Parmi eux, environ 300-400 hommes et femmes vêtus de noirs, le visage dissimulé sous des lunettes, des foulards ou encore des cagoules, ceux que le pouvoir et certains médias se plaisent à assimiler à l’image fantasmagorique et infamante des « casseurs », venus soi-disant pour assouvir leurs pulsions destructrices, sans se préoccuper de l’objet de la manifestation. Partie intégrante de la manifestation dès le début, organisés, équipés, fonctionnant par groupe politique affinitaire, ces militants étaient essentiellement regroupés autour des quelques banderoles renforcées ayant pour fonction la protection du cortège et des manifestants, notamment contre de possibles charges de force de l’ordre, mais aussi pour servir de point d’appui pour progresser lors d’offensives contre celles-ci.

Vers 13h30, la manifestation se mit enfin en branle. Nous avançâmes à un rythme relativement soutenu sur le boulevard. Toutes les entrées des rues perpendiculaires, tout au long du trajet de la manifestation, furent bloquées, soit par des rangées de CRS, soit par des grilles anti-émeutes. A cela, il faut rajouter les CRS « escortant » le cortège de tête depuis les trottoirs, ainsi que l’hélicoptère apparu dans le ciel vers 15h.

Cette omniprésence policière, cette promiscuité entre manifestants et forces de l’ordre, nous a rappelé la « sanctuarisation » par la préfecture de l’hyper-centre rennais, et cela depuis le mois de mars. Celle-ci fut ressentie comme particulièrement angoissante par les manifestants, provoquant chez eux un sentiment d’insécurité, mais aussi perçue comme une énième provocation d’un pouvoir socialiste voulant à tous prix réaffirmer son autorité et sa détermination à travers cette démonstration de force dans la sphère partagée.

Nous marchions en scandant des slogans hostiles aux décideurs socialistes et à la police. Très rapidement, derrière nous, des affrontements se déroulèrent entre des manifestants et des forces de l’ordre au niveau de la jonction entre le cortège de tête et le début du carré de tête. Suite à ces premiers affrontements, les attaques de symboles du capitalisme commencèrent : banques, assurances,… Armés de marteaux et de projectiles en tous genres, des hommes et femmes habillés en noir, s’en prirent aux devantures de ces établissements. Certaines vitrines finirent par céder, mais aucun pillage à constater, ni aucune agression physiques contre des personnes. Aux faits des destructions limitées, s’ajoutèrent des tags et de la peinture avec des messages contre le gouvernement, le capitalisme, l’hyper-consumérisme. Puis, pendant de longues minutes, les destructions semblèrent prendre un caractère systématique. Un magasin de literie, un Starbucks ont également été pris pour cibles. Cette violence symbolique frappa les esprits, suscitant des applaudissements nourris chez de nombreux manifestants, mais aussi une certaine gêne, voire une réprobation contenue chez d’autres du fait de cette absence remarquée de différenciation, de discrimination dans le choix des cibles. Personne ne chercha, cependant, à s’interposer pour empêcher ces destructions de vitres et l’unité des manifestants n’a été remise en cause à aucun moment. Le cortège continua sa progression.

A plusieurs reprises le cortège eut à subir des charges des forces de l’ordre à divers croisements de rues, mais aussi des jets de grenades assourdissantes, de grenades de désencerclement, des tirs de grenades lacrymogènes et quelques tirs de LBD. Des manifestants y répondirent ou les provoquèrent, jugeant leurs présences intolérables, après trois mois de répression continue du mouvement et d’inflexibilité du pouvoir, par des jets de projectiles, notamment des pierres et des morceaux de bitumes arrachés sur le trajet.

Le cortège de tête poursuivit sa progression jusqu’à l’intersection entre le boulevard Montparnasse et celui des Invalides. Une ligne de CRS, se trouvant rue de Sèvres, juste à proximité de l’hôpital Necker qui faisait l’angle de la rue, eut à subir pendant une heure environ des séries intenses de jets de projectiles par des dizaines de manifestants, munis de banderoles renforcés. Certains jets sur les forces de l’ordre touchèrent involontairement les vitres de l’hôpital Necker, mais à aucun moment celui-ci ne fut désigné comme une cible à frapper, au même titre qu’une banque. Les forces de l’ordre ont répondu fermement à ces violences politiques par des charges successives, mais ont été obligées de refluer à chaque fois rue de Sèvres devant la pression des offensives des manifestants très remontés. Le reste du cortège de tête, composé de plusieurs milliers de personnes, s’arrêta, formant une masse protectrice, témoignant ainsi de sa solidarité politique avec les manifestants émeutiers. Il a fallu l’intervention d’un canon à eau pour obliger les manifestants à refluer et à continuer à avancer sur le boulevard des Invalides.

Le cortège de tête a donc repris sa marche de manière festive, dans l’unité, aux sons des slogans anti-loi travail et anticapitalistes, escorté de près par le canon à eau et une ligne de CRS formant une sorte de « cordon sanitaire » entre lui et le reste de la manifestation, et cela jusqu’à l’arrivée aux Invalides où de nouveaux affrontements se produisirent.