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Universités

Toulouse. Les enseignants de l’IUT Paul Sabatier en « démission administrative » pour dénoncer la précarité

En « démission administrative » pour protester contre une réforme précarisante, des enseignants de l’IUT Paul Sabatier se mobilisent depuis la rentrée. Dans un contexte d’inflation et de politiques austéritaires successives dans l’enseignement supérieur, le mouvement est massivement suivi au niveau national. L’enjeu est désormais d’élargir la contestation sur les facs.

Arno Gutri

15 septembre 2023

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Toulouse. Les enseignants de l'IUT Paul Sabatier en « démission administrative » pour dénoncer la précarité

Crédit Photo : Révolution Permanente

Depuis la rentrée, l’IUT Paul Sabatier de Toulouse fonctionne en mode « dégradé ». Déjà mobilisés lors d’une « matinée morte » le 21 juin dernier, les Enseignants du Secondaire Affectés dans le Supérieur (ESAS) de l’IUT sont en « démission administrative ». Concrètement, cela signifie qu’ils ne remplissent pas certaines tâches administratives non obligatoires, comme par exemple la gestion des emplois du temps.

Lundi 11 septembre, 60 professeurs et plus de 200 étudiants solidaires se sont réunis devant le bâtiment de la présidence de l’Université Paul Sabatier, avant qu’une délégation rencontre le président de l’Université, Jean-Marc Broto. Jeudi 14 septembre, une centaine d’ESAS de l’IUT, une enseignante de l’INSA et quelques enseignants-chercheurs se sont réunis en assemblée générale pour décider de la suite du mouvement. Une nouvelle journée nationale est déjà annoncée pour le 21 septembre.

La « rentrée dégradée » de l’IUT Paul Sabatier s’inscrit dans un mouvement national. Initiée par le collectif 384, la « démission administrative » est massivement suivie depuis la rentrée sur l’ensemble du territoire. Lundi 11 septembre, des rassemblements se sont tenus dans les IUT de Grenoble, Montpellier, La Rochelle, Saint-Brieuc, Angers, Vélizy, Annecy, Orléans, Nîmes, Clermont-Ferrand…

Le mouvement concerne également de nombreux départements STAPS (filière sport), comme à Tarbes, Créteil, Bobigny, Brest, Nantes, ou Rouen.

Des travailleurs essentiels toujours plus précarisés

Les ESAS sont des enseignants de collège et lycée qui appartiennent aux corps des agrégés (PRAG), des certifiés (PRCE) ou aux autres corps d’enseignement et d’éducation du second degré, mais sont affectés dans l’enseignement supérieur. Comme leurs collègues enseignants-chercheurs, les ESAS donnent des cours à l’université et prennent en charge des responsabilités pédagogiques et administratives. Selon le Collectif 384, qui réunit les ESAS mobilisés à l’échelle nationale, ces enseignants sont 13 000 en France et représentent 20 % du personnel enseignant et 40 % des heures d’enseignement dispensées à la fac.

Conséquence des politiques austéritaires dans l’université, ces contrats précaires sont devenus la norme. Comme l’explique Maud Giffard, enseignante à l’IUT 1 de Grenoble au département Mesure physique, « dans les universités, il y a des enseignants du secondaire affectés au supérieur qui sont chefs de département, directeurs d’études, qui gèrent les emplois du temps, qui assurent le suivi des étudiants, la coordination des alternances et des stages… ». En bref, ESAS et enseignants-chercheurs travaillent ensemble au quotidien et assurent les mêmes missions.

Malgré le fait que ces travailleurs partagent les mêmes tâches, la dernière Loi de Programmation de la Recherche, votée en 2021, a instauré entre eux un traitement inégalitaire au détriment des ESAS et des vacataires. Mettant fin à un fonctionnement en place depuis 30 ans, les ESAS et les vacataires sont désormais exclus du régime de prime (RIPEC) des enseignants-chercheurs. Ce traitement inégalitaire est d’autant plus injuste que les ESAS ne sont pas concernés par la revalorisation des primes de leurs collègues du secondaire ! C’est donc une double exclusion que subissent ces enseignants, toujours plus précarisés et méprisés par l’Etat. Cette nouvelle politique austéritaire a mis le feu aux poudres et sonné le départ de la contestation en janvier dernier.

