"Je parle des hommes et des femmes en banlieue qui vont travailler tous les matins et qui se font massacrer pour nulle autre raison que leur couleur de peau". Sur le plateau d’On n’est pas couché ce samedi, la chanteuse et comédienne a exprimé sa défiance vis-à-vis de la police, avec qui elle ne se sent pas en "sécurité" lorsqu’elle voit le rôle de celle-ci dans les quartiers populaires.
Ces propos ont fait réagir au quart de tour jusqu’au sommet de l’État puisque Christophe Castaner a dénoncé selon lui des propos "mensongers et honteux". Ce dimanche soir, c’est le syndicat de police Alliance qui a saisi le procureur de la République après avoir qualifié de "haine anti-flic" les dénonciations de l’intéressée.
Cette peur de la police a été accentuée au sortir d’un confinement autoritaire qui a vu se multiplier les victimes de violences policières. Quelques semaines après la brutalité des scènes de l’Ile-Saint-Denis, ces déclarations raisonnent avec la réalité quotidienne de ce que représente la police dans les quartiers populaires et pour les personnes racisées. Rien que pendant les deux mois de confinement, ce sont 12 personnes qui ont perdu la vie alors que la police était sur les lieux et probablement impliquée dans l’affaire. Et au-delà des décès qui incarnent le maillon le plus brutal des violences d’État, ce sont des centaines de vidéos qui ont tourné sur les réseaux sociaux, montrant des hommes et des femmes se faire frapper, tabasser, insulter, par la police. Villeneuve la Garenne, Argenteuil, Ile-Saint-Denis, autant de villes qui ont été le lieu de la brutalité policière mais aussi de la riposte de la population, durement réprimée.
🔴 GLAÇANT
À L’ile-Saint-Denis très tôt ce matin(1h43), lors d’une interpellation des policiers repêchent un homme qui s’est jeté dans la Seine pour leur fuir, je vous laisse découvrir la suite : pic.twitter.com/vcqepo7NNZ
— Taha Bouhafs (@T_Bouhafs) April 26, 2020
Sur les réseaux sociaux, l’écho de ses propos sont impressionnants. Depuis samedi, les hashtag #ViolencesPolicières et #CameliaJordana sont en Top Tweet. Aujourd’hui, c’est celui de #MoiAussiJaiPeurDevantLaPolice qui domine à plus de 34k tweets. Un mot d’ordre des plus explicites, mais aussi le signe que la parole se libère. Dire qu’on a peur, c’est déjà relever la tête semblent dire les dizaines de milliers de personnes qui témoignent des violences qu’elles ont subies.
⚠️N'en déplaise à @CCastaner @alliancepolice...#MoiAussiJaiPeurDevantLaPolice
On a peur devant la Police qui mutile des manifestants et blesse des journalistes, qui violente et tue des personnes racisées, qui tue des jeunes comme Steve...#ViolencesPolicieres #Castaner pic.twitter.com/fA1nYe8thi
— Peuple Révolté (@PeupleRevolte) May 25, 2020
En 2013 je me suis fait tabasser à terre par la BAC de Saint-Denis sur la route entre le Clos-Saint-Lazare (Stains, 93) et la cité Salvador Allende, j'ai eu peur et depuis quand je croise la BAC le soir j'ai peur pour moi et les miens. #MoiAussiJaiPeurDevantLaPolice
— 🇲🇦Professeur Yass🇲🇷 (@Yass_Professor) May 25, 2020
Tous ceux qui ont grandi dans des quartiers populaires. Tous ceux qui ont manifesté depuis 2016 contre la loi travail (sous la gauche PS),
avec les gilets jaunes ou mené des actions pour le climat ont peur de la police. #MoiAussiJaiPeurDevantLaPolice— Thomas Porcher (@PorcherThomas) May 25, 2020
Il y a 4 ans, en rentrant de soirée chez des amis, je me suis fait brutaliser par deux policiers de la BAC homophobes :
- "Tu le suces ton copain ?"
