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Palestine

Gaza : une invasion terrestre meurtrière et risquée pour l’État d’Israël

Israël a annoncé une intervention militaire terrestre imminente à Gaza, sans que l'on sache encore à quelle date elle devrait se déclencher. Derrière les déclarations martiales de Tsahal, une telle intervention comporte de nombreux risques, tant du point de vue militaire que politique.

Hugo Simon

16 octobre 2023

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Gaza : une invasion terrestre meurtrière et risquée pour l'État d'Israël

Image d’un char israélien, diffusée dans un reportage d’Arte.

Après les bombardements massifs des derniers jours, la situation à Gaza pourrait changer radicalement dans les jours à venir face à la menace imminente d’une intervention terrestre de l’armée israélienne. Malgré l’expiration de l’ultimatum adressé le 14 octobre aux Gazaouis vivant dans le nord de la bande pour qu’ils fuient vers le sud, celle-ci se fait pour le moment attendre.

Après l’ultimatum de Tsahal, la situation s’aggrave encore à Gaza

Depuis l’offensive du 7 octobre, des bombardements ont lieu sans relâche sur l’ensemble de la bande de Gaza, ciblant y compris les routes pour se rendre vers le sud. Une situation terrible, aggravant la catastrophe humanitaire en cours, avec au moins 2750 gazaouis déjà tués, dont près d’un tiers d’enfants. Alors que des milliers de civils fuient vers l’Égypte au sud et Rafah, seul point de passage depuis Gaza non contrôlé par Israël, le poste de frontière est à l’heure actuelle toujours fermé.

Dimanche, à l’issue de l’ultimatum, l’absence d’invasion terrestre a donné lieu à une rumeur de cessez-le-feu, démentie par les belligérants. Un porte-parole de Tshahal a simplement déclaré lundi que l’armée israélienne « s’abstiendra de cibler des axes délimités de 8 heures à 12 heures » heure locale, avouant en creux qu’Israël visait jusqu’ici délibérément des infrastructures où circulent des civils. Dès la fin de cette courte période, les bombardements sur Gaza ont repris.

Les prochaines heures s’annoncent terrible pour les Gazaouis, alors que selon Ahmed Al-Mandhari, directeur régional de l’OMS pour la Méditerranée orientale : « il reste vingt-quatre heures d’eau, d’électricité et de carburant ». Une situation qui pourrait aller en s’aggravant en cas d’incursion de l’armée, ouvrant la voie à des mois de combats meurtriers à Gaza. En dépit des déclarations martiales des officiels israéliens et de la brutalité de sa réponse, une telle offensive terrestre comporte cependant de nombreuses difficultés et contradictions pour l’État d’Israël.

Les risques d’une intervention armée pour Israël

Dans la période récente, Tsahal a pénétré à trois reprises sur la bande de Gaza, en 2006, en 2008-2009 et en 2014, ce dernier conflit étant le plus important, faisant 66 morts israéliens pour 2 200 Palestiniens en 2014 après 19 jours de combats. De l’avis de plusieurs spécialistes militaires, les objectifs d’Israël comme les moyens déployés seraient dans le cas présent sans commune mesure, comme en témoigne le nombre de chars postés à la frontière, au nombre de 300 pour le professeur John Spencer à l’académie militaire de West Point et de victimes palestiniennes, déjà supérieures à l’opération « Bordure Protectrice » de 2014.

Cependant, cette asymétrie ne réduit pas les difficultés posées par le combat urbain. Comme l’explique le colonel de l’armée française Michel Goya : « Depuis plus de vingt ans, la stratégie israélienne est celle de la guerre à distance, via essentiellement des opérations aériennes afin de faire courir le moins de risque possible à ses soldats. Mais ce n’est pas toujours très efficace dans un milieu urbain complexe. Vous pouvez faire des dégâts, mais ce n’est jamais décisif car il est toujours possible pour ceux qui sont ciblés de se réfugier dans les très nombreux souterrains de Gaza, et cela engendre surtout des pertes civiles ». Cité dans Mediapart, John Spencer considère également que la maitrise du terrain, sera un appui considérable pour le Hamas, et pointe la présence de tunnels fortifiés, permettant de rester cachés pendant des attaques, et de se déplacer plus facilement afin d’opérer des ripostes.

L’intervention terrestre représenterait donc une nouveauté par rapport aux précédents guerres auquel Tsahal a participé ces dernières années. Si les forces de défense israélienne peuvent compter sur une aviation ultra-équipée et des chars nombreux, ainsi que 173 000 soldats en activité et 465 000 réservistes selon GlobalFirePower, dont 360 000 ont déjà été rappelés, l’armée de terre ne compte que 26 000 « personnels d’active dans les unités de combat » et Michel Goya estime qu’elle ne devrait pas envoyer plus de 30 000 soldats sur le terrain.

