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Récit d’audience

« Il n’y a pas de justice pour nous » : à Pontoise, l’écrasement judiciaire de la révolte se poursuit

Au tribunal judiciaire de Pontoise (95) hier, comme ailleurs, se faisait le procès de la révolte. Révolution Permanente y a suivi les audiences en comparution immédiate de plusieurs adolescents et adultes, tous sont condamnés à de très lourdes peines.

Léa Luca

4 juillet 2023

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« Il n'y a pas de justice pour nous » : à Pontoise, l'écrasement judiciaire de la révolte se poursuit

Hier, partout en France, les tribunaux ont poursuivi les comparutions immédiates pour les jeunes qui se sont révoltés après la mort de Nahel. Partout, le même agenda : écraser le soulèvement et faire payer à la jeunesse des quartiers par la répression la plus brutale sa révolte. Les commissariats sont remplis d’enfants, qui dès l’âge de 13 ans peuvent voir leur garde à vue renouvelée et être transférés au dépôt et qui, dès qu’ils ont 18 ans, pour avoir été présents l’une des nuits de révolte, pour avoir jeté un feu d’artifice, écopent de longues peines de prison ferme.

Violences policières, violence judiciaire

Dans les différentes chambres, s’exprime de la part de l’institution judiciaire toute la violence sociale et raciste du système. Tout au long de la journée les adolescents sont raillés, humiliés gratuitement et rien ne peut les sauver. Face à ceux qui attendent les résultats de leur bac, le juge aboie « mais vous y êtes allés au bac ? vous y êtes allés ? Et Parcoursup, on est censé savoir ce qu’on fait maintenant avec Parcoursup, vous avez quoi ? ». Ceux qui ne sont plus à l’école : « Pas de diplôme, pas de travail, bah voilà. Vous faites rien de vos journées. Pourquoi vous faites rien de vos journées ? Vous fumez du shit ? Vous jouez à la play c’est ça ? ». Quant à ceux qui travaillent déjà on est suspicieux de leurs revenus : « vous gagnez, quand même quelque chose, c’est quoi cette aide de la mission locale en plus de votre salaire c’est ça ? Vous êtes aidés ? Vous êtes aidés c’est ça ? Ah, on ne vous laisse pas à votre triste sort… ».

Alors qu’un adolescent pleure à la barre et lit une lettre implorant le juge de ne pas l’envoyer en prison, disant que la seule chose qu’il veut aujourd’hui c’est retrouver sa mère, le juge et la procureure se moquent : « on veut retrouver maman ? Ce n’est pas ça qui va vous faire une bonne réputation… », « Oui, bien-sûr avec une mère éducatrice on a appris à faire de bonnes lettres de remord ».

La Procureure ne réserve pourtant pas ses humiliations qu’aux prévenus, elle n’hésite pas à s’adresser à leurs proches dans le public, tous et toutes rongés par l’angoisse et épuisés d’inquiétude. Ainsi au milieu d’une phrase, la voilà qui s’arrête pour interpeller une jeune femme dans l’audience dont on aperçoit un bout d’épaule : « peut-être que la jeune fille pourrait avoir une tenue décente ? », avant d’interpeller violemment une des avocates éberluée.

« Faire du bruit pour Nahel »

Dans la salle, un groupe d’adolescents est venu soutenir leur ami, en garde à vue puis au dépôt (en prison) depuis la nuit du 28 juin. Ils racontent les violences policières qu’ils subissent au quotidien, les gardes à vue pendant lesquelles « les policiers crachent systématiquement dans ta gamelle, ton verre d’eau ». Tous évoquent Nahel, l’injustice ignoble d’un monde dans lequel les policiers peuvent tuer impunément et dans lequel leur ami, 18 ans, sans casier judiciaire, risque lui 12 mois de prison ferme pour avoir voulu « faire du bruit pour Nahel ». Tous ils nous répètent : « Il n’y a pas de justice pour nous ».

Comme pour défendre leur ami contre les discours du juge et de la procureure, tous parlent de sa gentillesse, de son sérieux et s’inquiètent pour sa mère, avec qui, comme Nahel, leur ami vit seul : que deviendra-t-elle si son fils est envoyé en prison ? « Je pense important de rappeler pourquoi ils se retrouvent là. Dans les médias tout est fait pour dépolitiser les faits et faire passer les jeunes pour des violents délinquants qui agiraient par instinct de destruction. C’est autre chose qu’on constate, par exemple il y a ce jeune qui explique à la barre qu’il est sorti ce soir là pour exprimer sa tristesse et le choc provoqué par la mort de Nahel avec qui il avait des amis en commun. Il a dit "je me reconnaissais en lui" et je pense important de le souligner. Ils ont des raisons d’être en colère et je partage leur colère. » insiste Louisa élève-avocate et membre du Collectif d’action judiciaire (CAJ).

