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Un peu de provocation n'a jamais fait de mal...

Les cent ans de Verdun : leur morale et la nôtre

Un peu de provocation n'a jamais fait de mal à personne ; du moins, c'est ce qu'on pensait à Charlie Hebdo. Alors on va en faire, de la provocation. On fête les 100 ans de Verdun. Pardon, on commémore.

Léo Serge

30 mai 2016

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À la Une du Monde on peut lire : « Loi travail, les risques d’un long conflit », puis sur le côté une photo d’une statue énorme de poilu avec écrit « 14-18 » et enfin à côté un article dont le titre est « Je suis venu pour tomber en martyr ». Et un moment dans notre tête il y a eu confusion. Le Monde publie donc une lettre de poilu où celui admet qu’en venant à Verdun, c’est pour se sacrifier, pour tomber en martyr pour la France ? Mais non, évidemment, après réflexion, il s’agit d’un djihadiste qui avoue sa volonté de se suicider en emmenant avec lui un maximum de ces concitoyens. Comment en sommes-nous arrivés à cette conclusion sans lire les articles ? Bien que personne ou presque n’oserait avancer que les poilus allaient à Verdun volontairement avec l’ambition de mourir en martyrs pour la patrie. Le rapprochement serait trop dangereux pour les idéologues dominants. Pourtant, ce fut probablement le cas : combien furent-ils avec cette ambition ? Une centaine, un millier ? Combien d’entre eux avaient déjà perdu leurs frères, leurs pères, avaient vu leur ville ou leur village détruit ? Combien vivaient déjà dans la haine du boche pour des raisons personnelles – Alsaciens expatriés, Communards, ou simplement orphelin de la guerre de 1870 ? Une centaine ou un millier. Très minoritaires, donc, ces candidats au suicide-guerrier.

Écrivons-nous l’histoire de la guerre de 1914-1918 en fonction du ressenti de ces hommes, qui pour certains ont dû survivre à Verdun ? Oui et non. Cela dépend de l’historien qui écrit. Pour les plus à gauche, il est évident, preuve à l’appui – et les mutineries notamment – que cette guerre fut vécue par une majorité de soldats comme une boucherie sans nom où on les envoyait pour gagner cent mètres de terrain. Nombreux furent ceux qui s’interrogèrent sur l’aspect « volontaire » de cette boucherie – on sacrifiait une classe ouvrière et paysanne trop revendicatrice. En face, de nombreux historiens, dont certains ont leur carte au PS, affirment que le sentiment national, l’éducation au sacrifice et à la cause de la mère patrie étaient tellement puissants que les soldats consentirent à « faire leur devoir », non pas parce que les gendarmes risquaient de leur tirer une balle dans le dos ou que le peloton d’exécution les attendait « pour l’exemple ».

Oui, mais voilà : si les soldats « consentirent » à faire leur devoir, c’est bien que des fanatiques les avaient dressés dans l’idée qu’il n’y avait pas de devoir plus beau que de mourir pour la patrie. Or nous voilà aujourd’hui avec nos grandes campagnes publicitaires à la télévision et dans le métro pour s’engager dans l’armée, avec une esthétique de jeu vidéo. Il y a d’autres campagnes publicitaires, utilisant les mêmes codes de jeu vidéo, celles des djihadistes. Et voilà qu’on apprend qu’un cameraman de France 2 est allé tourner des images en Syrie avec des djihadistes français, et notamment un homme considéré comme « le Recruteur ». Ni le gouvernement, ni les services secrets français qui luttent avec tant d’acharnement contre la propagande djihadiste n’ont réussi à interdire à ce journaliste de prendre un tel risque. Et puis France 2 les diffuse comme un scoop. Et que dit le chef djihadiste dans ces images ? Que les vraies valeurs de la France sont défendues par Marine Le Pen parce qu’elle pense que l’armée française ne doit pas intervenir en Syrie. Cet homme se revendique de la branche syrienne d’Al-Qaida, vous savez ce truc financé par les monarchies du Golfe avec lesquelles nous nous entendons si bien...

La montée du nationalisme et du racisme en France a bien sûr des effets sur les habitants racisés des banlieues et sur sa jeunesse à qui on fait bien comprendre au jour le jour – à coup de service public pourri, d’absence d’avenir autre que dans le salariat précaire ou la revente de drogue, à coup de harcèlement par la BAC et de contrôle au faciès, sans compter le racisme quotidien et ordinaire – qu’ils ne sont pas des Français comme les autres. La montée du nationalisme et du racisme nourrit les politiques impérialistes d’intervention à l’étranger qui créent plus de problèmes et de morts inutiles que de solutions, tout comme l’a fait l’intervention américaine en Irak en 2003, en Afghanistan ou en Libye. Tout comme la guerre de 1870 a engendré la Première Guerre mondiale, qui a elle-même donné naissance à la Deuxième Guerre mondiale. On veut nous faire rentrer dans un cycle sans fin qui donne du pouvoir aux gouvernants et aux bourgeoisies en resserrant les populations derrière leurs drapeaux nationaux… Mais le nationalisme n’a rien d’autre à offrir que la mort, l’insécurité permanente, l’exploitation, le racisme et la barbarie absolue, comme la Seconde Guerre mondiale nous l’a si bien démontré.

Notre devoir, pour nous protéger et sortir de ce cycle infernal, c’est un devoir d’anti-nationalisme, rappelant sans cesse que les êtres humains et les travailleurs n’ont pas de patrie, qu’ils doivent lutter contre la production d’armes et les guerres qui enrichissent des marchands d’armes prêt à tout – voir les assassins de Dassault à Corbeilles-Essonne. Nous ne devons pas nous contenter d’un formel « plus jamais » et de la célébration d’une Union européenne qui nous prouve chaque jour qu’elle monte les peuples les uns contre les autres. Nous devons lutter politiquement pour créer des mouvements de masse contre les guerres impérialistes, pour l’accueil des réfugiés. Ce sera la seule façon de trouver des solutions concrètes pour établir la paix… Ne nous trompons pas, elle ne pourra avoir lieu qu’en affrontant la classe politique actuelle et le pouvoir économique qui se cache derrière elle. Si nous voulons rendre hommage aux poilus, il faut donc reprendre le chemin des mutinés de la Mer noire, de l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC) qui déclarait lutter contre le colonialisme et le racisme, pour la paix et la solidarité entre les peuples. Il faut reprendre surtout l’exemple des soldats russes qui firent la révolution en 1917. Comme disait Rosa Luxembourg qui fut victime des corps-francs et du nationalisme d’extrême-droite en 1919 : « Socialisme ou Barbarie ».


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