100.000 personnes se sont rassemblées sur les rives du Bosphore pour écouter les déclamations du sultan Erdogan. Pour l’occasion, autant de drapeaux pourpres frappés du croissant, ceux de la République turque, et non de l’AKP. Et des clameurs, à chaque envolée anti-kurde du président. Après plusieurs semaines de reprise d’une guerre civile de l’Etat turc contre l’organisation kurde du PKK, la tenue de ce meeting montre à quel point Erdogan est disposé à utiliser tous les leviers de la République turque, dans sa version la plus autoritaire et nationaliste.

En jouant le jeu de la tension anti-kurde, Erdogan cherche décidément à conquérir la frange la plus nationaliste de l’électorat turc. Parmi elle, les militants du parti d’extrême-droite, le MHP, qui s’adonnent à des pogroms et des intimidations anti-kurdes et peuvent compter sur la bienveillance des autorités. A ce jeu là, Erdogan risque bien d’être dépassé par une remontée du MHP dans les sondages. Voilà pourquoi un tel meeting intervient, à un moment clef pour capitaliser son aura anti-kurde auprès de l’électorat nationaliste. Voilà également pourquoi Erdogan doit déclarer de façon bien hypocrite, pour se distancer de l’agissement des milices fascisantes, que « turcs et kurdes sont frères [et que], ceux qui veulent les diviser sont des traîtres ».

Erdogan et avant lui, son ex-premier ministre, Ahmet Davutoglu, ont promis « d’anéantir » les camps de la guérilla kurde et s’en sont pris au parti progressiste pro-kurde HDP, dénoncé comme agissant comme principale menace de l’Etat turc et source de sa déstabilisation : en effet, les précédentes élections qui ont porté le HDP aux delà de la barrière maintenue à 10% des voix avait largement contribué à la défaite de l’AKP, annulant le plan préparé par Erdogan d’une réforme du système en régime présidentiel favorable au renforcement de son pouvoir.

Guerre civile à l’Est, climat d’extrême tension qui attise les agissements des milices d’extrême-droite à l’encontre de la population kurde et la gauche dans les grandes villes, Erdogan profite de ce climat propice à l’embrasement pour capitaliser politiquement en vue des élections prochaines. Il a recours, pour cela, aux vieilles recettes de la république turque, et notamment sa répression dans le sang de la population kurde, prouvant une fois de plus, qu’au delà l’artificielle fracture entre laïcs et islamistes, les partis de gouvernement en Turquie, sont en dernier ressorts les défenseurs de l’Etat et de la réaction.