurs différences : l’un était un peu noir, originaire d’Ethiopie, l’autre, jeune fille aux grands yeux et au visage très pâle, se passionnait pour la peinture. 

Ce soir, Madame, je n’accuse personne, je ne reporte pas sur tel ou tel une responsabilité dans ces drames. Je dis l’immense chagrin d’une professeure et de ses collègues, la souffrance, l’impuissance grandissante face aux malaises constatés de nombreux élèves, le regret infini de n’avoir pu fournir l’écoute nécessaire. Je dis la pression étouffante, les pressions qui pèsent sur les professeurs et les élèves, cette année encore plus. Je dis la révolte, la colère : quel monde offrons-nous à nos élèves ? Aux adolescents d’aujourd’hui ? Quel avenir à rêver ?

J’ai bien l’impression que ces questions ne trouvent leur place dans les débats consacrés à l’école.

Quelle place pour chaque élève en classe ? Dans son établissement ?

Quel rôle pour l’école quand l’intolérance et les inégalités ne cessent de croître ?

Demain, je vais écouter, accompagner mes élèves et sûrement mentir : "c’est fini, tout va s’arranger".

Quousque ?