- "Il te défonce hein, pédé !"Depuis je suis toujours angoissé quand je croise un policier.#MoiAussiJaiPeurDevantLaPolice
— Victor Laby (@VictorLaby_) May 25, 2020
Un panel de tweets impressionnant, qui va de la dénonciation des violences dans les quartiers populaires, à celles subies par les Gilets jaunes en manifestation, en passant par les agressions homophobes. Comme si le confinement et ce qu’il avait révélé du rôle de la police dans les quartiers populaires, imposait que le monde d’après soit aussi celui de la levée de l’omerta et de la contestation face aux violences d’État.
Mais ce que révèle également cette polémique, c’est aussi cette fameuse « liberté d’expression » à deux vitesses notamment lorsqu’il s’agit de critiquer le pouvoir et ses méthodes de coercition. Comme l’exprimait Camélia Jordana sur le plateau, la mise en examen d’Assa Traoré dans le cadre de la mort de son frère Adama et l’incarcération de ses frères sont une des expressions les plus abouties d’un pouvoir qui tue puis musèle ceux qui relèvent la tête et osent parler. Une réalité qu’Assa Traoré a rappelé dans une vidéo de soutien à Camélia Jordana où elle dénonce le deux poids deux mesures de cette même classe politique lorsque Zineb El Rhazoui avait invité à tirer sur les jeunes des quartiers populaires.
Assa Traoré lance un appel à soutenir Camélia Jordana sur les réseaux sociaux !
Le ministre de l'intérieur, les syndicats de police et les mouvements d'extrême-droite ciblent Camélia Jordana sur les réseaux sociaux. #MoiAussiJaiPeurDevantLaPolice pic.twitter.com/Rm3vTS5uAF— La Vérité Pour Adama (@laveritepradama) May 24, 2020
Des personnes trainées en justice pour avoir décroché des tableaux de Macron aux Gilets jaunes emprisonnés pour avoir manifesté en passant par les journalistes indépendants arrêtés ou violentés, il est certain que la classe politique est bien déterminée à ne pas laisser « impunie » celle qui ce samedi, a dénoncé sur un plateau télé ce qu’il se passe dans les quartiers populaires. Et au regard des réactions en chaîne du parti au pouvoir et de l’extrême-droite, il est aussi l’expression d’un gouvernement à la défensive cherchant à ne pas laisser passer une dénonciation des violences policières qui pourrait bien faire tache d’huile et libérer la parole.
Mais enfin... Y’a pas de raison « d’avoir peur de la Police » !?
En un an : ils ont faillit me butter en GAV après 36h sans boire (je suis parti aux urgences avec les pompiers quand même). Et 5.12.2019, je me suis pris une belle grenade, pas loin. #moiaussijaipeurdevantlapolice pic.twitter.com/GoaQTN8mwZ
— Gaspard Glanz (@GaspardGlanz) May 25, 2020
En juin je faisait un reportage sur des travailleurs sans-papiers exploités par Chronopost leur employeur.
Un policier voulait que j’arrête de filmer, j’ai refusé, clé de bras il m’a déboité l’épaule, tabassé dans la voiture et placé en G.A.V#MoiAussiJaiPeurDevantLaPolice pic.twitter.com/xAxRPsOafg
— Taha Bouhafs (@T_Bouhafs) May 25, 2020
En effet, la dénonciation des violences policières et du racisme de l’État et de sa police pourrait bien accentuer le discrédit grandissant de l’institution policière essentielle au maintien de l’ordre dominant. Un discrédit qui pourrait fragiliser le bras armé de l’État à l’aune d’une crise économique qui pourrait mener à un désordre social grandissant et à l’avènement de phénomènes de luttes de classes notamment des travailleurs essentiels qui ont été au cœurs de la production de biens essentiels pour la population. Plus encore lorsque, comme le rappelle l’artiste sur le plateau, ce sont principalement ces hommes et ces femmes qui se sont levés tous les matins dans les banlieues pour aller travailler en première ligne face au Covid qui sont victimes de ces violences.