Les forces palestiniennes sont de leur côté plus difficiles à estimer. Selon l’Institut international d’études stratégiques, le Hamas serait en capacité de mobiliser 20 000 combattants, un chiffre encore sous-évalué pour l’historien Dominique Vidal. De son côté, The Economist rapporte que le groupe a vraisemblablement perdu 1 500 de ses soldats les plus chevronnés lors de son raid vers Israël et les territoires colonisés. Si l’équipement militaire du groupe islamiste et des autres forces palestiniennes est incomparable avec celui de Tsahal, le Hamas compte un nombre important de roquettes, qui pourront être utilisés contre des chars et soldats israéliens en cas d’incursion à Gaza. En 2021, les renseignements israéliens estimaient à 8 000 le nombre de munitions de ce type, un nombre qui a dû augmenter depuis.

Autant d’éléments qui soulignent que l’offensive terrestre ne sera pas aisée pour l’armée sioniste, auxquels il faut ajouter le nombre important d’otages israéliens retenus à Gaza, qui seraient 199, parmi lesquels des civils mais aussi des soldats, voire hauts gradés de Tsahal, complique la tâche pour l’Etat d’Israël. Affaibli depuis plusieurs mois et mis en difficulté par l’humiliation du 7 octobre, Netanhyaou pourrait payer un coût politique important en cas d’exécutions d’otages, en réponse à son offensive terrestre. La faiblesse du gouvernement israélien, et ce même depuis la formation d’un cabinet de guerre comprenant Benny Gantz, un ses principaux opposants, pourrait également fragiliser les plans militaires du camp sioniste. Les conséquences politiques des décès de soldats seront notamment un élément à surveiller.

Enfin, une contradiction centrale pour Tsahal et sa potentielle intervention terrestre a un caractère politique. En effet, comme l’explique l’historienne Stéphanie Latte Abdallah, ces dernières années ont aussi été marquées par l’émergence de groupes armés autonomes, notamment au Nord de la Cisjordanie, ainsi que de tendances aux affrontements entre Palestiniens et colons qui atteignent parfois une intensité équivalente à la dernière « intifada ». L’émergence de ces groupes s’explique par un ensemble de facteurs, mais elle exprime aussi une combativité qui reste présente dans la résistance palestinienne et qui pourrait aussi s’exprimer à Gaza en cas d’intervention militaire israélienne. L’armée israélienne pourrait ne pas avoir comme seul adversaire les organisations comme le Hamas, mais pourrait aussi faire face à une résistance civile des gazaouis sur place et faire face à un embourbement.

De plus, la réaction des Palestiniens de Cisjordanie inquiète aussi Israël qui avait dû faire face à des phénomènes de résistance intenses, comme à Sheikh Jarrah ou avec la grève générale qui avait traversé la Palestine en 2021. En se lançant dans une intervention militaire totalement asymétrique, Israël pourrait faire face à des phénomènes de résistance importants.

Sans compter que les mobilisations internationales qui commencent à remettre en question le soutien inconditionnel des gouvernements occidentaux et la complicité de nombreux gouvernements arabes de la région, pourraient largement s’intensifier à mesure que l’intervention de Tsahal à Gaza s’intensifie, et avec elle les massacres de civils. Enfin, les mobilisations qui ont traversé Israël cette année et les contradictions de l’actuelle coalition au pouvoir laissent des marques de fragilité pour le régime israélien, et pourraient de nouveau s’exprimer hors de la conjoncture d’unité nationale que l’on voit actuellement.

Le risque d’un embrasement du conflit inquiète les Etats-Unis

Le succès militaire et politique de l’opération de contre-insurrection, dans un territoire hostile à l’armée israélienne, n’est donc en rien garanti. Dans ces conditions, pour mener à bien cette offensive, Tsahal aura besoin de l’appui de son allié états-unien. Or la guerre en Ukraine occupe déjà largement les militaires américains, qui ont par exemple dû prendre 300 000 munitions dans le stock dédié à l’appui d’Israël, afin de soutenir l’armée de Zelensky. Dans le même temps, l’administration étasunienne a émis des signaux indiquant ses réticences vis-à-vis de cette opération, Joe Biden en personne déclarant « je pense que ce serait une erreur de la part d’Israël d’occuper Gaza à nouveau ».

Alors que les dernières années ont été marqués par un « pivot » stratégique vers la région indo-pacifique pour assurer l’opposition à la Chine, et que la guerre en Ukraine occupe une large partie de ses forces de renseignement et des investissements important, la superpuissance impérialiste pourrait craindre le déclenchement d’un conflit régional au Moyen-Orient. Une perspective qui, sans être la plus probable, ne peut être exclue, alors que les bombardements ont lieu en direction de Gaza et du sud Liban, deux territoires dirigés par des alliés de l’Iran.

Dans cette perspective, les Etats-Unis ont mobilisé ces derniers jours deux portes avions en mer orientale, afin de « dissuader » tout embrasement du conflit. Mais la présence du secrétaire d’État états-unien Blinken à Tel-Aviv ce lundi, et le fait que Biden envisage de se rendre en Israël, pourrait signifier une volonté d’atténuer l’offensive Netanyahou, tout en rassurant le gouvernement israélien quant au soutien des Etats-Unis.

Alors que l’incursion de Tsahal à Gaza pourrait malgré tout avoir lieu très prochainement, ces éléments soulignent les contradictions de l’offensive israélienne. En dépit du triomphalisme du camp impérialiste, celle-ci pourrait ouvrir de nombreuses difficultés, dans une situation internationale déjà tendue.


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