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Palestine

Tensions entre les Etats-Unis et Israël : les contradictions du camp démocrate s’aiguisent

Alors que les Etats-Unis multiplient les interventions humanitaires, le président des Démocrates au Sénat a appelé le gouvernement israélien à organiser de nouvelles élections, suscitant l’ire de Netanyahou. Derrière l’opposition cosmétique au génocide à Gaza, le discours de Chuck Schumer témoigne des contradictions du camp démocrate à l’orée des présidentielles.

Enzo Tresso

18 mars

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Tensions entre les Etats-Unis et Israël : les contradictions du camp démocrate s'aiguisent

Crédit photo : capture d’écran CNN

Jeudi 14 mars, le leader de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer a témoigné de son opposition à l’égard du premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, et de la coalition gouvernementale d’extrême-droite qui le soutient, dans un discours virulent, symptôme des contradictions du camps démocrate à l’orée des élections présidentielles. Confronté à la désertion d’une partie de son électorat, Biden est contraint, d’une part, de donner des gages à la jeunesse et aux minorités racisées, qui constituent une partie importante de sa base électorale. Toutefois, sa marge de manœuvre est limitée.

Les Etats-Unis haussent le ton

Dans son discours, prononcé le 15 mars, l’élu juif de New York a dénoncé la politique du premier ministre, l’accusant d’isoler Israël de la communauté internationale et de mettre en danger l’avenir du pays. Demandant au gouvernement israélien de procéder à des élections générales, à peine un an après l’accession au pouvoir du gouvernement d’extrême-droite, le sénateur a fait part de « l’immense obligation » qui lui incombait de témoigner publiquement de ses doutes à l’égard de Netanyahou : « Je pense que tenir de nouvelles élections aussitôt que la guerre sera moins présente donnerait aux Israéliens une opportunité pour exprimer leur vision au sujet de l’après-guerre ».

Dans son discours, Schumer s’est inquiété des conséquences de l’opposition de l’extrême-droite israélienne à la solution à deux Etats qui, selon lui, risque de condamner le pays à un état de « guerre permanente et d’isolation ». Faisant la liste des obstacles qui entravent la pleine réalisation de la solution à deux Etats, le sénateur a donné quatre causes de la stagnation du processus de paix : l’existence du Hamas et des Palestiniens qui le soutiennent, la puissance de l’extrême-droite au sein de la société israélienne et du gouvernement, le président Mahmoud Abbas qu’il a qualifié de dirigeant « catastrophique » des Palestiniens et le premier ministre Benjamin Netanyahou. Dénonçant l’extrémisme de la coalition gouvernementale, le sénateur accuse le premier ministre de s’être lui-même piégé : « Il est lui-même entré dans la coalition avec des radicaux d’extrême-droite comme Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Hvir, et, en conséquence, il s’est montré bien trop tolérant à l’égard des victimes civiles à Gaza, qui fait plonger le soutien international à Israël à un niveau historiquement bas ».

Adoptant un ton menaçant, Schumer a déclaré que le maintien de Netanyahou au pouvoir aurait des conséquences sur la politique israélienne du gouvernement étatsunien : « Les Etats-Unis n’auront pas d’autre choix que de jouer un rôle plus actif dans la clarification de la politique israélienne en recourant aux moyens de pression à notre disposition pour infléchir sa course. […] Le gouvernement des Etats-Unis devrait demander que l’Etat d’Israël ait la solution à deux-Etats à l’esprit lorsqu’il agit ».

Les contradictions du camp démocrate s’aiguisent

Venant du membre le plus haut placé dans la hiérarchie parlementaire, ces propos témoignent des difficultés de plus en plus sensibles qu’éprouvent les Etats-Unis à contrôler leur allié israélien. Tandis que Schumer s’était opposé, en 2015, à l’accord avec l’Iran, porté par Barack Obama, s’alignant sur les positions de l’Etat colonial qui rejetait tout réchauffement des relations diplomatiques avec Téhéran, et qu’il défendait, début novembre, le droit inconditionnel d’Israël à « se défendre contre le Hamas », son dernier discours témoigne davantage de la situation désespérée du camp démocrate qu’il ne présage d’une rupture véritable entre les Etats-Unis et Israël. En dépit de sa virulence, le discours de Schumer ne milite pas pour un changement radical dans la politique israélienne des Etats-Unis.

Alors que les Etats-Unis continuent de livrer des munitions à Israël, au risque de devenir complice des crimes génocidaires de Tsahal à Gaza et de la surenchère vers la guerre au Liban, la course fanatique choisie par Netanyahou a progressivement nourri les réticences du camp démocrate et du président Biden. Tandis que les démocrates doivent faire face à la désertion massive d’une partie de leur électorat qui a démontré, lors de manifestations massives, sa solidarité avec le peuple palestinien, et qu’une partie de la jeunesse et des minorités racisées promet de sanctionner le président sortant, Biden a multiplié les initiatives politiques et militaires pour empêcher l’érosion d’une partie de sa base électorale.

