Pourquoi êtes-vous en lutte aujourd’hui ? Comment analysez-vous la situation ?

Lorsque Najat Vallaud Belkacem a annoncé la réforme REP+, nous nous attendions à recevoir des moyens supplémentaires pour pouvoir, par exemple, mettre en place un accompagnement continu destiné aux élèves de 6ème. Le 27 novembre, l’Inspecteur d’académie adjoint, accompagné des Inspecteurs Généraux, est venu nous rendre visite pour faire un point sur la préfiguration REP+. Nous les avons informés une fois de plus que nous n’avions rien pu mettre en place, faute de moyens. Ce jour là on a fait en sorte qu’il puisse venir en discuter avec tous les collègues en salle des profs. Ils nous ont bien sûr dits qu’on n’aurait rien en plus cette année pour les élèves. 
Contrairement à ce qu’a déclaré le chef d’établissement, on est restés assurer la sécurité des élèves dans la cour jusqu’à ce qu’ils soient à nouveau encadrés. Celui-ci nous a déclaré, le jour-même, en raison de notre grève : « vous êtes lamentables, vous êtes irresponsables, vous êtes la honte de l’Education nationale. ». Ces propos extrêmement violents et injustifiés nous ont poussés à continuer la mobilisation, qui s’est portée jusqu’au 18 décembre. On souhaitait que les moyens dus aux élèves leurs soient alloués, surtout après avoir vu la ministre se pavaner sur tous les plateaux télés pour vanter sa réforme !
Il nous est paru évident de porter également dans notre lutte les revendications des personnels précaires qui sont en première ligne face à l’austérité dans l’Education nationale. Malheureusement, la grève est restée très isolée. C’était très dur d’entendre des phrases du genre « vous avez déjà les moyens », quand on sait dans quelles conditions on travaille et à quel point les gamins sont délaissés. D’autant plus que le principal ne cessait d’essayer de nous intimider avec des convocations, des sanctions. Il a été jusqu’à annuler des projets, des sorties et a « oublié » de signer une convention pour un partenariat avec la Maison pour la Science qui acceptait de financer de A à Z un voyage au Pic du Midi. Vous imaginez bien ce que ça enthousiasmait les élèves de partir à la montagne, pour sortir un peu de leur quotidien. Le chef d’établissement n’a pas hésité à porter plainte contre une collègue pour menace de mort. Le parquet n’ayant pas donné suite, ce qui a été retenu contre elle pour sa mise à pied et son conseil de discipline, c’est qu’elle n’ait pas répondue à une enquête sur REP+ à laquelle la plupart des collègues n’ont pas répondu non plus.
On a toujours structuré le mouvement de la manière la plus démocratique possible. Il n’y avait pas de leader et les assemblées générales étaient ouvertes à toutes et tous (y compris les non-grévistes), ce qui est extrêmement rare dans une lutte.
Aujourd’hui on veut nous sanctionner pour faits de grève. On fait partie des 6 professeurs mutés, déplacés d’office pour avoir lutté. C’est tellement subtil qu’on a été convoqués le 18 mai par huissier et que le rapport qui nous accable été rédigé le 20 ! On pense que ça s’explique par le temps qu’ils ont mis à trouver de quoi remplir notre dossier, non sans peine. Un exemple caractéristique : on nous a reproché de ne pas avoir fait la minute de silence du 8 janvier alors qu’on était en grève ce jour là !

Que pensez-vous de la situation générale dans l’éducation nationale ? Êtes-vous un cas isolé ?

Notre cas n’est pas isolé. Cela dit, 6 collègues en procédure disciplinaire pour avoir fait grève, c’est inédit. La situation est en train de se durcir. La réforme des collèges qui arrive donnera encore plus de pouvoir au chef d’établissement, ça fait peur vu ce qu’on subit déjà !

Pensez-vous qu’il y ait un lien entre les différents cas de répression des mouvements sociaux ?

On remarque qu’il y a une multiplication des cas de répression. On pense bien entendu à Gaëtan et les autres manifestants condamnés à de la prison ; à Yann, le postier du 92, mis à la porte pour fait de grève, et à toutes et tous les autres. À chaque fois qu’on revendique des droits - pour les élèves dans notre cas -, on nous réprime. Ils veulent faire baisser les têtes pour pouvoir décider sans contestation ni même débat. C’est ce qu’on vit à Bellefontaine depuis des mois.

Qu’est-ce qui vous semble nécessaire pour changer les choses ?
Il faut bien entendu qu’on se mobilise à plus grande échelle. La grande difficulté qu’on a rencontrée est de nous faire entendre. Quand nous sommes soumis à certaines réserves, celles et ceux qui nous sont hostiles peuvent s’exprimer comme ils l’entendent, librement et partout.
Les quelques politiciens auxquels on s’est adressés sont restés très froids. On a besoin d’un mouvement du monde du travail, un grand mouvement syndical et politique contre la répression. Il faut dénoncer cette pseudo-gauche qui n’hésite pas à attaquer le droit de grève avec des prétextes de derrière les fagots.

Propos recueillis par Léo Valadim

04/06/15.