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Dimanche matin, Donald Trump s’est de nouveau lâché sur Twitter : « Il est curieux de voir les élues démocrates du Congrès, dites « progressistes », qui viennent de pays où les gouvernements sont totalement catastrophiques, parmi les plus corrompus et ineptes à l’échelle du monde (si tant est qu’ils aient jamais réussi à simplement fonctionner), dire haut et fort au peuple des Etats-Unis, première puissance mondiale, comment leur gouvernement doit être géré… Pourquoi ne retournent-elles pas là d’où elles viennent pour aider ces pays totalement cassés et infestés par la criminalité à fonctionner ? Après revenez pour nous montrer comment vous avez fait. Ces endroits ont terriblement besoin de votre aide, et vous pouvez partir aussi vite que possible. Je suis sûr que Nancy Pelosi [élue démocrate, présidente de la Chambre des représentants] serait ravie et très efficace pour régler l’organisation du voyage ! »

Alors que Trump rédigeait ce Tweet haineux, la police des frontières menait des rafles au sein des communautés de migrants, créant un véritable climat de terreur dans les quartiers du pays. Les rafles ont eu lieu dans plusieurs des principales agglomérations, comme à Los Angeles, San Francisco, New York, Miami, Denver, Atlanta, Baltimore et Houston. La Nouvelles-Orléans était également la première sur la liste, mais l’intervention policière y a finalement été annulée à cause des intempéries liées au passage de la tempête tropicale Barry.

Dans les villes ciblées, des millions de migrants sont dans l’attente et l’inquiétude. « Le climat général ressemble à s’y méprendre à l’attente d’un ouragan. Quand va-t-il arriver ? Va-t-il nous frapper ? Va-t-il se déplacer vers le nord ? » interroge Melissa Tavares, de l’association « Florida Immigrant Coalition, basée à Miami. Dans tout le pays, les associations tiennent des permanences pour informer les migrants sur leurs droits. Si la police des frontières [ICE pour Immigration and Customs Enforcement] vient frapper à la porte, n’ouvrez pas ; quelle que soit la raison, n’ouvrez pas. Ces interventions surviennent plusieurs semaines après que Trump en ait fait l’annonce officielle, laissant des migrants sans papiers pendant des semaines. Le message aux migrants est clair. Retournez d’où vous venez.

Tandis que Trump est occupé à tweeter sa haine, et la ICE [la police migratoire], à terroriser les migrants, le vice-président Mike Pence a fait, le 12 juillet, la tournée des centres de détention. 400 hommes sont enfermés dans des prisons à ciel ouvert dans la chaleur texane. La presse a rapporté la puanteur extrême qui y règne : les 400 détenus n’ont accès ni à des douches ni à des brosses à dents et beaucoup d’entre eux sont retenus depuis plus de 40 jours. Le surpeuplement du camp saute aux yeux : il n’y a pas assez de place pour que chaque migrant ait un endroit pour dormir.

« C’est un truc dur » a déclaré Mike Pence

Mike Pence, faire mes devoirs de statistique est aussi un « truc dur ». Décider si je dois ou non rompre avec mon compagnon est un « truc dur ». Là, il s’agit d’autre chose. Là, c’est une politique de terrorisme vis-à-vis des migrants. Là, on parle de camps de concentration.

Les mensonges sautent aux yeux. Alors que la presse sue dans la « chaleur étouffante » et respire l’insupportable puanteur de 400 hommes qui ne se sont pas douchés depuis des semaines, la police des frontières assure que le centre de rétention dispose d’une climatisation. Lors d’une table ronde avec la patrouille frontalière américaine et des membres du comité judiciaire du Sénat, M. Pence a déclaré : « Bien que certains démocrates à Washington DC aient qualifié les installations des douanes et de la frontière américaines de « camps de concentration », nous avons constaté aujourd’hui qu’elles fournissent des soins dont chaque Américain serait fier. "

Il y a seulement quelques jours, Trump dans un tweet, ne disait pas autre chose : « Bon nombre de ces migrants illégaux vivent dans des conditions biens meilleures et bien plus sûres que celles qu’ils ont connu là d’où ils viennent ».

