Au total, ce seraient plus d’une vingtaine de salariés d’Air France qui auraient été identifiés, dont une dizaine ayant un mandat syndical FO et CGT ; mais rien ne permet de dire s’il s’agit réellement de personnels ayant bousculé Xavier Broseta, DRH du groupe jusqu’à hier, et Pierre Plissonnier, directeur délégué du long-courrier. Le tribunal de Bobigny a également ouvert une information judiciaire, et dix plaintes ont été déposées : trois de cadres du groupe, six de vigiles et la dernière de la compagnie en tant que telle pour « violences aggravées », « dégradations » et « entrave au déroulement du CCE ».

Avant même de fournir des « preuves », Air France a livré ses conclusions. Dans le viseur, il y aurait donc deux pilotes, complices de l’intrusion des manifestants pour avoir ouvert un accès avec leur badge, quatre manifestants qui auraient arraché une grille d’accès et qui auraient été identifiés comme étant des membres de la CGT cargo, une hôtesse qui aurait désactivé une caméra à l’entrée de la salle de réunion, ainsi qu’une vingtaine de personnes qui resteraient à identifier.

Côté syndical, chez FO et à la CGT, on joue la carte de la responsabilité. Les deux organisations ont insisté sur le rôle de certains de leurs membres, intervenus pour protéger les cadres, et ont refusé tout amalgame. Indépendamment de la défense à adopter si des procès devaient s’ouvrir, c’est une ligne absolument opposée qu’il faudrait adopter : la seule violence vient de la direction. La colère des grévistes, elle, est a minima légitime, voire même pleinement justifiée. C’est un plan de guerre pour gagner la lutte qu’il faut aux salariés d’Air France, car tout le monde veut leur faire la peau : non seulement la direction, mais également le gouvernement.

La question du « plan social » de la direction est devenue encore plus centrale dans la mesure où le gouvernement a choisi de transformer la grève en un conflit politique et en un symbole de sa propre politique. C’est en effet le gouvernement qui a choisi de mettre tout son poids dans la balance, et qui sait qu’il joue gros. Cela va au-delà des 17% de participation de l’Etat au capital de la compagnie. Valls, depuis le Japon, et à son retour, a tenu à faire corps avec la direction d’Air France contre les grévistes. Cela s’est avéré encore plus décisif avec la nomination de Gilles Gateau, directeur adjoint du cabinet de Valls et son conseiller social, aux Ressources Humaines d’Air France, en remplacement de Broseta. Même si Matignon a assuré que la décision avait été prise avant la nouvelle crise à Air France, le transfert n’en reste pas moins symbolique.

En boucle, Valls a réitéré son soutien total à la direction de la compagnie, un appui salué par le patronat et ses relais. C’est le cas de Nicolas Beytoux qui développe, dans L’Opinion, une position qui peut sembler contradictoire mais qui ne l’est pas, en réalité, indépendamment de l’absence de cohérence formelle du propos : « en condamnant fermement les dérapages de quelques salariés, Manuel Valls a pris une position que l’on avait rarement vue dans ce genre de circonstances. Son refus d’intervenir dans la résolution du conflit, (…) son soutien plein et entier à la direction ont permis d’envoyer un message on ne peut plus clair aux syndicats engagés dans la bagarre : stop à l’intervention du politique dans les conflits sociaux, stop à cette pratique classique chez tous les gouvernements ».

La non-intervention, c’est donc l’appui au patronat. Si Valls persiste aussi fermement sur cette voie, poursuit Beytoux, ce sera « une petite case dans le vaste chantier du redressement [qui] aura été cochée ».

C’est pour toutes ces raisons que le conflit d’Air France est emblématique. C’est pour toutes ces raisons qu’il a besoin d’un soutien tout aussi clair que celui de Matignon à la direction : c’est parce que nous sommes tou-te-s des salarié-e-s d’Air France en lutte, pilotes, personnels navigants, au sol ou technique. Et cela passe avant tout par le fait de refuser la distinction entre les bons grévistes et les mauvais grévistes, les syndicalistes responsables et ceux qui auraient « échauffé » les esprits. La violence vient d’un seul côté : c’est celle des licenciements, qu’il faut refuser en bloc, tout comme les poursuites qui pourraient être lancées contre les salariés accusés d’avoir participé à l’action de lundi. Si le conflit ne fait que commencer, il faut d’ores et déjà mener campagne sur ces deux terrains.