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Comment une ancienne dirigeante de la CGT a-t-elle pu être nommée préfète par Macron ?

Maryline Poulain, ancienne dirigeante de la CGT en charge du travail sur les travailleurs sans-papiers, a été nommée préfète par Macron. Une trahison qui illustre l’intégration croissante des directions syndicales au sein des institutions de collaboration avec l'Etat et le patronat, notamment le « dialogue social ».

Gabriel Ichen

20 juillet 2023

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Comment une ancienne dirigeante de la CGT a-t-elle pu être nommée préfète par Macron ?

Crédits photo : Capture d’écran Nouvelle Vie Ouvrière

Maryline Poulain, ancienne membre de la direction confédérale de la CGT et référente du travail en direction des travailleurs migrants, vient d’être nommée préfète déléguée à l’égalité des chances auprès de la préfète de la région Grand Est, préfète de la zone de défense et de sécurité Est, préfète du Bas-Rhin, par Emmanuel Macron, sous conseil du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Elle se retrouve ainsi dans la même « promotion » que Lydia Guirous, islamophobe notoire venue de LR, qui occupera le même poste mais en Gironde.

L’ancienne syndicaliste a répondu très favorablement à cette nomination, en expliquant être « très fière et honorée » et en n’oubliant pas de remercier chaleureusement Macron, Borne et Darmanin pour cette place offerte en tant que haute-fonctionnaire de l’appareil d’État.

Si l’on reprend le langage gouvernemental, « ces hauts fonctionnaires ont pour mission d’animer et de coordonner, avec les élus locaux, le milieu associatif et l’ensemble des acteurs de l’intégration, les dispositifs de l’État dans les domaines de l’emploi, de l’éducation, du logement, de la rénovation urbaine, de la citoyenneté et de rendre plus effectif le pacte républicain, promouvoir la cohésion sociale, lutter contre les discriminations et favoriser l’intégration des populations immigrées, en tenant compte des spécificités de chaque territoire.

En d’autres termes, il s’agit donc d’un poste de direction d’État ayant pour objectif de mettre en œuvre sur les territoires les politiques décidées par l’Etat et de « pacifier » les quartiers populaires et assurer la contention sociale dans les « quartiers urbains défavorisés ». D’ailleurs, ce poste de préfet délégué à l’égalité des chances a été créé suite aux importantes révoltes des banlieues de 2005 qui étaient partie de la Seine-Saint-Denis.

Survient alors une première question dans cette nomination qui ne peut constituer qu’une trahison vis à vis du mouvement ouvrier : comment passe-t-on du travail syndical censé venir en aide aux travailleurs immigrés surexploités au camp ennemi de la bourgeoisie en tant que petit soldat d’un gouvernement, et de Macron qui n’a eu de cesse de systématiser et durcir la chasse aux sans-papiers par des politiques toujours plus xénophobes ? Comment passe-t-on de membre dirigeant de la CGT censée défendre les intérêts des travailleurs face au patronat et aux politiques anti-ouvrières, à être nommée préfète par Macron, président des patrons et ennemi farouche du mouvement ouvrier ?

Pour le comprendre, il faut revenir à la fois sur le parcours de Maryline Poulain et en même temps, l’intégrer dans un phénomène plus structurel : l’institutionnalisation et l’intégration des bureaucraties syndicales à l’État, et leur tendance à la conciliation de classe, et ce au détriment des travailleurs.

Maryline Poulain : une longue expérience de collaboration avec l’État…

En tant que référente nationale du travail de la CGT en direction des travailleurs sans-papiers, Maryline Poulain a tout au long des quatorze années d’engagement syndical mené d’importantes luttes qui ont parfois été très dures et ont débouché sur des victoires comme celle la lutte des coiffeuses du quartier de Château-d’Eau, la grève de 25 sans-papiers maliens du chantier du 46, avenue de Breteuil. ou encore celui des salariés du nettoyage de nuit des restaurants Burger King Paris République.

Si ces victoires contrastent, à priori, avec le récent passage de Maryline Poulain dans le camp de l’ennemi, la stratégie et la méthode utilisées pour obtenir ces régularisations partielles donnent cependant quelques indices. Selon une source contactée à l’inspection du travail, la stratégie employée par la direction de la CGT dans chacun de ces conflits consistait à négocier en amont avec l’Etat le nombre de personne sans-papiers qui pourraient être régularisés ainsi que les cas précis. « Avant d’engager un conflit, elle prévient la préfecture puis fait le point avec le préfet et la direction de l’inspection du travail. Ils tombaient d’accord sur un nombre de personnes à régulariser engagées sur le conflit. Ces personnes devaient être de la CGT et se sont uniquement les personnes dont les noms étaient donnés par Maryline Poulain qui étaient régularisés. Tous ceux qui rejoignent le conflit et se battent mais dont les noms n’ont pas été donnés par Maryline Poulain ne sont pas régularisés », nous explique-t-on.