Ce n’est pas la première fois qu’on entend ce genre de rhétorique. Cela rappelle la fois où Barbara Bush, en 2005, voyant les dizaines de milliers de personnes déplacées par l’ouragan Katrina et regroupées dans l’Astrodome de la Nouvelle-Orléans, avait déclaré que « beaucoup des personnes recueillies dans le stade, vous savez, sont de toute façon défavorisées. Donc ça leur convient bien finalement ».

C’est la manière dont les politiciens voient les Noirs et les Marrons : comme des personnes qui ne méritent pas plus qu’un toît pour s’abriter. En vérité, ils s’attendent même à ce que l’on soit reconnaissants pour ces conditions de vie pitoyables. Après tout, Trump a bien dit lors d’une conférence de presse en janvier 2018, que nous venons de « pays de merde ». Et il a aussi tweeté que nous venons de pays que leurs gouvernements mènent à la catastrophe. Ironiquement, ce tweet était clairement destiné à la « Squad » - ces quatre jeunes députées du Congrès que sont Alexandria Ocasio-Cortez, Rashida Tlaib, Ilhan Omar et Ayanna Presley – même si seule Omar, originaire de Somalie, est une immigrée de première génération. Presley est une afro-américaine ; les parents d’Alexandria Ocasio-Cortez viennent de Porto Rico, une colonie américaine ; La famille de Tlaib vient de Palestine, où la situation est largement liée à l’occupation israélo-américaine. Mais Trump, pas plus que sa base électorale suprématiste blanche, ne s’intéressent aux faits.

Les Noirs et les Marrons sont pareils après tout. Même si cela fait des générations qu’ils sont aux Etats-Unis, Trump veut qu’ils retournent d’où ils viennent. Pour lui, nous sommes des violeurs et des criminels qui essayent de détruire l’« American way of life ». Trump a entièrement construit sa campagne et sa présidence sur le fait de terroriser les migrants, depuis le « Muslim ban » jusqu’aux rafles xénophobes de l’ICE, la police migratoire.

Il y a, cependant, une pointe de vérité dans les déclarations de Trump : dans beaucoup de nos pays d’origine, il y a beaucoup de corruption, de pauvreté et de criminalité. Des millions de personnes fuient ces conditions de vie. Mais ce que ni Trump, ni les Démocrates ne nous disent c’est que ces conditions sont directement liées à l’ingérence américaine ; elles viennent du soutien des Etats-Unis aux coups d’Etat pour protéger les multinationales américaines et leurs profits. Nos pays sont le produit de l’impérialisme américain, comme le sont des millions d’immigrés aux Etats-Unis, des milliers de personnes détenues dans les centres de détention américains ou mexicains. C’est l’Amérique qui nous a amené ici. Mais comme tous les immigrés ou enfants d’immigrés vous le diront, cela n’a pas commencé avec Trump. J’ai entendu « retourne d’où tu viens » toute ma vie, comme des millions d’entre nous. Mais nous sommes là pour rester.

L’autre vérité qu’on peut tirer du tweet abject de Trump est ce qu’il dit à propos de Nancy Pelosi, qualifiée de première opposante à Trump et présidente de la Chambre des représentants pour le Parti démocrate. En effet, le parti démocrate est aussi une machine à déporter. Les infrastructures qu’utilise l’administration Trump pour déporter les immigrés ont été créées sous l’administration Obama, « le déporteur en chef ». Lors des derniers mois, les démocrates, Bernie Sanders compris, ont voté en faveur de la construction d’un mur à la frontière. La Chambre des Représentants contrôlée par le Parti démocrate a voté les budgets qui ont permis à l’ICE, la police migratoire, de détenir des migrants sans papiers dans des cages en plein tollé général sur les camps de concentration. Et, en effet, Nancy Pelosi est trop occupée à attaquer les quatre jeunes députées de la « Squad » pour les défendre contre les attaques racistes lancées par la droite. Trump a raison : « je suis sûr que Nancy Pelosi serait ravie de s’occuper de l’organisation du voyage [de retour] » des quatre députées...

