Ce décret est suivi par les deux autres étages du missile : la révision de la convention collective et les accords d’entreprise à l’échelle locale, qui devront être signés avant juillet selon les dispositions prévues par la loi ferroviaire votée il y a deux ans. La convention collective actuelle désigne l’ensemble des droits des cheminots qui travaillent dans la branche ferroviaire, sous le sigle « RH0077 ». Elle unifie donc juridiquement et socialement l’ensemble des salariés qu’on appelle « cheminots » et comporte certains acquis sociaux que ces derniers souhaitent au minimum préserver. C’est précisément ce statut et ce régime salarial que la direction et le gouvernement veulent casser en éjectant une partie des cheminots de la convention collective, comme les cheminots des technicentres qui assurent la maintenance du matériel roulant. Une autre manière qu’a trouvé la direction de la SNCF de casser ce statut, est tout simplement d’embaucher de plus en plus de cheminots qui ne remplissent pas les conditions requises pour être au statut (c’est-à-dire avoir moins de 30 ans et être de nationalité française). C’est ainsi que la plupart des travailleurs embauchés aujourd’hui le font en tant que « contractuels » (CDI à la SNCF), qui ne bénéficient pas des mêmes conditions de départ à la retraite, entre autres. Ce chiffre s’élève aujourd’hui à plus de 30% du personnel de la SNCF, et ne cesse d’augmenter. Pour ceux et celles qui restent et qui auront la possibilité de garder le statut « cheminot », la direction cherche par tous les moyens à revoir les conditions de travail à la baisse. Nous avons déjà un aperçu de ce projet soi-disant « moderne » avec l’entreprise Thello qui assure l’exploitation des TGV France-Italie depuis 2009. Elle soustraite un certain nombre de missions des cheminots (essais de freins, montées et descentes des voyageurs, départs des trains) à une entreprise qui dépend de la convention collective des cafés, hôtels restaurants dans laquelle les salariés gagnent à peine le Smic et dont les conditions de travail relèvent de la surexploitation.

Les accords d’entreprise à la « El Khomri » ne sont autres que la transcription de la loi travail dans la nouvelle convention collective proposée. Ils permettent à une direction d’établissement ou d’activité SNCF de mettre en place localement un régime salarial en deçà de la convention collective de la branche ferroviaire, toujours au nom de la compétitivité. C’est le fameux article 49 de la convention collective revisitée que les AG de cheminots rejettent en bloc. Autrement dit, c’est une possibilité de dérogation à la convention collective déjà elle-même revue à la baisse ; la porte ouverte à des droits différenciés entre les cheminots.

4e étage du missile : la loi El Khomri rejetée par une large couche de la population et qui a déclenché le mouvement social depuis le 9 mars. Le gouvernement et les médias essaient de faire croire que les fonctionnaires et salariés des entreprises publiques ne sont pas concernés, alors que c’est tout le contraire. Non seulement la loi travail pensée pour le secteur privé précède la version qui adviendra dans les prochaines années pour le secteur public, comme on a vu le même procédé avec les réformes des retraites, mais de plus, les cheminots sont bien directement concernés par cette loi dans la mesure où la convention collective vise à exclure une partie des cheminots et les jeter dans les bras d’entreprises privées qui tomberont donc sous le régime salarial permis par la loi El Khomri, notamment la possibilité aux entreprises d’imposer un régime salarial inférieur à celui de la convention collective de branche à laquelle l’entreprise est rattachée.

Ainsi, décret socle, convention collective, accords d’entreprise et loi El Khomri ne sont que les étages d’un même missile qui sont intimement liés entre eux via la convention collective, et qui suivent le même objectif de dégradation des conditions de travail des cheminots. C’est pourquoi il faut les refuser en bloc, et non entrer dans le jeu des négociations un par un.

Les cheminots ont donc bien raison de se battre et de faire grève. Non seulement ils se mobilisent pour défendre leurs conditions de travail, mais également pour défendre la sécurité de millions de travailleurs qui prennent le train chaque jour. Mener cette bataille aujourd’hui, contre le décret socle mais aussi contre la loi travail, permet de casser le discours du gouvernement et des médias dominants, selon lequel les cheminots seraient des privilégiés qui ne cherchent qu’à défendre leurs seuls intérêts en tant que cheminots, et qui prennent en otage le reste de la population.