Une méthode que confirme aussi Karl Ghazi, secrétaire de la CGT commerce de Paris, et son fervent défenseur. « Elle présente des dossiers bien ciblés, à la fois pour ne pas donner de faux espoirs aux demandeurs et parce qu’elle sait qu’il faut une gestion rationnelle du temps : très peu de gens s’occupent de ces questions dans les préfectures », souligne-t-il.

Cette stratégie problématique tant dans le fond que dans la méthode, Marilyne Poulain l’a mise en œuvre d’abord en tant que secrétaire générale de l’union départementale CGT de Paris à partir de 2011, puis à la direction confédérale de la CGT en 2019 avec le soutien Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, comme le relève L’Opinion. Elle ne consiste ni plus ni moins qu’à trier les travailleurs sans-papiers et se refuse à imposer des régularisations collectives massives, laissant sur le carreau de nombreux travailleurs immigrés. C’est ce que dénonce aussi Où va la CGT « La CGT a abandonné une orientation de classe pour développer une pratique tout à fait réformiste de collaboration à peine cachée avec l’appareil d’Etat […] pour faire régulariser les sans-papiers qui répondent aux critères de Valls, en abandonnant les autres ».

C’est donc au travers cette pratique de collaboration de classe que Maryline Poulain a tissé des liens étroits avec la haute administration d’État et une longue liste de technocrates, de politiciens de la macronie dont l’orientation pro-patronale et anti-ouvrière n’est plus à prouver. Selon l’Opinion, « Marilyne Poulain conquiert les cœurs et les esprits au sein de l’appareil d’Etat : un bouquet de préfets comme Magali Charbonneau, Julien Marion, Georges-François Leclerc, Patrice Faure (pressenti pour diriger le cabinet d’Emmanuel Macron) ; Marie-Emmanuelle Assidon (en partance du cabinet d’Elisabeth Borne) ; Antoine Foucher (ex-directeur du cabinet de Muriel Pénicaud) ; des députés et élus (Marc Ferracci, Jean-Charles Orsucci, Fabien Roussel, Sacha Houlié, Julien Bayou, Boris Vallaud, etc) ». Mais elle a également cultivé de bonnes relations avec des patrons, notamment dans la restauration comme le rapporte le Monde dans un portrait : « On est plusieurs à t’en devoir une, côté employés comme employeurs », lui lance le patron des restaurants Melt.

Après ses fonctions à la direction de la CGT qu’elle quitte à l’été 2022, Maryline Poulain va poursuivre son rapprochement avec le gouvernement et son intégration à l’appareil d’État. A cette époque, Le Monde conclut ce même article consacré à l’ex-militante par la blague d’un haut-fonctionnaire faisant croire au préfet de Saint-Denis qu’elle était nommée sous-préfète. « Le corps préfectoral s’enrichirait d’avoir quelqu’un comme elle » confiait alors un haut-fonctionnaire au journal. Moins qu’une prophétie, c’est plutôt la suite naturelle des choses, la blague devenant réalité en moins d’un an. Elle est ainsi invitée et consultée par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, connu pour ses attaques répétées contre les immigrés, pour servir de caution « de gauche » au futur projet de loi immigration du gouvernement. Elle va ainsi militer auprès de Darmanin pour l’adoption de la fameuse mesure de régularisation des métiers en tension, présentée faussement par Darmanin comme la mesure « de gauche » du futur projet de loi, tout en militant auprès de la Nupes pour accepter le projet de loi. Darmanin expliquera devant la commission des lois au moment de présenter sa future attaque xénophobe contre les immigrés que « Maryline Poulain a été particulièrement écoutée ».

Une trahison illustrant la tendance à l’institutionnalisation et à la collaboration de classe de la bureaucratie syndicale

Ce qui apparaît comme une évidente trahison constitue un symptôme particulièrement aigu de l’institutionnalisation et de l’intégration des directions syndicales à l’État. Une institutionnalisation qui se manifeste par toutes les pratiques de négociations et de participation au « dialogue social » auxquelles s’adonnent depuis des décennies les directions syndicales avec le gouvernement, les différentes institutions de l’Etat et le patronat. Et ce de manière totalement anti-démocratique, sans aucun mandat, ni même la moindre consultation de la base des syndiqués et des travailleurs qui voient leurs luttes finir en accord signés par les bureaucrates syndicaux avec le gouvernement.

