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Répression

« Mon codétenu avait le crâne ouvert, on lui a refusé l’accès à un médecin » : Charlotte, arrêtée le 28 mars

« Tout ça a pour objectif de casser la mobilisation, de faire stresser : les intimidations à caractères sexuel, les spasmes en GAV ». Le 28 mars, Charlotte est arrêtée dans un bar à l’issue de la manifestation toulousaine. Dans le cadre de la campagne contre la répression lancée par Le Poing Levé, nous relayons son témoignage.

Le Poing Levé

13 juin 2023

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« Mon codétenu avait le crâne ouvert, on lui a refusé l'accès à un médecin » : Charlotte, arrêtée le 28 mars

Crédit photo : Dorian M

Le Poing Levé : Bonjour, merci de nous accorder ton témoignage. Peux-tu commencer par te présenter et nous dire si avant ton arrestation, tu t’étais déjà mobilisée ?

Je m’appelle Charlotte*, j’ai presque trente ans et je suis artiste précaire. Je suis en contact avec des groupes anarcho-communistes et féministes. Dans le cadre de mon travail je mène une recherche sur la montée et la banalisation des discours d’extrême droite et le contexte dans lequel cela prend part : le capitalisme en état de crise, marqué par une prédation économique néocoloniale. Pour moi, la réforme des retraites exprime un moment de crispation du capital qui provoque un ensemble de politiques antisociales et de casse du droit du travail. Elle fait écho au retrait de l’ISF, à la réforme du chômage, à la déconjugalisation de l’AAH, à la future réforme du RSA, à l’absence de réponse face à l’inflation… Cette réforme aura des conséquences sur les travailleurs.euses qui ne pourront plus assurer leur métier ou sur celles et ceux qui partiront avec une retraite merdique.

Le Poing Levé : Peux-tu nous raconter comment s’est passé ton arrestation ?

Ça s’est passé pendant la manifestation du 28 mars, entre 17 h et 20 h, place Belfort. J’étais devant un bar de la place avec d’autres manifestant.e.s, mais aussi des jeunes et des vieux qui n’ont pas pris part à la manif. Des cordons de CRS ont commencé à traverser la place en courant pour aller dans les rues à côté. Au bout d’un moment ça s’échauffe alors que les CRS passent très proche des gens devant le bar, donc le bar ferme sa grille. Les CRS commencent à nous canarder de lacrymo alors qu’ils sont à seulement 10-20m. Je m’avance dans la rue qui mène vers Jean Jaurès car il y a de la lacrymo partout. Le cordon est passé, les flics sont loin, environ 200m. D’un coup, je me fais tirer par derrière, vers la place. Je pense que c’est un camarade du bar qui veut éviter que je me prenne un tir de LBD. Sauf que c’est la BAC. On me met les menottes avant que je comprenne. Un autre mec se fait arrêter en même temps que moi. Il n’y avait aucun danger !

Le Poing Levé : Comment s’est passée la garde-à-vue ?

On est deux dans une cellule pour une seule personne. L’autre personne s’est faite matraquer et ouvrir le crâne, pourtant on l’empêche de voir un médecin pendant au moins 4h. On lui dit que « tant qu’elle ne perd pas connaissance, c’est pas grave ». On tente de nettoyer la blessure avec des moyens de fortune, craignant que le crâne soit ouvert et la blessure très dangereuse, car il y a du sang aggloméré sur toute la tête et que ça continue de saigner.

Plus tard un mec arrive dans la cellule d’à côté. En discutant à travers les fenêtres on comprend qu’il est grièvement blessé. On tambourine sur les vitres pour faire venir les flics. Finalement il est emmené aux urgences.

Le lendemain, je vois mon avocate. Elle m’informe du chef d’accusation retenu : « violence directe avec tentative d’empêcher des arrestations » (je me serais jetée sur la BAC). Pendant l’audition avec l’OPJ, on me pousse à décrire des choses absurdes : que j’étais habillée en noir, que j’avais le visage couvert (ce qui n’était pas le cas) … tout ça pour que le PV dise que je suis black bloc. L’OPJ décide de prolonger ma GAV, alors que j’ai un traitement médical à prendre et sans lequel je peux avoir des symptômes dangereux. On me met dans la cellule à côté de celle dans laquelle j’étais la veille, qui est pleine de sang.

Des matons m’intimident : « T’as peur qu’il t’arrive quoi pendant la nuit ? », « On va pas te violer, on fait pas ça dans la police ». Je commence à avoir des crises de spasmes. Un médecin, sans examen, me donne le traitement minimal, c’est insuffisant. Ça dure pendant une dizaine d’heures, ça me fait des simulations d’arrêts cardiaques. Ça fait plus de 30h que je suis en GAV. A la fin un médecin regarde mon cœur et constate qu’il bat beaucoup trop vite et que ma tension est beaucoup trop basse.

Le Poing Levé : Tu es ensuite jugée en comparution immédiate. Comment s’est déroulé le procès ?

J’ai accepté cette procédure notamment parce que j’avais besoin de prendre mon traitement rapidement et que je voulais éviter une détention provisoire de quelques jours qui, dans ce contexte de répression, aurait été possible. Je précise que dès le départ il y a un vice de procédure : je n’ai pas eu le droit de voir mon avocate pour un deuxième entretien lors de la prolongation de la GAV. J’apprends, quelques heures avant le procès, les chefs d’accusation retenus : « outrage » et « refus de donner ses empreintes et son ADN ». Les autres charges sont abandonnées.

Je passe au tribunal en même temps que la personne arrêtée avec moi. Les magistrats font le lien entre nous afin de justifier qu’on soit jugé aussi pour "association de malfaiteurs" alors qu’on ne se connaît pas et qu’on nie ce lien. On marche sur la tête en termes de disproportion. Ils expliquent que ce jour-là, à partir de 16h30, il ne restait que des « éléments violents qui voulaient tuer des flics ». Le procureur et le parquet martèlent ces positions idéologiques au cours du procès. Il y aurait une vidéo, sous scellé, qui attesterait de l’outrage. Mon avocate demande à desceller la preuve, ce que le parquet refuse. Il dit se fier aux déclarations des policiers alors même que celles-ci sont contradictoires. Je suis donc reconnue coupable d’un fait sans preuves.

J’ai pris 105h de TIG à accomplir en anticipé, c’est-à-dire même si le verdict tombe en appel, à accomplir dans les 18 mois. Mais aussi 350 euros d’amende et un stage de citoyenneté de 2 jours, de 180 euros à mes frais. J’ai fait appel.

Le Poing Levé : Ton rapport à l’Etat a-t-il changé depuis ton arrestation ?

Je suis furieuse contre l’Etat et la justice. Pas seulement par rapport à mon cas mais aussi à cause de ce que j’ai vu ailleurs. Ça renforce ma détermination et la certitude que lutter contre ces projets mortifères, c’est important. Ça précarise toujours les plus précaires. L’amende de 500 euros alors que mes ressources sont de 300 euros par mois vise à me casser aussi. Tout ça a pour objectif de casser la mobilisation, de faire stresser : les intimidations à caractère sexuel, les spasmes en GAV. Je sais que ce sont des moments particulièrement difficiles. Ça crée aussi des peurs pour mon environnement. Je vais toujours en manif mais j’essaie de faire plus attention à ma distance des flics et je pars plus tôt.


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