« Il y a un an, dans la ville d’Iguala, 43 étudiants mexicains de l’école normale d’Ayotzinapa ont été enlevés par la police sous les ordres des autorités locales de l’État de Guerrero}.

Il y a un an, pour une raison qui nous dépasse, la police municipale livra ces futurs professeurs ruraux au cartel du crime organisé "Guerreros Unidos". Les autorités fédérales ont déclaré que les étudiants auraient été assassinés et brûlés dans une déchetterie. Leurs corps, réduits en cendres, auraient été jetés dans la rivière.

Il y a 20 jours, une Commission Interdisciplinaire d’Experts Indépendants, désignée par la Commission Interaméricaine des Droits Humains, a remis en cause cette "vérité historique"}. En effet, leur rapport montre qu’il n’existe aucune preuve scientifique permettant d’affirmer la crémation des 43 corps, mais une série d’erreurs et de preuves falsifiées mises en scène afin d’occulter l’implication de l’armée mexicaine, engageant alors la responsabilité du gouvernement fédéral [ont été pointées]. Ce rapport montre l’implication d’un État incapable de rendre justice pour de mettre un terme à cette violence sans nom.

Il y a un an déjà que cette tragédie a bouleversé une nation toute entière}, où non seulement des étudiants, mais aussi des agriculteurs, des journalistes, des activistes et des travailleurs ont partagé la rage, l’impuissance et la profonde tristesse que ce crime étatique nous a fait éprouver.

Il y a un an que le nombre 43 s’est converti en symbole d’une lutte commune, une lutte qui appartient à tous ceux qui ne sont plus capables de tolérer ces actes de violence, à tous ceux qui ont la volonté de changer les choses.

Aujourd’hui, nous sommes venus ici pour inviter à une réflexion sur le passé et l’avenir du Mexique. Peut-on laisser tomber dans l’oubli la lutte que porte le nombre 43 ? Sommes-nous capables d’accepter tout ce qui semble inacceptable, dans notre mémoire ? Quel avenir nous attend si on construit le présent sans que justice ne soit faite, dans l’oubli du passé ?

Aujourd’hui nous sommes venus pour nous rapproprier cette lutte encore une fois, pour nous rappeler de chaque visage disparu, de chaque corps torturé et de chaque cri réduit au silence. Nous sommes venus pour affirmer notre indignation face aux mensonges et l’indifférence de l’État.

Aujourd’hui, ces 43 étudiants continuent à être recherchés par leurs parents et leurs amis. On veut s’unir à eux, leur montrer qu’ils ne sont pas seuls, et qu’on partage leur profonde douleur, qui est aussi la nôtre. Car cette recherche est également une recherche de nous-mêmes. C’est un questionnement constant de qui nous sommes et des actions qui nous définissent. C’est, au final, une réflexion sur la mort. Non pas sur la mort de ces 43 étudiants, puisqu’ils sont toujours vivants parmi nous tant qu’ils sont portés disparus. Non. C’est une réflexion sur notre propre mort, celle qui nous hante lorsque l’indifférence déplace l’indignation. Celle qui nous hante lorsque l’eau est illégalement privatisée, lorsque la liberté d’expression est massacrée, ou lorsque notre président, Enrique Peña Nieto}, fait son cirque à l’international pendant que son peuple lui réclame la justice nécessaire pour faire valoir la vie humaine.

Aujourd’hui on est ici pour ces 43 étudiants, pour dénoncer l’injustice qui leur a été si indignement infligée. On est ici pour réfuter la mort et le silence que le gouvernement leur a imposés. On est ici pour montrer que notre mémoire est d’autant plus forte que l’oubli qui nous est imposé. On est surtout venus pour célébrer leurs vies éternelles, qui sont aussi les nôtres. »