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Logistique

« En un mois, on a créé un syndicat et fait 20% aux élections » : entretien avec un syndicaliste de la logistique

A la mi-avril, les élections professionnelles se tenaient chez le géant ID Logistics. Dans la « région Ouest », ces élections ont vu l’émergence d’un nouveau syndicat CGT, qui a obtenu près de 20% des voix dans le collège ouvrier. Entretien avec Pierre-Maurice Calbo, ouvrier sur le site de Plaisance-du-Touch près de Toulouse.

Rafael Cherfy

28 avril 2023

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Révolution Permanente : Peux-tu rapidement nous présenter l’entreprise ou tu travailles et la fondation de votre syndicat ?

Pierre-Maurice Calbo : ID Logistics est une grande entreprise mondiale de la logistique, le leader français dans la catégorie « 3PL », c’est-à-dire qu’elle assure l’entreposage, la préparation de commandes, le transport et accompagne le client dans l’amélioration de ses performances. Les activités sont très variables d’un entrepôt à l’autre : cela va de l’agro-alimentaire au bâtiment en passant par le cosmétique, le pharmaceutique etc. Sur mon entrepôt par exemple, on s’occupe de tout ce qui est sanitaire et chauffage. Cela va du pommeau de douche à des chauffe-eau, de la visserie aux parois de douche etc.

Pour ce qui est de la fondation du syndicat, c’est parti d’un constat : sur notre entrepôt, cela faisait plus d’un an qu’on n’avait plus de délégué du personnel et tout le monde disait qu’on avait besoin d’un syndicat, car les conditions de travail sont très dures et nos salaires très bas. J’ai donc pris contact avec la CGT en février dernier simplement pour chercher à monter une section syndicale sur mon entrepôt.

C’est là que les difficultés ont commencées. Chez ID Logistics, les différents sites sont regroupés en « régions » qui n’ont rien à voir avec le découpage administratif de l’État. Pour la région Ouest de laquelle mon site dépend, il y a mon entrepôt à Toulouse, puis trois dont le plus important en termes d’effectif en Bretagne et un dernier à Tours. Un nouveau site va par ailleurs ouvrir à Loudéac en 2024 et être rattaché à notre région. Le problème, c’est que monter une section syndicale se fait au niveau de la région, pas du site. C’est un mécanisme qui rend très difficile la fondation de syndicats en dehors des élections professionnelles.

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Le hasard a voulu que les élections se tiennent à la mi-avril. Cela a été beaucoup de travail et d’heures de route, mais on a réussi à former deux noyaux militants à Tours et à Toulouse pour réussir à présenter une liste. En soi, il s’agissait d’une première victoire.

Avec l’inflation, il y a de plus en plus de collègues qui ne s’en sortent pas. A tel point que de plus en plus, il y en a qui sont obligés, en plus du travail difficile en 35h, de devoir charbonner à côté avec Uber Eat, Deliveroo. Et on ne parle pas d’un ou deux cas isolé, mais d’une part significative

Révolution Permanente : Vous avez obtenu de très bon score, au vu des circonstances, aux élections de mi-avril. Comment l’expliques-tu ?

Pierre-Maurice Calbo : Notre objectif initial était d’obtenir la représentativité, fixé à 10% des voix. Aux difficultés que je disais s’en ajoutent d’autres. Déjà, nous n’avions pas de candidat dans le collège cadres et agents de maitrise, ce qui compte pour la représentativité. Ensuite, et c’est naturel, il est évident que les collègues votent en priorité pour les candidats présents sur leur site pour avoir un contact direct et quotidien en cas de problème. Sur le principal site, nous n’avions personne, au contraire de la CFDT qui est historiquement ultra-majoritaire sur la région avec plus de 90% des voix il y a 4 ans.

Malgré toutes ces difficultés, nous avons obtenu 17.4 % des voix dans le collège ouvrier pour ce qui est des titulaires et 20.7 % pour les suppléants, ce qui nous permet largement d’être représentatif et avons obtenu 2 élus titulaires et 3 élus suppléants. Pour nous, il s’agit d’une très grande victoire et nous a permis d’être le second syndicat dans le collège ouvrier, derrière la CFDT et devant la CFTC.

