Camilla Ernst

Les faits se sont déroulés entre décembre 2013 et juin 2014 dans un camp de réfugiés de Bangui, la capitale centrafricaine. Le rapport dévoilé par Anders Kompass contenait un certain nombre de témoignages d’enfants révélant avoir eu des rapports sexuels avec des soldats français en échange d’argent ou de nourriture, d’autres déclarant avoir été violés. Devant l’inaction de l’ONU, censé mener l’enquête depuis juin 2014, le directeur des opérations de terrain au Haut-Commissariat de l’ONU pour les droits humains avait, en avril 2015, tenté d’accélérer la procédure. Il avait alors été suspendu, placé en « congé administratif avec plein salaire ». A noter que, quand on est un haut cadre de l’ONU, ce qui est considéré comme une faute grave par l’instance donne droit à conserver malgré tout son salaire, une situation bien enviable du point de vue de tous les salariés d’usines PSA, de la SNCF ou de La Poste, licenciés pour trois fois rien.

Cette suspension, invoquée pour un motif tout aussi hypocrite qu’une violation de procédure (le rapport contenait les noms des victimes, témoins et enquêteurs lorsqu’il a été transmis aux autorités françaises), montre la préoccupation de l’ONU de dissimuler les crimes des troupes armées impérialistes dans les pays semi-colonisés. Elle permet par ailleurs, en réduisant l’affaire à une série de cas isolés à traiter en interne de l’instance, de ne pas questionner la responsabilité de la politique guerrière des pays impérialistes, à commencer par la France, dans toute une série de pays (Syrie, Libye, Mali, Centrafrique...), afin d’y faire perdurer leur domination politique, militaire et économique, sous couvert de « missions humanitaires ». Et les réactions immédiates à l’époque de la classe politique française, Jean-Pierre Chevènement en tête, minimisant et allant même jusqu’à remettre en cause la véracité des faits, marque leur volonté absolue de dédouaner l’Armée de ses responsabilités.

Alors pourquoi, alors que l’affaire semble oubliée, l’ONU revient-il aujourd’hui sur la suspension d’Anders Kompass en le blanchissant ? Outre le fait que cela lui permet de garder le contrôle sur une enquête que l’instance préfère certainement voir se résoudre en interne, l’annonce semble relever du calendrier géopolitique. En effet, alors que les scandales d’abus sexuels sur mineurs par les soldats présents en Centrafrique se multiplient ces derniers mois, donnant lieu à l’ouverture d’une nouvelle enquête par l’ONU elle-même le 5 janvier dernier, blanchir celui qui a obtenu rapidement les faveurs de l’opinion publique apporte une caution de bonne volonté de la part de l’organisme dans la gestion de ces affaires. Et par ailleurs, à l’heure où l’état d’urgence justifie l’intensification des interventions françaises dans la lutte contre « la menace terroriste », mais où l’interventionnisme français commence à être remis en question, comme au Burkina Faso dernièrement, il semble plus que jamais nécessaire pour nos politiques de redorer le blason de l’Armée française, en donnant une apparente impression de contrôle des troupes sur le terrain, et en réduisant leurs crimes à de simples bavures.