Face à la pression du mouvement, la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau, a proposé d’augmenter la prime des ESAS de 1 000 euros dès cette année, pour atteindre 4 200 euros en 2027. Cela ne règle pas le traitement inégalitaire réservé aux ESAS, puisque la prime de leurs collègues enseignants-chercheurs atteindra alors 6 400 euros. Une nouvelle preuve du mépris de la ministre.

« La goutte de trop »

Cette vague de colère fait rejaillir des problèmes structurels de l’université. C’est ce qu’exprime le témoignage de Christophe Bordenave-Biben, enseignant à la fac de sport de Créteil : « Le point de départ des revendications, c’est cette prime, mais cela a exacerbé d’autres problèmes. Ainsi, nous nous sommes rendu compte que les dotations du ministère aux universités, à la nôtre en particulier, décroissent énormément. »

En effet, cette nouvelle attaque du gouvernement intervient après plusieurs réformes qui ont profondément dégradé les conditions d’enseignement à l’université, notamment dans les IUT. Elyes Chaouch, professeur d’anglais en Information-Communication à l’IUT de Paul Sabatier et syndiqué au Snesup-FSU, évoque cette situation : « Ça fait des années qu’on subit l’austérité à tous les niveaux. En tant qu’ESAS, on a des carrières au point mort. L’avancement est le plus lent possible. Pendant le Covid, la réforme du BUT [Bachelor universitaire de technologie] a rajouté une troisième année de formation à moyens constants : pas d’embauches supplémentaires, pas de nouveaux locaux, mais une centaine d’étudiants en plus ! »

Il dénonce aussi l’idéologie d’ensemble qui sous-tend ces réformes : « Maintenant on passe à "l’approche par compétences". Nos cours sont des "ressources". Pour moi, c’est pas ça la fac. Les étudiants ne sont pas des robots. Tout ça s’inscrit dans un système plus global, comme la réforme du lycée professionnel. C’est ce que demandent les entreprises. C’est la continuité des politiques néolibérales sur l’université. » Pour Elyes, l’exclusion des ESAS du RIPEC, « c’est la goutte de trop » : « Tout ce contexte fait que lorsque la réforme du RIPEC est passée en 2021, ça a cristallisé tous les problèmes. Il y a un ras-le-bol, cette fois on a dit : "On arrête !" »

Construire le rapport de force sur les universités

Alors que Macron expliquait le 4 septembre, face au youtubeur Hugo Décrypte, que « les universités n’ont pas de manque de moyens », la ministre de l’EnseignementSsupérieur a déclaré, quatre jours plus tard, vouloir ponctionner « l’argent qui dort  » (1 milliard d’euros) dans les fonds de roulement des universités. La ligne du gouvernement est claire.

Face à cette casse continue de l’enseignement supérieur, la colère qui existe dans ce mouvement national ouvre la possibilité de construire un véritable rapport de force dans les universités. Pour cela, une des pistes serait d’étendre le mouvement aux autres travailleurs de l’université : enseignants-chercheurs, vacataires, BIATSS… Cela passera par une lutte autour de revendications communes, pour en finir avec l’austérité et la précarité imposées depuis des années par les gouvernements successifs, en exigeant par exemple une revalorisation du point d’indice dans un contexte de forte inflation, la titularisation des contractuels, de nouvelles embauches et des moyens matériels massifs pour les facs.

Dans ce contexte, le soutien des étudiants sera un facteur déterminant. Également concernés par la dégradation des conditions d’enseignement, les réformes instaurant la sélection à l’université, la précarisation de leurs conditions de vie, radicalisés par des mois de bataille contre la réforme des retraites, ils ont de multiples raisons de se joindre à la lutte aux côtés des enseignants, comme ils l’ont fait le 11 septembre dans plusieurs IUT de France. C’est dans ce sens que Mia, militante au Poing Levé à Rouen, s’est exprimée depuis le campus de Lettres et Science humaines à Mont-Saint-Aignan, indiquant la voie à suivre : « La macronie demande aux universités de faire 1 milliard d’euros d’économies, alors que nous sommes dans une situation de précarité matérielle et pédagogique énormissime. Face à cette nouvelle attaque de la macronie, Le Poing levé appelle tous les étudiants et tous les enseignants à se mobiliser et à reformer cette émulation qu’on avait pu voir pendant le mouvement des retraites et qui avait fait trembler la macronie. »

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