Le contexte national explique en partie cette décision du gouvernement japonais. Depuis le redécollage de l’économie industrielle du Japon dans les années 1950-1960, différents gouvernements se sont attachés à subordonner les programmes de recherche aux nécessités des grandes entreprises du pays. Dans un modèle qui érige en vertus l’abnégation au travail et la course au profit, la recherche est d’abord appelée à consacrer ses efforts aux problématiques des détenteurs des moyens de production. L’existence-même du MITI, le puissant Ministère d’Économie au Japon, combinant planification économique, commerce et industrie, témoigne d’une volonté politique consistant à subventionner la recherche scientifique et les formations de l’enseignement supérieur en fonction de leur plus-value dans l’économie nationale. Autrement dit, un étudiant qui ne fait pas gagner d’argent à la bourgeoisie japonaise, est un étudiant de trop.

Un projet international


LeTime Higher Education, qui rapporte l’information, souligne que sur les soixante universités publiques que compte le Japon, au moins vingt-six d’entre elles s’apprêtent à cesser de recruter des étudiants en sciences humaines. Le gouvernement conservateur de Shinzo Abe entend ainsi limiter la recherche aux seuls besoins industriels du Japon et recentrer les programmes scolaires et universitaires sur les enseignements plus techniques et professionnalisant. Un refrain bien connu, celui de la « réforme » de l’enseignement supérieur. Alors que le Premier ministre Shinzo Abe a affiché, selonLe Monde, l’intention de faire figurer dix universités japonaises parmi les cent « meilleures mondiales » d’ici dix ans, cette politique de "valorisation internationale" des structures universitaires et supérieures se retrouve dans la plupart des pays de l’OCDE. Une politique qui s’exprime dans la volonté des directions universitaires à renforcer leur visibilité et leurs positions dans les classements internationaux tel celui de Shanghai.

L’université du XXIème siècle sera-t-elle soumise à l’idéologie dominante ?


En Europe, c’est le fameux processus de Bologne (1998) qui cristallise les revendications des bourgeoisies et de leurs États concernant l’université. Le coche de l’adaptation de l’enseignement supérieur à sa massification post seconde guerre est une étape ratée pour le patronat d’Europe occidentale. Autour de mai 68, puis tout au long des années soixante-dix et quatre-vingt, un puissant mouvement étudiant a su tenir en respect les chantres de l’université adaptée au marché du travail. Ce n’est que plus récemment, à la fin de la décennie 2000, que les résistances étudiantes ont été fortement ébranlées en Europe, ouvrant une brèche au passage de réorganisations de l’enseignement supérieur. Augmentation des droits de scolarité, suppression des filières "non rentables" désengagement de l’État et mise sous contrôle patronal de l’université. Le programme de la réforme capitaliste de l’université est partout le même. Pour autant, jamais un gouvernement européen n’a osé aller aussi loin que Shinzo Abe, sans doute par peur d’une potentielle révolte de la jeunesse scolarisée dans ce contexte de crise économique et sociale.

Sur un autre dossier, celui de la révision parlementaire enterrant le « pacifisme » de la Constitution japonaise, Abe se heurte depuis des semaines à une importante contestation de la jeunesse. Espérons qu’il ait effectivement raison de craindre un réveil étudiant.