Dans le même temps, le camp démocrate est confronté à des dissensions internes de plus en plus marquées. Bien que la fronde parlementaire demeure ridiculement faible, et ne remette pas en question la guerre d’Israël à Gaza, elle témoigne néanmoins des divisions croissantes qui travaillent le parti. Le 13 mars, un groupe de huit sénateurs issus de l’aile gauche du parti démocrate, menée par Bernie Sanders, sénateur indépendant du Vermont, a demandé, au parlement, de conditionner les livraisons d’armes à Israël au libre passage de l’aide humanitaire. Alors qu’Israël perçoit une rente militaire annuelle de 3,8 millards de dollars d’équipements militaires et de munitions, la proposition de loi, appuyée sur l’Assistance Act qui interdit de livrer des armes à un pays qui ne respecterait pas le droit humanitaire, demande de suspendre les livraisons militaires tant que l’aide alimentaire ne parviendra aux Gazaouis.

En réponse, Biden a multiplié les initiatives humanitaires et les déclarations virulentes à l’encontre du pouvoir israélien, afin de préserver ce qu’il reste de sa base électorale. À défaut de pouvoir contraindre Netanyahou à limiter les coûts de la guerre, les autorités étatsuniennes ont entrepris d’acheminer, par des moyens aériens, de l’aide à Gaza. Alors qu’il faudrait qu’un demi-millier de camions puissent pénétrer chaque jour dans l’enclave pour satisfaire les besoins de la population palestinienne, le pont aérien mis en place par la Navy ne peut acheminer aux Gazaouis que l’équivalent de deux camions d’aide. Dans son discours sur l’état de l’Union, Biden a ordonné la construction d’un port provisoire au large de Gaza destiné à accueillir « des grands navires transportant de la nourriture, de l’eau, des médicaments et des abris temporaires. Cette jetée temporaire permettrait d’augmenter massivement la quantité d’aide humanitaire acheminée chaque jour à Gaza ».

En dépit de l’effort logistique important que requiert ce dispositif, confié à la 7e brigade expéditionnaire de transport, il ne sera pleinement opérationnel que dans une soixantaine de jours. Il devrait alors pouvoir garantir la livraison de deux millions de repas quotidien. Si le dispositif est plus efficace que les largages aériens, il demeure toutefois bien moins efficace que les livraisons par voie terrestre qu’Israël entrave en dépit de l’insistance des Etats-Unis. Comme le note Salvatore Mercogliano, la voie maritime « n’est pas rapide, cela ne livrera pas des quantités énormes, mais comparé à rien ou à des largages, c’est une grosse amélioration. Mais il serait bien plus facile de laisser entre l’aide par voie terrestre ».

À la recherche d’un équilibre, Biden livre désormais du pain et des bombes, apportant une aide toujours insuffisante à une population continuellement meurtrie par les obus que les Etats-Unis continuent de livrer à l’armée coloniale. Ce lundi 18 mars, le président Biden s’est félicité du discours du Schumer en déclarant « qu’il fallait un bon discours et je pense qu’il a exprimé des préoccupations importantes, qui ne sont pas seulement les siennes mais qui sont partagées par de nombreux Américains ».

En dépit de ces déclarations à l’encontre du premier ministre israélien et des efforts humanitaires existants mais parfaitement insuffisants des Etats-Unis, la cible de ces opérations de communication demeure essentiellement intérieure, comme le souligne Michael Fakhri, rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation de l’ONU, à propos de la construction du port provisoire : « Cela s’adresse à un public national. Ce qui me donne de l’espoir, c’est la mobilisation croissante dans le monde entier, mais surtout aux Etat-Unis, de personnes qui exigent un cessez-le-feu ». Alors que la pression électorale monte, Biden tente de se distancier avec Netanyahou sans rompre avec Israël. Sa marge de manœuvre demeure toutefois limitée et il fait face à la pression croissante d’une fraction de la bourgeoisie dont les Républicains se sont faits, depuis Bush, les porte-parole.

