×

Témoignage

Séropositif

Facebook Twitter

A l´occasion de la journée mondiale de lutte contre le Sida, nous publions ce témoignage de Facundo Aguirre, séropositif qui revient sur son parcours dans sa lutte et sa compréhension de la maladie et des préjugés qui l´entourent.

Facundo Aguirre

J´ai contracté le sida en décembre 1999 et on me l´a détecté au mois de janvier de l´année suivante. Je me rappelle être resté longuement devant le miroir à observer les ganglions enflammés derrière mes oreilles avec la certitude d´avoir attrapé le virus. Ma sœur a été contaminée en 1986 et les ganglions ont été une des premières manifestations. C´est donc rapidement que j´ai fait le lien avec ceux qui se propageaient sur ma nuque.

A l´hôpital où je me suis rendu pour faire les premiers examens, j´ai reçu sur un papier carbone les résultats de ce premier test : positif. Face à moi, un spécialiste en infectiologie et deux psychologues. Sans vouloir échanger un mot, je suis rentré à la maison, où mes colocataires m´ont fait passé un interrogatoire sans même s´apercevoir du choc sous lequel j´étais.

Dès la semaine suivante, je commençais ma relation avec le service d´infectiologie qui dura plus de treize ans, et mon odyssée au sein de l´assistance publique, avant de passer, grâce à l´obtention d´une meilleure mutuelle aux services des cliniques privées. Sans critique vis-à-vis du professionnalisme médical, au niveau institutionnel, se dégagent de grandes différences entre la logique privée de la facturation et celle publique d´une équipe médicale davantage investie et alerte en dépit des ressources limitées et des vices bureaucratiques. Mon expérience clinique a en réalité incarné pour moi ce que Michel Foucault dénonçaitpar son concept de « bio-pouvoir » : la médecine comme pouvoir séculier, un mécanisme de contrôle social et de pathologisation des conduites humaines qui alimentent un horizon social répressif.

Quand je me suis rendu compte que j´étais porteur du HIV, j´ai eu affaire à tous les types de réactions. De la peine à l´indifférence, de l´affection la plus profonde à l´hypocrisie la plus totale, des faux-semblants aux critiques, tout y est passé. Du côté de mes sentiments, je passais de la sensation que la vie m´échappait peu à peu à la désolation absolue, un sentiment d´abandon et de défaite qui cédait peu à peu sous l´espoir de réaliser des projets de vie et d´aller de l´avant. Durant cette période, le soutien des amis et des camarades a été crucial. J´ai mis de côté mes relations avec certaines personnes, tout comme certaines personnes m´ont tourné le dos, ma nouvelle situation justifiant l´abandon et les pires remarques. A cette époque, le militantisme politique a été un point d´appui dans ma vie, à partir duquel j´ai pu repenser mes perspectives et mes priorités.

Pourquoi, issu d´une famille où la maladie avait déjà frappé, j´ai été moi-même touché par la maladie ? La répression sexuelle et culturelle ? Les pulsions de mortqui poussent à la promiscuité clandestine avec des inconnus ? L´usage excessif de drogue comme moyen de libération physique et psychique ? Pourquoi en suis-je arrivé à pratiquer ces comportements potentiellement dangereux tout en sachant les risques encourus ?

A la faveur des préjugés sociaux, j´ai sans cesse rencontré dans le regard des autres un mélange de peine et de jugement qui associe le HIV avec l´absence de contrôle et à des modes de vie et des formes de sexualité déviantes. J´ai toujours choqué, y compris le milieu des militants de gauche, lorsque j´ai du annoncer l´existence de ma maladie aux personnes avec lesquelles je voulais entretenir des relations et expliquer la part de réalité et la part de fantasme sur les risques encourus de transmission.

J´ai mis du temps à comprendre que le fait d´être porteur du HIV ne fait pas que remettre en cause les droits du travail – où il faut généralement cacher une telle maladie – mais porte aussi atteinte à son intégrité et à sa sociabilité, comme s´il était marqué d´une étoile jaune. Aujourd’hui je le refuse. Je dois me protéger tout comme ceux qui souhaitent avoir des relations avec moi.

Je n´accepte aucune forme de responsabilité attribuée par les préjugés habituels. Et c´est quelque chose de difficile car y compris des personnes qui m´aiment ou m´ont aimé ont eu parfois peur d´être menacées par ma maladie et ont mis entre nous une frontière invisible que seul le temps et les explications claires et scientifiques peuvent dissiper. Je fais valoir mon droit au plaisir comme quelconque être humain. Mais en plus, j´exige la reconnaissance de mon droit à travailler, à vivre dignement et, dans la mesure où ma maladie me l´impose, le droit aux personnes séropositives à recevoir une aide équitable et une aide médicale gratuite pour pouvoir vivre.