Des pratiques qui se poursuivent avec la participation récente de l’ensemble des dirigeants syndicaux, dont Sophie Binet secrétaire générale de la CGT, aux tables de négociations avec le gouvernement pour discuter du « nouveau pacte de la vie au travail » voulu par Macron.

Cette conciliation et collaboration des appareils syndicaux est recherchée et incitée par l’Etat et le patronat par un ensemble de mécanismes qui visent à procurer des avantages matériels aux bureaucrates en les éloignant de ceux qu’ils sont censés représenter. Cela commence évidemment par les mandats de permanents, souvent de fait payé par les entreprises ou l’Etat, dans les fédérations et les confédérations, qui permettent à ceux qui les cumulent de ne plus avoir à travailler comme avant. La multiplication des réunions de concertation avec l’Etat et le patronat favorise cette dynamique de déconnexion d’avec la base des travailleurs en modelant un syndicalisme de réunion. Le syndicaliste d’appareil devient alors un technocrate professionnel, spécialisé dans la négociation, pas si éloigné d’un homme politique classique qu’il côtoie régulièrement, plutôt qu’un militant de terrain qui cherche à organiser les travailleurs pour la lutte. Le dialogue social ne peut ainsi qu’aboutir à la canalisation institutionnelle et au contrôle des conflits sociaux, des grèves et autres luttes des travailleurs.

Comme l’évoque Jean-Bernard Gervais, ancien salarié au siège de la CGT, dans son livre Au royaume de la CGT, les bureaucrates entretiennent des liens forts avec l’État leur donnant l’assurance de ne pas retourner travailler mais d’être « recasés » souvent avec l’aide de l’État, à un poste confortable dans de hautes institutions. La nomination de Maryline Poulain comme préfète en est une illustration parmi d’autres.

On pourrait également citer Bernard Thibault, ancien numéro 1 de la CGT entre 1999 et 2013 qui a terminé administrateur de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ou son successeur Thierry Lepaon, qui après avoir correctement tapé dans les caisses de la confédération qui l’employait et le logeait, a été nommé dans différentes agences gouvernementales par Manuel Valls puis par Macron. Côté Force Ouvrière, Jean-Claude Mailly, secrétaire général de 2004 à 2018 a rejoint l’entreprise de conseil en restructuration d’entreprises de Raymond Soubie, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy. François Chérèque, prédécesseur de Laurent Berger à la tête de la CFDT, dirigeait jusqu’en 2016 l’Agence du Service Civique, tandis que l’ancienne numéro 2 de Laurent Berger a lâché son mandat pour rejoindre un organisme dirigeant de la Caisse des Dépôts et Consignations avant de prendre la tête de la Direccte en Bretagne. Impossible d’oublier Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT de 1992 à 2002, qui est carrément devenue patronne, présidente du Club du Siècle, et a dirigé pour le gouvernement l’arnaque qu’était le Ségur de la Santé en 2020. Ces exemples de recyclage de bureaucrates chez leurs nouveaux amis pourraient être multipliés à l’infini.

Rompre avec le "dialogue social", lutter pour l’indépendance de classe !

Face à cette intégration toujours plus étroite des bureaucraties syndicales à l’État dont la nomination de Maryline Poulain en tant que préfète est une énième manifestation, il y a urgence à se battre pour l’indépendance totale des syndicats vis-à-vis de l’État. Cela implique de rompre avec le dialogue social et plus généralement de lutter pour une véritable démocratie ouvrière au sein des confédérations pour que les appareils soient réellement contrôlés par les bases syndicales, pour la limitation du cumul des mandats de permanents et la rotation de ces mandats, afin que le centre de gravité du syndicalisme se situe sur le terrain et dans la lutte des classes et non dans les salons ministériels.

En ce sens alors qu’après le dernier congrès de la CGT Sophie Binet a été élue à la tête de la CGT en affichant une ligne plus radicale sur la forme que celle, critiquée, de Philippe Martinez, il est notable qu’aucune voix ne s’est exprimée au sein de la direction de la CGT sur la nomination de Maryline Poulain.

Ce silence partagé largement au sein de la CGT illustre la banalisation importante de la collaboration de classe. Mais alors que le dialogue social qui en constitue un des principaux leviers refait surface, il est plus que nécessaire de batailler pour l’indépendance de classe face au gouvernement et au patronat. Pour cela, et pour en finir avec la spirale des défaites, il faut définitivement rompre avec le dialogue social.


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