De nombreux politiciens du Parti démocrate ont déclaré vouloir créer des « villes sanctuaires » comme à New York. Mais l’absurdité de ce label est aujourd’hui mise à nu. Comme l’a rapporté le New York Daily News, « New York est une ville sanctuaire et la police de la ville a donné l’ordre aux officiers de ne pas aider les services de la ICE, la police migratoire, pour mener à bien les interpellations et les déportations ». Mais dans une lettre datant du 12 juillet, le chef du syndicat de la police de New York NYPD a encouragé ses membres à « épauler » les agents fédéraux pour leur permettre de « revenir sains et saufs dans leurs familles ». La police municipale de New York collabore donc activement avec les services migratoires. De Blasio, le maire démocrate de New York, pas plus que les membres du parti démocrate, n’y ont trouvé à redire.

Il n’y a rien de très étonnant dans tout ça. La classe capitaliste, représentée aussi par le parti Démocrate, profite largement de la création de ce groupe de citoyens de seconde zone que sont les immigrés sans papiers, soumis à l’hyper-exploitation aux Etats-Unis.

Mais des secteurs de travailleurs américains et la jeunesse sont beaucoup plus conséquents que les leaders des deux partis capitalistes. Des centaines de juifs se sont mobilisés puis ont été arrêtés pour avoir porté le slogan « Plus jamais c’est maintenant », assimilant clairement les centres de rétention aux camps de concentration de la seconde guerre mondiale. Des milliers de personnes sont sorties dans les rues dans tout le pays, comme à Chicago samedi 13 juillet où une manifestation a rassemblé une foule très dense dans les rues de la ville. Des permanences « Know your rights » (« connais tes droits ») se sont vues fleurir par centaines et des groupes d’autodéfense de migrants ont été constitués. Et parmi les perspectives les plus réconfortantes, les travailleurs de Wayfair se sont mis en grève contre la vente de fourniture aux camps de concentration.

Mais nous savons tous que cela n’est pas encore suffisant. Qu’il faut faire encore plus

Nous avons besoin qu’un mouvement national de protestation, regroupant toutes les personnes qui sont écœurées par ces camps de concentration et par les séparations de famille, prenne la rue. Nous sommes des millions. Des millions à savoir qu’il s’agit de camps de concentrations et des millions à nous opposer aux services de l’ICE, aux familles séparées, aux déportations. Nous avons besoin de nous coordonner dans les rues, en menant des actions de masse. Nos corps, dans les rues, peuvent faire la différence. Quel est l’intérêt d’avoir une nouvelle vague de personnes qui se disent socialistes s’ils ne sont pas en mesure de s’organiser pour répondre à ces attaques brutales ?

Nous devons remettre dans l’actualité la « journée sans un immigré », une grève qui a mis en lumière les immenses profits que les immigrés créent pour la classe capitaliste. Et au-delà, les travailleurs du pays doivent suivre l’exemple des salariés de Wayfair et de la grève pour les droits des immigrés.

Nous avons besoin d’un vaste réseau de défense des immigrés, bien plus étendu que les petits groupes qui existent actuellement. Au-delà du hashtag #KnowYourRights, des personnes comme Alexandria Ocasio-Cortez et Ilhan Omar, connues pour dénoncer la ICE et les conditions de détention dans les camps de concentration, nous devons mettre nos corps en travers de ces politiques et encourager les millions de followers sur Twitter à faire de même.

Même si la « Squad » a très justement voté contre la construction du mur à la frontière et le budget des services de la ICE, les quatre députés sont coincées dans leurs contradictions. Il est impossible d’être du côté des immigrés dans un parti qui a eu pour leader le « déporteur en chef ». Demander l’abolition de la ICE est insuffisant. Nous devons nous battre pour arrêter les déportations, qu’elles soient organisées par les démocrates ou les Républicains. Ce n’est pas possible « d’humaniser » les centres de détention, nous devons les faire fermer. Une politique des frontières humaines est impossible : tant qu’il y aura des barrières, des murs, des frontières, il y aura le bras armé de l’Etat qui utilisera la force pour maintenir des personnes à l’extérieur.

Aucun mur ne peut nous retenir. Nous sommes déjà là. Et nous l’avons toujours été. Le terrorisme de Trump ne parviendra pas à nous retenir, ni à nous faire partir. Il rend désormais visible le monstre de l’impérialisme que sont les Etats-Unis et qui, petit à petit, construit l’armée de ceux qui veulent le combattre.