Il me semble qu´une des pires affections dont souffrent les séropositifs est celle de susciter un sentiment de pitié et de souffrir d´une exclusion qui poussent à se dévaloriser et à utiliser le fait d´être atteint du virus pour s´enfoncer dans des conduites dangereuses et se déresponsabiliser, comme un drogué impute à la drogue ses propres actes.

Le plus difficile, selon moi, pour un séropositif, c´est cette dépendance vis-à-vis du traitement. Les antirétroviraux sont des vraies bombes pour l´organisme qui rendent malades et sont bourrés d´effets secondaires. Lorsque j´ai commencé le traitement, je prenais environ 20 pilules par jour, ce qui me rendait fou. Je suis un patient problématique. Je ne tolère pas les médicaments, et mon humeur influe beaucoup sur mon envie de me traiter ou non. Ma dépendance aux médecins me donne des envies de rébellion. Cette attitude m´a plusieurs fois mis en danger et a permis au virus d´avancer au stade du SIDA qui est l´étape de dysfonctionnement du système immunitaire.

C´est arrivé ce stade que j´ai réagi en m´accrochant à nouveau à ce qui me maintient en vie. L´année 2013, j´ai été hospitalisé à trois reprises à cause des diverses infections. Mal mentalement et physiquement, alité, épuisé, et dans l´inquiétude permanente de ce qui pouvait arriver. C´est grâce à l´amour de mes compagnons de vie, ma fille et mes amis que j´ai pu m´en sortir et essayer de reprendre ma vie.

Il y a toujours un bénéfice collatéral à la maladie qui nous offre un point d´appui pour continuer à vivre. En quelque sorte, le VIH m´a aidé, à un moment, à réorienter ma vie sur des projets qui renforcent mon « eros », la pulsion de vie. Pour moi cet élément déclencheur fût le militantisme révolutionnaire. Le fait est que je n´ai jamais réussi à lier ma maladie à une politique et à une pratique pour combattre les préjugés, l´absence de droits et la marginalité dans laquelle vivent les porteurs du VIH. Ce n´est pas une erreur, parce que j´ai toujours pensé la politique comme un projet d´émancipation et pas seulement comme des pratiques de revendications, mais plutôt comme un manque, Pourtant la question du VIH et des inégalités dont souffrent les malades pourraient permettre d´ouvrir une réflexion politique et une pratique politique, certes limitée, mais nouvelle, notamment au sein de mes espaces militants.

C´est lorsque j´ai décidé de sortir du placard, il y a quelques années, que j´ai commencé à réfléchir et à discuter plus ouvertement de la défense et du soutien aux politiques pour l´égalité et l´émancipation sexuelle, aux droits des toxicomanes et aux politiques de santé pour les porteurs du VIH.

La politique a permis de me réaffirmer dans l´idée que dans une société capitaliste, de classes, alimentée par le fétichisme de la marchandise et l´obéissance aveugle aux normes qu´elle impose, seul le militantisme révolutionnaire peut lier la question des opprimés à celle d´un projet émancipateur, et permettre aux êtres humains, une fois en possession des modes de production, de devenir pleinement responsables de leurs actes.


Facebook Twitter
Innocent mais sans-papiers. Blessé par le Raid à Saint-Denis, la préfecture veut expulser Ahmed

Innocent mais sans-papiers. Blessé par le Raid à Saint-Denis, la préfecture veut expulser Ahmed

 Moselle. Le patron raciste relaxé par la justice

Moselle. Le patron raciste relaxé par la justice

Nestlé et son business criminel de l'eau et du lait en poudre

Nestlé et son business criminel de l’eau et du lait en poudre

Manifestation sauvage #23juin. Un blessé grave, la police efface les images !

Manifestation sauvage #23juin. Un blessé grave, la police efface les images !

Méga-incendie dans le Var : une nouvelle conséquence dévastatrice de la crise climatique

Méga-incendie dans le Var : une nouvelle conséquence dévastatrice de la crise climatique

#BoycottEquipeDeFrance : la droite et l’extrême droite en campagne contre la dénonciation du racisme

L'injonction (capitaliste) à être heureux

L’injonction (capitaliste) à être heureux

Crise économique. Les milliardaires français sont les plus riches d’Europe