Lire aussi : « Un carnage » : de nombreux jeunes interpellés condamnés à de la prison ferme, des avocats témoignent

« Les forces de l’ordre se sont sentis visées et c’est déjà trop, même s’ils n’avaient pas l’intention de tirer sur eux »

Les peines requises par les procureurs sont systématiquement du ferme. Pour les différents adolescents de 18 ans, poursuivis pour « participation à un groupement en vue de commettre des dégradations et des violences », la Procureure requiert 12 mois de prison ferme, avec mandat de dépôt. Pourtant, comme le soulignent les avocats des prévenus, il n’y a dans le dossier nulle preuve d’intention de commettre des violences contre les biens ou les personnes. « Les dossiers sont vides. », appuie dans sa plaidoirie Maître Elsa Marcel, avocate d’un des adolescents. « L’infraction "d’attroupement en vue de" a un contour flou et permet de condamner les personnes qui sont au mauvais endroit au mauvais moment »

« Ce qui saute aux yeux dans ce dossier c’est à quel point il est vide. En réalité il n’y a aucun autre élément que les auditions des jeunes, qui sont entendus dans des conditions particulièrement troubles puisqu’ils ont été privés de l’assistance d’avocats et de médecins. L’infraction de "groupement" pour laquelle ils sont poursuivis permet en pratique de punir des gens pour le simple fait d’être sortis un soir de révolte, sans même démontrer qu’ils avaient envie de violenter qui que ce soit ! », explique Louisa du CAJ.

Les avocats des adolescents interpellés ensemble plaident en ce sens, et citent de nombreuses jurisprudences, datant pour la plupart des Gilets jaunes, de décisions en appel invalidant des condamnations dans des dossiers sans preuves et basés uniquement sur les déclarations des prévenus en garde à vue. Face à cela, la seule réponse mielleuse du juge est sans équivoque : « Ça vient de Paris, c’est cela ? Mais Maître, ici… ce n’est pas Paris ».

Dans le cas des quatre jeunes en question, même la BAC a dit ne pas pouvoir les identifier comme auteurs de quoi que ce soit. Alors que la Procureure est obligée de reconnaître qu’aucun policier n’était présent lors des tirs de feu d’artifice – dont ils sont accusés sans preuve, comme le soulignent les avocats – elle ajoute « les forces de l’ordre se sont sentis visées et c’est déjà trop, même s’ils n’avaient pas l’intention de tirer sur eux ».

Dans chacun des cas, le discours des juges et procureurs sont les mêmes, le seul fait qui compte : les jeunes étaient là. « Ils ont participé sciemment à ces émeutes ». Or, pour la Procureure « tous les honnêtes gens du pays ont peur et se calfeutrent chez eux. Tous les citoyens prudents et intelligents restent chez eux.. Et si les jeunes gens sont partis en courant en entendant la police arriver : « peut-être que l’actualité récente les a effrayés, mais alors si ils ont peur, ils n’ont qu’à rester chez eux ».

Ce sera la seule allusion faite au meurtre de Nahel et aux raisons des révoltes, « Les fameux "policiers tortionnaires", on n’a que trop l’habitude de l’entendre dans ce genre de déclaration », s’exaspère la Procureure en levant les yeux au ciel. « Je n’ai pas vu beaucoup de convictions ici » ajoute-t-elle plus tard dans l’audience.

Des dossiers vides mais de la prison ferme

Quand vient le moment des délibérés, des policiers envahissent les petites salles d’audience du Tribunal de Pontoise et enserrent de façon anxiogène les rangs du public. Un homme noir, installé dans le public, regarde un instant son téléphone, un policer le menace immédiatement de le poursuivre pour outrage. Du côté des détenus aussi, derrière les vitres, le nombre de policiers est doublé, faisant pressentir à tout le monde la lourdeur des peines à venir et la colère que l’institution judiciaire est consciente qu’elle va déclencher.

Le couperet tombe enfin et comme partout, les peines sont insoutenables. Pourtant la plupart sont sans casier, les dossiers vides, les preuves très faibles, comme le répètent les avocats, mais la plupart prennent des peines de prison ferme. Le groupe d’adolescents de 18 ans, poursuivis pour « groupement… », obtient une peine de 8 mois d’emprisonnement à domicile avec bracelet électronique. « On est soulagés qu’ils ne retournent pas en prison ce soir même si une peine de 8 mois d’emprisonnement à domicile, c’est énorme pour des gens sans casier et pour des faits comme ceux-là. Ils écopent aussi d’une interdiction de paraître à Argenteuil, alors qu’ils y vivent… » conclut Louisa.

Partout les familles et les amis sont brisés par les condamnations. Un lycéen de 18 ans, sans casier prend 12 mois de prison ferme avec mandat de dépôt (départ en prison depuis l’audience). Il est accusé d’avoir fourni le briquet qui aurait servi à l’incendie d’une voiture. A la lecture du délibéré, sa mère s’effondre. Dans une autre salle, on annonce qu’un chauffeur de bus, père de famille, part en prison lui aussi pour 12 mois ferme. On lui reproche d’avoir transporté des feux d’artifice et d’avoir été interpellé avec du cannabis sur lui.

Dans la foulée, un jeune homme est condamné lui aussi à 12 mois ferme avec mandat de dépôt pour conduite sans permis et refus d’obtempérer, sans participation aux émeutes. A la nouvelle, sa compagne, enceinte, s’effondre par terre et fait une crise d’épilepsie. Derrière la vitre, son mari la voit, paniqué, et est violemment immobilisé par les policiers autour de lui. Pendant ce temps la juge s’époumone en hurlant sur la famille de quitter la salle, alors même que la jeune femme est inanimée par terre face à elle. Une femme de la famille, est en pleurs : « On a moins quand on est un violeur aujourd’hui en France ».

Hier soir, le groupe d’amis avec qui nous avons discuté, allait chercher en prison leur jeune ami de 18 ans libéré. L’un des rares qui pourra retrouver sa famille. Une chose est sûre, l’État cherche à écraser et terroriser celles et ceux qui se sont révoltés. Mais la violence et la dureté de ces peines sur des adolescents et de jeunes adultes ne peut que continuer d’attiser une colère profonde et légitime contre les injustices et les humiliations qui leur sont faites.


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