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Il n’a pas que des soutiens…

USA. Le monde du travail contre Trump

Donald Trump n’a pas attendu pour jouer l’offensive. Il voulait passer à l’action rapidement pour se montrer déterminé à tenir ses promesses de campagne (du moins, celles qui n’avaient pas pour objectif de « nettoyer le Pentagone », en référence à la lutte contre la corruption de Washington). Son premier mois aux commandes a démontré clairement que son agenda a pour objectif d’attaquer les travailleurs, et en premier lieux les secteurs les plus exploités, et non de s’en prendre à Wall Street ou à « l’establishment » politique. Juan Cruz Ferre, correspondant à New York

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La politique anti-immigrés de Trump est assez exemplaire dans la mesure où il s’agit, fondamentalement, d’une attaque contre les travailleurs immigrés. Les entreprises de la Silicon Valley se sont plaint car une bonne partie de leurs salariés en col blanc, ultra-qualifiés, sont originaires d’autres pays. Mais ce sont les immigrants les plus pauvres et non qualifiés qui subiront de plein fouet les décrets Trump et qui souffrent déjà des effets de l’augmentation des descentes de la Police de l’Immigration et des Douanes.

Quand les droits en matière d’avortement sont menacés, ce sont les femmes travailleuses qui sont les plus affectées. Aux États-Unis, comme dans la presque totalité du globe, les femmes les plus riches accèdent à l’avortement, y compris quand c’est illégal, dans des conditions sécurisées. Quand le droit à l’avortement est dénié, ce sont les femmes de la classe ouvrière qui en paient le prix, et souvent de leur vie.

Cette politique anti-ouvrière se retrouve dans une loi fédérale de « droit au travail » qui menace d’être adoptée au congrès. L’autorisation pour reprendre la construction de l’oléoduc du Dakota (Dakota pipeline), qui est annoncé comme un projet de création d’emploi, bafoue les droits des peuples originaires de Standing Rock.

La réponse

La réaction face aux ordonnances exécutives de Trump a été rapide, massive et énergisante. La Marche de Femmes de 3 millions de personnes, les manifestions dans les aéroports et les quantités d’actions menées par des travailleurs immigrés ont montré une volonté de lutter comme on ne l’avait pas vu depuis des années. Ces mobilisations sont encore relativement informes et pour la plupart spontanées, mais elles ont été d’impressionnantes démonstrations de force.

La chaotique mise en œuvre du décret « anti-musulman » puis sa suspension temporaire, la brutale démission du conseiller à la sécurité nationale Michael Flinn 24 jours seulement après avoir été nommé, et les nombreuses fissures au sein d’un Parti Républicain, tout paraît indiquer que nous sommes face à un bloc gouvernemental instable. L’apparition de Trump lors de sa conférence de presse de jeudi fut un spectacle grotesque.

Aujourd’hui le principal risque serait de permettre que l’énergie des mobilisations soit capturée et canalisée pour revitaliser le Parti Démocrate. La vérité est que sans un programme indépendant, les manifestations diffuses « anti-Trump » bénéficieront tout naturellement aux démocrates.

Si le prochain président du Comité National Démocrate (DNC) est de l’aile pro-Hillary ou un candidat plus à gauche comme Keith Ellison, le Parti Démocrate continuera d’être financé et contrôlé par le capital. Son agenda sera différent de celui de Trump mais il sera toujours un agenda à 100% pro-capitaliste. Les démocrates peuvent récupérer le Sénat et peut-être même la Chambre des représentants mais les emplois continueront d’être mal payés et précaires, la police de tuer des noirs et des latinos en toute impunité et le sanglant système pénitencier de générer des bénéfices pour les riches, pendant qu’il ruine la vie de millions de personnes. Il nous faudrait recommencer à zéro.

Un agenda pour les travailleurs

Le défi aujourd’hui pour le mouvement anti-Trump est de construire un ensemble de revendications autour desquelles pourrait se retrouver une majorité de la classe travailleuse, et de se donner des objectifs. Alex Gourevitch signale à juste titre dans la revue Jacobin que nous devons aller plus loin qu’un mouvement de résistance. Néanmoins, son enthousiasme pour la « liberté » comme principe fondamental d’une politique de gauche radicale est problématique.

La liberté est l’un de ces termes vague, à définition variable, avec une signification ambiguë qui peuvent être utilisés par des forces politiques différentes, et même opposées, pour exprimer des valeurs très distinctes. De fait, la liberté est le mot favori des idéologues néolibéraux fanatiques du « libre échange ».

Ce dont nous avons besoin c’est d’un programme pour que le monde du travail soit en capacité d’affronter le gouvernement de Trump dans la rue et sur les lieux de travail, et cela va au-delà d’accepter les miettes que les démocrates sont disposés à offrir. Un tel programme n’équivaut à rien de moins, à long terme, qu’au socialisme. Mais pour les luttes immédiates, un ensemble de mots d’ordres qui réunirait les travailleurs et les jeunes mobilisés sous la même bannière pourrait servir de boussole pour échapper au piège de la collaboration de classe front-populiste. Comme nous l’avons vu plus haut, dans une coalition polyclassiste, les propriétaires du capital sont ceux qui dirigent, et ceux qui récoltent les bénéfices.

Nous devons construire un pôle de la classe ouvrière au sein du mouvement anti-Trump, non pas pour le diviser mais pour lutter pour une direction plus radicale. Il rejetterait explicitement les deux partis du capital et construirait une solidarité à travers toutes les luttes ouvrières.

