Il n’était pas encarté, mais c’était un militant au plein sens du terme. Il faisait partie de cette génération d’étudiants de Turquie que le mouvement Gezi avait révolutionné. Nous avions d’ailleurs organisé ensemble une conférence à la Sorbonne intitulée : « Taksim, un mai 68 turc ? ». Il avait été à l’initiative d’une action de soutien à notre camarade Gaëtan lors du festival du cinéma de Turquie à Paris et avait soutenu la grève des précaires de Paris 8. Il animait avec des amis des projections de films politiques à Colonel Fabien qui étaient toujours le prétexte à des débats passionnants. Son dernier engagement fut d’apporter un soutien concret aux migrants de La Chapelle.

Nous nous étions rencontrés sur les bancs de la Sorbonne, alors qu’il était étudiant en Master 1 de philosophie. Il animait une émission de radio en turc sur Fréquence Paris Plurielle à destination des turcophones de France, pour la plupart travailleur-s-es immigrés.

La famille de Cuneyt vient de Trébizonde, ville frontière sur les rives de la Mer Noire, au commencement de l’antique route de la Soie. Issu d’un milieu religieux, plutôt traditionnel, il s’était intéressé au marxisme au cours de ses études universitaires, débutées à l’université d’Ankara et poursuivies en France, après sa licence. Son mémoire de Master 2 à Paris 1 reflétait une tentative de synthèse entre les courants hérétiques de l’Islam et la perspective communiste. Ou comment, en partant de la critique des institutions politiques du XIVesiècle, les sectes ismaéliennes avaient formulé une perspective s’approchant de celle du communisme.

Il a ensuite poursuivi une thèse à l’École Pratique des Hautes Études intitulée : « La continuité des pensées de contre-pouvoir dans l’hérésie musulmane : du Kharidjisme à l’ismaélisme ».

Nous l’avons toujours connu affable, souriant, volontiers blagueur. A la Sorbonne, au collectif de Taksim, comme dans le « petit Istanbul » à Strasbourg Saint-Denis, où il habitait, tout le monde le connaissait.

Chez ses amis les plus proches, comme chez les étudiant-e-s qui l’ont connu et jusqu’aux commerçants de Strasbourg Saint-Denis, la nouvelle de sa mort a été perçue comme un choc d’une indescriptible absurdité.

Lorsqu’on a renoncé à l’espoir d’un au-delà, la mort apparaît dans toute sa brutalité, plus encore lorsqu’elle fauche un ami de 25 ans.

Il n’y a point de consolation facile.

On peut cependant continuer les combats dans lesquels les camarades étaient engagés. C’est en ce sens que ses amis, en souvenir de son dernier engagement, sont allés offrir de l’Helva aux migrants de La Chapelle.

Les plus grands combats, et le plus grand, celui pour une société libérée des oppressions et de l’exploitation, nous précédent et nous survivent. Il importe pour cela de ne pas laisser sombrer dans l’oubli les luttes passés, les défaites comme les victoires et ceux qui les ont permises.

Ta mort laisse une immense absence et les camarades du CCR entendent non pas te promettre un hypothétique au revoir ou un adieu, mais t’assurent que nous continuerons les combats dans lesquels nous avons pu être à tes côtés.

Dimanche 28 juin à 15h, est prévu un après-midi d’hommage à Cuneyt, avec la musique qu’il aimait. Il avait même commencé à apprendre à jouer de la Baglama

A nous, à présent, amis et camarades de continuer tes combats !