Un hamas isolé

Le chef du Hamas en exil, Khaled Mechaal a transmis son testament politique, lui qui quittera son poste dans les prochains mois, dans une conférence de presse retransmise en direct à Gaza, gouvernée par le mouvement islamique depuis 2007.

Ahmed Youssef, figure modérée du Hamas, explique que leur charte de 1988 « était un appel à la mobilisation pendant la première Intifada, elle ne prenait pas en compte la perception internationale. Les Israéliens ont toujours exploité cela contre nous ».

Considéré comme organisation terroriste par l’État israélien, les USA et l’UE, le mouvement est isolé. La bande de Gaza subit un double blocus, de la part d’Israël et de l’Égypte. Le Hamas vient de perdre des élections étudiantes en Cisjordanie. Les victoires du parti étudiant du Fatah, Shabiba, représentent un retournement des dernières années où le bloc islamique du Hamas remportait habituellement les élections universitaires majeures. C’est pourquoi il était temps pour le mouvement de changer de politique.

Un État palestinien selon les frontières de 1967

Premier point fort de la nouvelle charte, l’acceptation d’un État palestinien limité aux frontières de 1967. Le Hamas estime, à présent, qu’«  un État palestinien entièrement souverain et indépendant dans les frontières du 4 juin 1967, avec Jérusalem pour capitale, […] est une formule de consensus national ». Même si le groupe ne reconnaît pas l’État israélien et s’empresse d’évoquer « la Palestine, du fleuve Jourdain à la mer Méditerranée », il accepte de fait son existence en reconnaissant les frontières issues de la guerre des six jours.

En inscrivant qu’il accepte un État limité à la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem-Est, le Hamas rejoint l’OLP qui les reconnaît, dont le Fatah de Mahmoud Abbas, présidant l’Autorité palestinienne, fait partie et revendique dans les négociations avec Israël qui sont dans l’impasse depuis trois ans.

Le Hamas a également déclaré que le « conflit est avec le projet sioniste et non avec les juifs en raison de leur religion. Le Hamas ne mène pas une lutte contre les juifs parce qu’ils sont juifs, mais mène une lutte contre les sionistes qui occupent la Palestine ». Il essaye ainsi de contrer les attaques d’Israël en tête qui visent à dénoncer le texte de 1988 comme « antisémite ». Le Hamas est un « mouvement palestinien islamique de libération nationale et de résistance » qui prend par ailleurs ses distances avec les Frères musulmans égyptiens. En effet, dans la précédente charte, le Hamas était considéré comme « l’une des ailes des Frères musulmans en Palestine ».

Ici, il n’est plus question de l’organisation née en Égypte qui a créé le mouvement. «  Idéologiquement, nous faisons partie de l’école frériste […] mais nous ne suivons aucun mouvement en termes d’organisation  », a précisé M. Mechaal. Les membres du Hamas espèrent ainsi revenir dans les négociations internationales.

Quels objectifs et contradictions ?

Une telle déclaration est un geste en direction de l’Égypte du Maréchal Sissi qui exhorte le Hamas à cesser toute forme de coopération avec les djihadistes affiliés à l’État islamique dans le Sinaï et à s’éloigner des Frères musulmans. Elle vise à sortir le Hamas de son isolement quasi-total et d’avoir un peu d’oxygène en affaiblissant le double blocus. C’est une modification tactique qui correspond à un isolement stratégique de plus en plus profond. L’organisation a un besoin vital de dialoguer avec l’Égypte du Maréchal Sissi. Il est donc nécessaire de rompre ses liens avec les Frères musulmans.

Mechaal va plus loin en expliquant que « nous sommes prêts à coopérer avec quiconque pouvant nous aider à obtenir » un État indépendant palestinien. Il espère alerter la nouvelle administration de la Maison-Blanche pour qu’elle « agisse plus sérieusement pour la cause palestinienne et change les conceptions erronées au sujet du peuple palestinien ». Ce n’est pas un hasard que cette nouvelle charte soit publiée quelques jours seulement avant la rencontre entre le président des États-Unis Donald Trump et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. L’une des discussions portera sur la volonté du président états-unien de stopper l’aide financière aux familles de détenus palestiniens dans les prisons israéliennes.

Ces changements pourraient permettre au Hamas de regagner une aura politique et de se repositionner comme force politique auprès du peuple palestinien usé par la guerre coloniale infâme menée par l’État israélien.

Ce changement de charte vise également à ouvrir un dialogue avec les autres États qui, jusqu’à présent, refusent tout dialogue officiel, notamment l’Arabie saoudite. La tentative de rapprochement avec Sissi, sur lequel Trump mise beaucoup dans la région, en est une preuve. Si Trump veut dialoguer avec les autorités palestiniennes, le Hamas veut que celui-ci pense à eux pour débloquer des négociations au point mort à cause de la politique coloniale israélienne.

Cependant, pour le moment la nouvelle charte a été reçue avec un certain scepticisme dans les pays occidentaux et en Israël. Ainsi, un porte-parole du gouvernement israélien a déclaré que le « Hamas veut tromper le monde » et Benyamin Netanyahou a déclaré que cette charte n’était qu’un « écran de fumée ».

Aussi, le fait de vouloir établir un dialogue avec l’Arabie saoudite pourrait avoir des conséquences pour les relations du Hamas avec son principal fournisseur d’armes : l’Iran. En effet, l’Iran se trouve dans une guerre politique avec l’Arabie saoudite pour l’hégémonie régionale. Les affrontements entre forces soutenues par les uns et les autres dans des conflits comme en Syrie ou au Yémen en sont une expression profonde.

Une autre conséquence de ce tournant du Hamas pourrait avoir lieu sur Gaza même. Tout d’abord, on peut imaginer que la nouvelle charte est le résultat d’une lutte de tendances internes où les plus « modérés » l’ont emporté. Donc, en cas d’échec de cette nouvelle orientation, les fractions « radicales » pourraient chercher à reprendre le contrôle de l’organisation, voire à en créer une nouvelle. D’autre part, adopter une orientation plus « modérée » pourrait laisser ouvert l’espace pour la prolifération d’autres organisations islamistes radicales à Gaza, défiant le pouvoir du Hamas localement.

À l’heure actuelle on ne peut faire que des hypothèses sur les raisons de fond de ce changement du Hamas, mais on ne peut pas exclure que ce tournant ait des conséquences sur l’arène internationale et même en Israël où les courants de droite ont toujours profité de l’existence d’une résistance islamiste radicale (n’oublions pas qu’Israël a largement soutenu le développement du Hamas à la fin des années 1980 pour diviser la résistance palestinienne).

Quoi qu’il en soit, cette « dédiabolisation » du Hamas ne promet rien de bon pour le peuple palestinien car elle va dans le sens des compromissions avec ses oppresseurs, les puissances occidentales, les régimes régionaux complices des impérialistes et notamment l’État sioniste.

Crédits photo : Adel Hana/AP/SIPA