Ce pôle ne luttera pas seulement contre les expressions les plus scandaleuse du sexisme légitimées par Trump, mais aussi contre le « féminisme libéral » incarné par Hillary Clinton et les démocrates, qui ont échoués dans la lutte pour garantir les droits des femmes, la défense de l’IVG, ont réduit les allocations pour les mères célibataires issues des classes populaires et ont placé de plus en plus de femmes derrière les barreaux.

Sur le même principe, nous devons lutter pour les pleins droits à la citoyenneté pour l’ensemble des travailleurs immigrés, ce que les démocrates n’ont jamais fait. De fait, le record historique de 2.5 millions d’expulsions sous Obama a posé les bases pour le sentiment anti-migrants que Trump a exploité et développé. Nous devons nous unir avec les travailleurs des deux côtés de la frontière.

Les travailleurs et les syndicats peuvent et doivent lutter pour en finir avec le racisme, l’oppression et la xénophobie. Quelques exemples en témoignent comme la grève du syndicat ILWU 10 local pour dénoncer la brutalité policière, tout comme la résolution approuvée par les groupes latinos et noirs du syndicat SEIU local 721 pour expulser les policiers de leur syndicat, ou encore les actions de syndicats comme UNITE-HERE local 7 autour du meurtre de Freddie Gray. Standing Rock est un autre bon exemple de comment les travailleurs peuvent soutenir concrètement les opprimés.

Une frange anti-Trump de la classe ouvrière pourrait présenter un ensemble de revendications économiques, pour des augmentations salariales significatives et de meilleures conditions de travail, répondant ainsi aux nécessités des travailleurs les plus touchés par le capitalisme financiarisé, par « les perdants de la mondialisation ». Ces travailleurs qui ont voté pour Trump se rendront bientôt compte qu’il ne représente rien de bon pour eux et il s’ouvrira la possibilité qu’ils adhèrent à une plateforme de la classe, toujours sur la base d’une lutte implacable contre le racisme et le sexisme. Avec un programme adéquat et à travers l’expérience des luttes communes, les travailleurs verront le potentiel à combattre notre ennemi de classe coude à coude avec nos frères et sœurs de classe sans distinction de couleur de peau, de genre, sexualité ou nationalité.

Un géant endormi

Le mouvement ouvrier n’est pas encore entré dans la bataille. Seuls peu de syndicats ont participé aux manifestations le jour de l’investiture de Trump, alors que des milliers de syndiqués ont participé aux mobilisations. Le secrétaire national de l’AFL-CIO, Richard Trumka, et le secrétaire de l’Union des Travailleurs de la Construction, Sean McGarvey, ont accepté de rencontrer le nouveau président et lui ont offert leur assistance.

Cependant, il y a une lueur d’espoir. Le mécontentement est latent parmi les travailleurs et certains sont déjà sortis dans les rues. Les syndicats des travailleurs de l’éducation AFT et NEA ont organisé des actions la veille et le jour de l’investiture de Trump.Les dockers du syndicat ILWU local 10 ont été à l’arrêt le jour de la prise des fonctions présidentielles. Unite-Here a publié une déclaration et s’est mobilisé contre l’interdiction d’entrée sur le territoire de personnes originaires de pays musulmans et ont dirigé plusieurs action contre Trump.

Plus impressionnant encore, des centaines de milliers de travailleurs immigrés ont participé au Jour sans migrants qui a paralysé le pays le 16 février. La forme que prendront ces mobilisations n’est pas prévisible à l’avance mais on peut dire avec certitude que la classe ouvrière, et en particulier son secteur issu de l’immigration, est peut-être endormie, mais qu’elle est loin d’être morte. L’alignement de la direction syndicale de l’AFL-CIO sur le président et qui suscite le dégoût de la grande majorité des travailleurs pourrait être un élément déclencheur et permettre la mise en place de comités, à la base, dans les syndicats.

Dans le même temps, si le projet de loi fédérale sur le droit au travail est porté au Congrès, les bureaucrates syndicaux verront leurs bénéfices personnels sérieusement menacés. Un ultime effort pour éviter un délitement de leur base pourrait les pousser à entreprendre des actions, comme avoir recours à la grève ou mobiliser leurs membres. Un tel déploiement de forces réelles mettrait en marche un pouvoir qui pourrait éventuellement échapper à leur contrôle. Les dirigeants syndicaux le savent, et tenteront donc de l’éviter. Mais le gouvernement de Trump est tellement outrancier et maladroit qu’il serait capable de pousser trop loin la provocation.

L’extrême gauche étasunienne serait capable de lancer la construction de ce type de courants radicaux au sein du mouvement ouvrier. Les organisation socialistes comme l’ISO et Socialist Alternative, The militant IWW et les membres du DSA qui décident de rejoindre l’activité syndicale devraient être à la base d’une telle perspective, disputer aux bureaucrates la direction des syndicats, construire la solidarité et proposer un plan actif de lutte pour créer la résistance ouvrière contre Trump. Certes, DSA n’a jamais véritablement coupé les ponts avec le Parti Démocrate. Socialist Alternative a demandé au maire de Seattle de « déployer la police pour protéger les migrants contre la police de l’immigration (ICE) ». Plus généralement, les militants d’extrême gauche actifs au sein des syndicats devraient prendre la lutte contre la bureaucratie syndicale plus au sérieux, parce qu’elle a des conséquences stratégiques.

Mais malgré ces importantes différences, ces organisations sont aujourd’hui dans une meilleure position pour construire des équipes militantes sur les lieux de travail et dans nos syndicats qui pourraient transformer significativement le mouvement anti-Trump, consolider un pôle de la classe ouvrière et revitaliser un mouvement ouvrier assoupi.

Trad. JPF


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