Luc Le Vaillant, journaliste à Libération, a vu « une femme voilée » dans le métro. Pris d’une crise d’islamophobie, il s’est enfuit en courant. Délire narcissique ou plaisir de surfer sur le racisme ambiant en jouant le libertaro-droitier, il en a fait une chronique toute aussi ridicule que nauséabonde. Libé l’a publiée sans sourciller lundi soir. Titre et sous-titre sont éloquents : La femme voilée du métro / Recension des craintes réelles et fantasmées comme des répulsions laïques déclenchées par une passagère en abaya, dans une rame d’après-attentats.

Quoi de mieux pour le prendre à son jeu, que de pasticher ce mauvais portraitiste ? Voici le récit qu’aurait pu faire un témoin lambda de la scène qu’il se plait à raconter :

« Métro ligne 4, début de soirée, quelques semaines après les attentats de Paris et veille d’un premier tour des régionales. La rame, bondée jusqu’à Châtelet, se désengorge peu à peu. Enfoncé dans son siège, un type aux cheveux gris, la cinquantaine, genre grand duduche qui s’est rangé, chemise noire et veste anthracite. Il a pas l’air très net, et zyeute sa voisine d’en face en mode voyeur.

Métro Cité, les gros bras de la RATP qui nous accompagnaient, les mains sur leur flingue à la Schwarzenegger, descendent. Tout le monde respire…sauf notre quinqua, qui fait la grimace et manipule fébrilement son I Phone 6.

La voix annonce « Saint Michel, Saint Michel ». Là c’est comme s’il avait eu une vision d’horreur. Les orbites écarquillées, il semble pris de panique. Oh...qu’est ce qui t’arrive, gros, est-on tenté de demander. Détends-toi, c’est le week-end.

Il fait quoi ce type ? Il a une tête à la André Glucksmann, mais en moins mort, du genre soixante-huitard défroqué. Mouais… il a pas encore 64 ans… il devait être en primaire en 68…Cette cohorte qui a eu 18 ans sous Giscard et a commencé à travailler sous Mitterrand. Il a peut-être même pas eu à retourner sa veste…faute d’avoir été un jour vraiment gauchiste.

Odéon. Le groupe d’étudiants de droit(e) déjà bourrés descend. Notre quinqua fait le signe de croix, machinalement…il a pas l’air d’avoir conscience de ce qu’il fait. Il doit avoir un subconscient de catho refoulé. Il était peut-être en école privée, dans un bled de Bretagne en mai 68… il a pas dû en voir grand-chose. Sans doute s’est-il un peu rebellé au lycée après avoir lu Nietsche, surtout les aphorismes.

Saint Germain des Prés. Saint Germain des Prés. Un couple, manteau de fourrure et pardessus beige entre. Le métro redémarre. Notre énergumène semble continuer son délire. Il sue et ses cheveux filasses lui collent au front. Ça a l’air de bien trotter dans sa caboche, j’aimerais bien savoir ce qu’il s’imagine, le bougre.

Saint Sulpice. Il se lève, hésite, mais reste dans le wagon. Saint Placide. Saint Placide. Le Bip retentit. Le mec se jette comme un fou entre les portes. Dans la rame, tous les passagers se regardent, interloqués.

Je m’assois à sa place. La jeune femme en face de moi me dit : vous savez, j’ai l’habitude, les dingues comme ça c’est tous les jours, merci Hollande. Et après on s’étonne que le FN progresse. J’acquiesce en disant : quel pays de merde. »

La déferlante islamophobe orchestrée par le gouvernement semble en avoir débridé plus d’un. On ne cache plus ses penchants racistes, on s’en targue avec une fausse ironie. Et cette mode n’a pas échappé au chroniqueur de Libé, qui a en charge la dernière page du quotidien et ses fameux portraits. Luc Le Vaillant se croit poète, pervers-pépère à la Houellebecq : « Les mains sont gantées et on ne saura jamais si les paumes sont moites. Cette autre soutane monothéiste lui fait la cuisse évasive, la fesse envasée, les seins restreints. Les cheveux sont distraits à la concupiscence des abominables pervers de l’Occident décadent ». Content d’avoir trouvé un bon filon, il en fait des tonnes et sa description rappelle les brûlots céliniens à la « Je suis partout », journal antisémite des années 1930 : « Tant qu’elle ne rafale pas les terrasses à la kalach, elle peut penser ce qu’elle veut, croire aux bobards qui la réjouissent et s’habiller à sa guise mais j’aimerais juste qu’elle évite de me prendre pour une buse.  ». Il se rêve en milicien : « Je me dis que j’exagère, et toute la rame avec moi, de mettre en garde à vue le libre arbitre d’une pauvre petite croyante qui ne fait de mal à personne en suivant les chemins qui ne mènent pas à Rome. ». Un lendemain d’élections où le FN devance tous les autres partis, il est sûr de faire le buzz.

Ce torchon déclenche automatiquement un tollé sur le net...Le hashtag #LibéRacisme est lancé, de nombreux journalistes font part de leur dégout. Laurent Joffrin en bon rédac chef, essaye de sauver son « ami » avec un petit billet, dans lequel il s’empresse de dire que : « L’accusation de racisme ou de sexisme qui court ici et là est évidemment ridicule ». La seule erreur du chroniqueur serait d’avoir manqué de « précaution ». Luc, lui, défend son droit d’être « religiophobe ». Le racisme est un droit, maintenant ?

Le lendemain, l’ambiance est explosive en conférence de rédac, la salle est divisée entre ceux qui condamnent le journaliste et ceux qui, tout en reconnaissant qu’il est « borderline », concèdent à Le Vaillant, le droit de « dire ce qu’il veut ».

Le journal de Drahi, patron d’Altice, n’a plus rien à voir avec celui que parrainait Sartre : cela fait bien longtemps que Libé est passé du col mao au col rotary. Cet incident n’en témoigne pas moins d’une tendance de fond dans la sphère intellectuelle, qui s’est accélérée cette année. « L’ironie » à la Luc Le Vaillant, n’est que le cache sexe d’un Tartuffe qui ne dit pas son nom. Libé, par la voix de son directeur de publication, a beau jeu de se dire anti-FN, Valls le fait aussi…avec les succès que l’on sait. En soutenant systématiquement le PS comme rempart contre l’extrême droite, et en publiant de telles chroniques, la rédaction du quotidien accompagne, à sa façon, la percée du FN et la lepénisation des esprits.