×

Etat d’urgence, l’envers du décor

Arrêté à République pour avoir manifesté. Témoignage d’une garde à vue

Ce dimanche 29 novembre, j’ai été interpellé pour avoir manifesté place de la République pour le climat et contre l’état d’urgence. Alors que nous organisions un cortège avec le NPA, sans débordement, les CRS nous ont bloqués dans un coin à l’angle de la rue du Faubourg du Temple. Ils ont ensuite arraché plus ou moins violemment une grande partie d’entre nous, et nous ont détenus pendant de longues heures.

Facebook Twitter

Juste après notre interpellation, nous rentrons dans un bus de la police avec plus de 40 personnes. L’ambiance est bon enfant : de nombreux slogans et l’Internationale chantée en chœur, ce qui met l’ambiance dans la rue avec de nombreuses personnes qui nous acclament et chantent avec nous.
Ma première garde à vue se déroule dans une cellule de 16m² pour 18 personnes. Il y a une majorité de militants non encartés ou syndicaux qui critiquent tous l’état d’urgence, la guerre et l’islamophobie. Beaucoup critiquent les "casseurs", et pensent qu’on ne restera pas longtemps ou qu’on ne risque pas grand-chose. Un vieux militant argentin, survivant de la dictature, partage avec les plus jeunes son bagage en termes de répression d’état.
Je suis ensuite transféré dans un autre commissariat, de manière surréaliste, avec menottes hyper serrées et un policier qui me brutalise en me tenant très fort par le bras et en me provocant avec des remarques sexistes : "T’es pas une fillette ! Bouge-pas sinon tu vas dire que c’est trop serré."

Je suis embarqué dans un fourgon avec un autre prévenu et trois policiers, qui disent que c’est limite d’être trois pour deux personnes... On fait deux commissariats successifs qui nous disent tous qu’ils sont pleins. Le policier qui m’accompagne me tient en permanence même dans les commissariats, et me pousse dans les marches et les portes.
Arrivés dans le commissariat de destination, on se retrouve à 6 dans une cellule de 6m² avec trois matelas posés à même le sol. Les cellules sont ignobles, sentent l’urine et le vomi, et il y a de grosses tâches de sang sur les murs. Pour dormir, on doit se contorsionner. L’air est tellement confiné que la sueur se condense sur les vitres. Un néon est en permanence allumé.

Quand les policiers le décident, on peut aller aux toilettes mais ça dépend vraiment sur qui on tombe. Certains gardiens laissent la cellule ouverte et surveillent juste qu’on y aille un par un. D’autres referment à chaque fois et te pressent : "Dépêche-toi, on n’a pas le temps !".

Seul confort dans cet endroit ignoble, le son qui vient de la cellule des femmes, juste à côté de la nôtre. Pendant toute la nuit elles chantent. Des chants révolutionnaires, puis, une fois le répertoire épuisé, des chansons. Chanter, c’est une façon de rester debout.

Le dimanche soir, nous n’avons pas mangé ; le matin, deux petits beurres et une petite brique de jus d’orange. Le midi, j’étais en audition quand ils ont servi un truc que je n’ai pas réclamé car cela ne donnait vraiment pas envie : du blé aux légumes entouré d’une graisse visqueuse très semblable à de la nourriture pour chat.

Deux hommes avec nous ne sont pas des manifestants. L’un a été arrêté pour une possession de cannabis vraiment minime et a été violenté par les policiers qui lui ont dit : "C’est l’état d’urgence maintenant, c’est plus comme avant !". Et un marocain ne parlant pas français, mais qui parle arabe avec l’autre détenu, qui est en garde-à-vue depuis 60 heures pour vol de portable et ne semble rien comprendre à ce qui lui arrive.

A midi, après presque 20h de garde à vue, on me fait passer l’audition. Je dis que je ne veux pas répondre tant que je n’ai pas vu mon avocat, dont ils ont le numéro. Ils me font passer une "vérification" que l’on peut faire sans avocat. Je réponds aux questions d’identité, mais je dis que je ne veux pas répondre aux autres questions sans avocat. Ceux-ci me font savoir que l’avocat que je demande n’est pas disponible, ni aucun avocat commis d’office.
L’officier me presse de répondre aux questions en me menaçant de passer 24 heures de plus en garde à vue. Je ne cède pas et refuse de signer le procès-verbal. Celui-ci me répond : "Tant mieux, je vais pouvoir mettre ce que je veux". Quand je redescends dans la cellule, le camarade suivant passe en audition et verra lui, très étrangement, un avocat commis d’office, alors qu’aucun n’était censé être disponible quelques minutes avant.
Les policiers font signer à quelques personnes, surtout à de très jeunes filles, des prolongations de garde à vue. Celles-ci en ressortent très impressionnées en pleurant. Clairement, le but est de mettre la pression sur celles identifiées comme fragiles pour les faire passer aux "aveux".
Finalement, échec de leur opération, quelques heures plus tard, tous les manifestants sont libérés. Les policiers me font signer le procès-verbal de sortie. J’essaye de le lire mais ils me mettent très fortement la pression pour signer rapidement, surtout que quelques secondes avant de sortir, je ne pensais pas que ce serait le cas aujourd’hui, et du coup, je signe… sans savoir ce qu’il contient.
Tout au long de la garde à vue, les policiers ont multiplié les provocations. La palme de la journée est désignée à une policière qui nous déclare : "T’as voulu poser tes couilles en participant à une manifestation interdite. Bah maintenant, assume !"

Et bah, oui, madame, j’assume. Et malgré le caractère totalement arbitraire des interpellations et des mises en garde à vous de dimanche dernier, malgré l’expérience épouvantable que nous avons été nombreux à subir, ce n’est pas ça qui nous arrêtera dans notre défense des libertés. De cette liberté que vous nous avez enlevée de façon si radicale pendant 24 heures et que vous tentez d’arracher plus largement à coups d’état d’urgence et d’interdiction de manifester.


Facebook Twitter
Innocent mais sans-papiers. Blessé par le Raid à Saint-Denis, la préfecture veut expulser Ahmed

Innocent mais sans-papiers. Blessé par le Raid à Saint-Denis, la préfecture veut expulser Ahmed

Nestlé et son business criminel de l'eau et du lait en poudre

Nestlé et son business criminel de l’eau et du lait en poudre

 Moselle. Le patron raciste relaxé par la justice

Moselle. Le patron raciste relaxé par la justice

Un jeune motard violenté après avoir filmé des violences policières

Un jeune motard violenté après avoir filmé des violences policières


Méga-incendie dans le Var : une nouvelle conséquence dévastatrice de la crise climatique

Méga-incendie dans le Var : une nouvelle conséquence dévastatrice de la crise climatique

#BoycottEquipeDeFrance : la droite et l’extrême droite en campagne contre la dénonciation du racisme

L'injonction (capitaliste) à être heureux

L’injonction (capitaliste) à être heureux

Crise économique. Les milliardaires français sont les plus riches d’Europe