A mon avis, ce succès s’explique de plusieurs façons. D’abord, le contexte social actuel a joué un rôle. Déjà lors de la grève des raffineurs en octobre dernier, la majorité des collègues étaient solidaires des grévistes, malgré les inconvénients du quotidien. C’est encore plus vrai avec la réforme des retraites parce que nous imposer deux ans de plus dans les entrepôts, c’est vraiment perçu comme un crachat à la figure. Avant la réforme, on a des collègues qui avaient dépassé largement les 62 ans, des collègues qui aujourd’hui ont 65, 66 ans. Donc le message dans la logistique c’est vraiment qu’on va mourir au travail.

Ensuite, il y a bien sûr, et comme partout, le coût de la vie qui a explosé. Avec l’inflation, il y a de plus en plus de collègues qui ne s’en sortent pas. A tel point que de plus en plus, il y en a qui sont obligés, en plus du travail difficile en 35h, de devoir charbonner à côté avec Uber Eats, Deliveroo, etc. Et on ne parle pas d’un ou deux cas isolés, mais d’une part significative des collègues. Toute la journée, on porte des charges lourdes, il y a la pression dans l’entrepôt, le turn-over, le danger aussi vu que, dans la logistique, le taux d’accidentologie est comparable à celui dans le BTP, tout cela pour un salaire au SMIC ou juste au-dessus et des primes qui sont très basses.

Je pense que, dans ces circonstances, le programme qu’on a présenté pour les élections a touché juste. On est partis des réalités du terrain pour proposer des revendications qui répondent à ces problèmes : augmentation de 400€ net des salaires et indexation sur l’inflation, semaine de 4 jours avec de nouveaux équipements pour une meilleure sécurité et, bien sûr, retraite à 60 ans et à 55 ans pour les métiers pénibles comme les nôtres. Et surtout, on ne s’est pas cantonnés à dire « voter la CGT, vous aurez ceci ou cela ». Non, on a expliqué dans nos tracts et nos tournées que si on voulait défendre nos droits et obtenir de nouveau acquis, il fallait qu’on s’organise et qu’on aille les arracher par un rapport de forces.

Dans les boîtes comme chez nous, on a été les grands oubliés du mouvement contre la réforme des retraites. Je pense que s’il y avait eu un élargissement des revendications aux questions des salaires notamment, la donne aurait pu être différente. Je ne dis pas qu’on aurait été en grève reconductible pendant 3 mois, mais il est clair que cela aurait aidé.

Révolution Permanente : Tu disais que le contexte social actuel a été un facteur important pour le lancement de votre syndicat. Comment vois-tu la situation aujourd’hui, alors que la loi a été promulgué par Macron et les suites ?

Pierre-Maurice Calbo : Chez nous, il n’y a pas eu de mobilisation du tout. Il y a bien une poignée de collègues qui, de manière individuelle, ont pu faire une ou deux manifestations, mais collectivement il n’y a rien eu. Le fait qu’il n’y avait aucun syndicat présent sur le site a évidemment été un grand frein à ce niveau-là, mais on ne peut pas tout résumer à ça.
Comme je disais, il y a eu une vraie solidarité envers le mouvement, ou beaucoup de collègues étaient en colère contre la réforme et disaient comprendre et soutenir les grévistes. Mais dès le début, il est apparu à beaucoup dans l’entrepôt que des manifestations espacées ne suffiraient pas pour faire plier Macron. Cela apparaissait évident dès le début du mouvement, et ça l’est encore plus aujourd’hui. La stratégie des dirigeants de l’intersyndicale nationale visant à faire pression sur les institutions a été un échec. Ce n’est pas anodin que ce soit les manifestations sauvages après le 49.3, ou les casserolades aujourd’hui, c’est-à-dire les moments qui ont débordé le cadre jugé acceptable par le pouvoir, qui fassent le plus flipper le gouvernement et le mettent en grande difficulté.

L’autre grand problème, c’est cette volonté, au niveau des dirigeants réel du mouvement, de cantonner les revendications au strict minimum, c’est à dire le retrait de la réforme, point barre. Quid des salariés immigré, qui sont arrivés en cours de vie et qui touche une retraite de misère ? Quid des femmes qui sont les principales touchées par la réforme ? Je suis persuadé que si l’intersyndicale avait proposé une autre réforme, avec pour base 60 ans max, 55 ans pour les métiers pénibles et sans condition d’annuité avec un plan de bataille à la hauteur, c’est à dire une grève reconductible, cela aurait renforcé le mouvement. Mais au-delà de ça, pourquoi se cantonner aux retraites quand l’inflation est la principale préoccupation dans la population ? Quand je te dis que certains collègues sont obligés de faire Uber à côté du boulot pour survivre, il est évident que le simple mot d’ordre de retrait de la réforme n’est pas suffisant pour faire passer le pas de se mobiliser. C’est pourquoi je me reconnais beaucoup dans ce que fait le Réseau pour la grève générale : construire la grève reconductible, élargir les revendications, le concept de grève marchante ou des secteurs en grève vont à la rencontre de secteur qui ne le sont pas, etc.

