La journée a commencé tôt le matin, à 6h, au piquet de grève du Technicentre du Landy (Saint-Denis – 93) où les grévistes du site ont été rejoints par ceux de Gare du Nord, par des étudiants de Paris 8 venus en soutien et par des participants à Nuit Debout. Des actions communes toujours très importantes pour montrer aux (encore) non-grévistes que la lutte continue et compte sur des soutiens d’autres établissements comme sur celui des usagers.


Cela prend une importance particulière dans le contexte actuel où la température de la lutte des classes monte peu à peu avec le mouvement des routiers qui se poursuit malgré les concessions déjà obtenues de la part du gouvernement sur les heures supplémentaires ; avec la grève dans les raffineries qui ne cesse de s’élargir et provoquer des risques de pénurie voire de la pénurie d’essence dans plusieurs régions du pays, entre autres. Parallèlement, la CGT RATP appelle à la grève illimitée à partir du 2 juin.


C’est peut-être ce contexte de montée des grèves contre la loi travail qui explique que beaucoup de soutiens se sont déplacés à l’AG des grévistes de Paris-Nord. Ainsi, les étudiants de Paris 8 étaient présents, déjà presque des « habitués » du soutien aux cheminots, des membres de l’AG interpro de St-Denis, des représentants de l’éducation nationale, des « nuitdeboutistes ».


Les colères et les frustrations des cheminots


Beaucoup de cheminots et cheminotes sont conscients qu’il y a une opportunité à saisir pour construire un vrai « tous ensemble » capable de faire reculer le gouvernement, le patronat et, dans leur cas, la direction de la SNCF. Le mouvement actuel se développe au moins depuis le 9 mars. Beaucoup ont cru qu’autour de la mobilisation massive du 31 mars, une grève reconductible chez les cheminots aurait pu se déclencher. Mais, pour des raisons liées à la politique de certaines directions syndicales (notamment la CGT) mais aussi à une réticence réelle d’une partie des salariés (l’expérience de la défaite de 2014 pèse encore), cela n’a pas été le cas. Les appels à la grève de Sud-Rail et de FO n’ont pas été suffisants non plus.


Dans cette situation beaucoup de cheminots expriment une certaine colère et une frustration face à des collègues qui ne sont pas encore convaincus de rejoindre le mouvement. C’est pour cela que dans l’AG on a beaucoup insisté sur l’importance d’aller voir des collègues, de discuter avec eux et surtout de bien leur expliquer, patiemment, les conséquences que le décret socle, aussi bien que la Loi El Khomri, auront sur leurs conditions de vie et de travail.


En ce sens, un cheminot a pris la parole pour raconter son expérience du grand mouvement de grève contre le Plan Juppé en 1995, en expliquant qu’en plus des grèves, à l’époque, la direction de la SNCF avait fait des erreurs qui ont permis aux cheminots de se renforcer. Mais pour lui, aujourd’hui la situation est différente. Avec une grande émotion et avec les larmes aux yeux, il a exprimé que de son point de vue les salariés qui se sont battus depuis étaient plus nombreux qu’en 1995, que faire grève aujourd’hui demandait encore plus de détermination qu’à l’époque. En effet, le patronat et les gouvernants ont non seulement tiré des leçons de 1995, mais les conditions pour se battre sont plus dures pour les salariés : les limitations du droit de grève sont devenues plus importantes, la précarité et le chômage pèsent encore plus sur les travailleurs et les travailleuses.


En face ils persistent : redoublons la lutte et l’organisation


Une enseignante d’origine allemande, venue avec d’autres militants de l’AG interpro de St-Denis, a pris la parole pour expliquer qu’en Allemagne le patronat a aussi fait voter, il y a plusieurs années déjà, des lois comme celle que le gouvernement PS veut faire passer en France. Et si pour le patronat cela a été du « pain béni », pour les travailleurs le résultat a été catastrophique : atomisation de la classe ouvrière, précarité et appauvrissement se cachent derrière le tant vanté « modèle allemand ».


Ainsi, c’est le caractère stratégique de cette contre-réforme pour le patronat français (pour faire face à ses « partenaires-concurrents ») qui explique en grande partie l’obstination du gouvernement et la répression qu’il déchaîne contre les manifestants - les déblocages de dépôts de pétrole par les CRS ce week-end en sont la dernière démonstration.


C’est pour cela que redoubler la lutte et élargir les secteurs en grève est fondamental aujourd’hui pour imposer une défaite au patronat et son gouvernement. En ce sens, l’entrée dans la lutte des cheminots serait un renfort de taille pour les salariés et les jeunes mobilisés. Pour cela, dans l’AG, les grévistes ont discuté de continuer à aller voir les collègues dans les différents services et gares.


Mais l’une des questions incontournables de chaque AG depuis le début du mouvement est celle de la perte de salaire. La grève de 2014, où les cheminots n’ont pas seulement perdu la bataille mais aussi perdu beaucoup d’argent, reste dans les consciences et freine certains quant à se lancer dans la lutte. C’est pour cela que la question de la caisse de grève se pose de façon de plus en plus urgente.


En effet, organiser une caisse de grève aiderait non seulement à réduire l’impact économique pour les grévistes, à convaincre ceux et celles qui seraient encore réticents pour des questions financières, mais ce serait aussi un bon « prétexte » pour aller à la rencontre d’autres salariés pour discuter de la grève, du besoin de soutien, voire pour les convaincre de rejoindre la lutte.


La possibilité d’une grève reconductible à la SNCF reste encore ouverte et ce serait une très bonne nouvelle pour les travailleurs en lutte.