La politique des vautours

En réponse aux propos de Schumer, les Républicains ont défendu la politique de Netanyahou et la « souveraineté » du gouvernement israélien en matière de défense. Mitch McConnel, leader des Républicains au Sénat, a ainsi qualifié la proposition de Schumer de « grotesque », rappelant « que le gouvernement d’unité nationale et le cabinet de guerre israéliens méritent la déférence due à un pays démocratique et souverain ». Le président de la chambre des représentants, Mike Johnson, député de Louisiane affilié aux Républicains, a accusé Schumer de saper l’unité du peuple israélien : « Ce n’est pas seulement gravement inapproprié, c’est une terrible erreur pour un représentant américain d’attiser les division ». Michael Herzog, ambassadeur israélien, a tenu un discours plus modéré, indiquant que le discours de Schumer était « contre-productif et inutile ». Influencée par le fondamentalisme chrétien depuis Reagan et convaincue du rôle messianique d’Israël dans la bataille contre « l’empire du Mal », la droite républicaine défend, depuis de nombreuses années, des positions chrétiennes ultra-sionistes [1]. Au-delà des références idéologiques, c’est la nature même du projet impérialiste des Etats-Unis qui explique un tel alignement.

Alors que les capitaux états-uniens connaissent une crise de suraccumulation notable depuis les années 80, les politiques néolibérales ont privé la bourgeoisie étatsunienne des capacités d’absorption de l’Etat. Alors que l’investissement public et les grands travaux de modernisation des institutions et des infrastructrues auraient pu absorber en partie ces masses excédentaires, les politiques austéritaires du néolibéralisme reaganien ont stimulé la projection impérialiste des capitaux [2]. Contraints à exporter leurs capitaux surnuméraires, les Etats-Unis ont néanmoins recalibré leurs terrains d’intervention stratégiques sous la présidence d’Obama, accordant un poids accru à l’Indopacifique, après avoir normalisé ses relations diplomatiques avec l’Iran. La situation explosive au Moyen-Orient a cependant contraint les Etats-Unis à réinvestir notablement le Moyen-Orient.

Si les démocrates ne souhaitent pas s’embourber dans la région, après le carnage irakien et l’échec afghan, l’instabilisation des équilibres régionaux a revitalisé l’antagonisme entre l’Iran et les Etats-Unis, réanimant l’obsession des Républicains pour le Moyen-Orient et la constitution d’un bloc anti-Iranien, projet stratégique porté notamment par Trump. Clef de voute de l’axe anti-iranien construit par les Accords d’Abraham, signé en 2021, les Républicains sont déterminés à soutenir Israël, quel qu’en soit le prix et dénoncent la politique de Biden, qu’ils jugent timorée à l’égard de l’Iran. Comme en témoignent les récents débats sur la nature de la riposte que les Etats-Unis devaient conduire après l’attaque d’une base étatsunienne à la frontière jordano-syrienne, la ligne radicale des Républicains qui militaient pour une attaque directe contre l’Iran se heurte au projet démocrate, formulé par Obama, de projeter les forces militaires étatsuniennes sur d’autres terrains d’engagement.

Si Républicains et Démocrates partagent un même projet impérialiste, les différends tactiques entre les différentes fractions de la bourgeoisie se sont aiguisés : si les démocrates continuent de défendre l’engagement économique des Etats-Unis aux côtés de l’Ukraine, les Républicains se sont désintéressés du confit et tentent de se décharger des conséquences de la guerre. De ce point de vue le camp républicain est relativement unanime : alors que les deux chambres discutaient d’une enveloppe de 28 milliards de dollars d’aide à l’Ukraine et à Israël, les Républicains n’ont fait obstruction qu’aux aides à destination de l’Ukraine. Si une minorité, dont quatre membres de la direction du parti, ont néanmoins consenti à accorder une aide importante à Zelensky, la majorité des représentants républicains se sont ralliés aux positions de Donald Trump tout en s’accordant sur la nécessité de soutenir Israël dans la lutte contre « l’empire du mal », hier l’Irak et l’Afghanistan, aujourd’hui l’Iran. Tandis que l’Ukraine apparait désormais comme un bourbier à une partie de la bourgeoise étatsunienne, sa fraction la plus radicale préfère consolider ses positions au Moyen-Orient quitte à sacrifier les équilibres régionaux et les alliés soumis à son commandement.

Alors que les équilibres régionaux sont de plus en plus instables et que le jeu des alliances régionales se recompose de manière fébrile, les démocrates tentent de contenir les ambitions génocidaires de l’Etat colonial et de préserver la région d’une conflagration majeure qui les contraindrait à réviser leur projet stratégique tout en protégeant, de manière désespérée, la base électorale sans laquelle Biden ne pourra être réélu.


[1Jean-Pierre Filiu, Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné  : histoire d’un conflit (XIXe-XXIe siècle), Paris, Éditions du Seuil, 2024, pp. 68-89.

[2David Harvey, Le nouvel impérialisme, Paris, Les Prairies ordinaires, 2010, pp. 238-239.



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