Je trouve que dans les boites comme chez nous, on a été les grands oubliés du mouvement contre la réforme des retraites. Je pense que s’il y avait eu un élargissement des revendications aux questions des salaires notamment, la donne aurait pu être différente. Je ne dis pas qu’on aurait été en grève reconductible pendant 3 mois, mais il est clair que cela aurait aidé pour se mobiliser un minimum. Surtout que la logistique est un secteur relativement « jeune » dans l’histoire du capitalisme et qui a peu de tradition de lutte. Le taux de syndicalisation y est de 4 %, ce qui est largement en dessous de la moyenne. C’est symptomatique que les ouvriers des entrepôts aient été parmi les premiers à se mobiliser sur les ronds-points en 2018 avec le mouvement des Gilets jaunes. Cela montre à la fois la colère du secteur, son potentiel de mobilisation mais aussi sa difficulté à se structurer et s’organiser à l’intérieur des entreprises.

Pour nous, les élections ne sont qu’une étape. Ce qu’on veut, c’est construire un syndicat de combat, présent sur le terrain et démocratique

Révolution Permanente : Comment vois-tu la suite pour votre syndicat ? Quels sont les sujets majeurs dans l’immédiat et comment vois-tu l’avenir sur le plus long terme ?

Pierre-Maurice Calbo : Le plus dur commence, mais notre bon score aux élections nous donne de l’optimisme ! On est déjà sur le front, parce que en plein milieu des élections, on a eu quatre collègues, trois CDI et un intérim, qui ont été licenciés pour faute grave sur mon entrepôt. Cela nous a beaucoup choqué et nous avons proposé immédiatement aux autres syndicats sur le site (CFDT et CFTC NDLR) de réagir collectivement. Au vu des conditions, en plein milieu des élections, donc sans avoir encore de délégué du personnel, on a proposé une pétition de soutien qui a été finalement soutenue par la CFTC et nous. On en est déjà à une soixantaine de signatures, ce qui est déjà beaucoup au vu de la taille de notre entrepôt. C’est une façon de soutenir nos collègues d’abord, en exigeant l’annulation des licenciements, mais aussi d’envoyer un message à la direction comme quoi on ne se laissera pas faire. Les questions des licenciements, des conditions de travail et les salaires, que l’on pourrait résumer par la lutte pour notre dignité, cela va être notre combat au quotidien.

Pour l’avenir, nous voulons à la fois construire et renforcer le syndicat, mais aussi instaurer une « tradition démocratique » pour le dire comme ça. Pour nous, les élections ne sont qu’une étape. Ce qu’on veut, c’est construire un syndicat de combat, présent sur le terrain et démocratique, et qui s’occupe de toutes les questions, que cela soit au niveau salarial à proprement parler comme de question plus de société, comme la question du racisme par exemple. C’est important car, dans mon entrepôt, il y a beaucoup de salariés immigrés qui sont confronté à cette oppression au quotidien.

Nous ne sommes pas naïfs, nous savons très bien que si nous nous contentons du noyau actuel et de notre bon score électoral, il sera difficile de défendre nos droits et encore plus pour arracher des avancées.C’est pourquoi nous insistons beaucoup sur la nécessité de s’organiser d’une part, et sur le côté démocratique d’autre part. Que cela soit dans le syndicat comme en dehors. Les salariés ont élu des représentants du personnel, pas des chefs ! C’est pourquoi nous avons lancé des réseaux sociaux et allons multiplier les tournées sur le terrain pour être au plus près des salariés, c’est la base. Ensuite, si demain des salariés nous sollicitent pour telle ou telle action, alors on mettra le syndicat à leur service. C’est pourquoi aussi nous nous sommes engagés, si par exemple un mouvement de grève se lance, à organiser des assemblées générales décisionnelles pour que les salariés aient non seulement leur mot à dire, mais décide directement. Nous verrons bien ou cela va nous mener, mais on espère réussir à imposer cette tradition là en particulier, car c’est à la fois nécessaire pour gagner, mais aussi pour assurer l’unité entre tous les collègues.

Propos recueillis par Rafael Cherfy


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