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Edito

6 juin : l’intersyndicale prête à enterrer la bataille des retraites, il faut imposer une autre perspective !

Si la mobilisation a marqué un net reflux ce mardi 6 juin, on est loin du baroud d'honneur avec plusieurs centaines de milliers de manifestants. Pourtant, alors que la colère montre une persistance inédite plus de 54 jours après la promulgation de la réforme, l’intersyndicale ne masque plus sa volonté de tourner la page en remettant au centre le « dialogue social ». Contre tout retour à la normale, il y a urgence à dresser un bilan de sa stratégie, seule façon de préparer une contre-offensive pour vaincre Macron et le MEDEF.

Nathan Deas

6 juin 2023

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6 juin : l'intersyndicale prête à enterrer la bataille des retraites, il faut imposer une autre perspective !

Crédit photo : Dorian M. Manifestation contre la réforme des retraites du 6 juin à Toulouse

300 000 manifestants à Paris, 50 000 à Toulouse et Marseille, 20 000 à Nantes, 10 000 à Rennes, Grenoble ou encore au Havre, 6500 à Nice, 4000 à Perpignan, … : on peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide. Force est de constater que les cortèges sont bien moins fournis que les fois précédentes et que la grève a été très faible, de sorte que la mobilisation de ce mardi 6 juin est marquée par le plus faible niveau de participation depuis le début du mouvement social en janvier.

L’intersyndicale veut faire du 6 juin un baroud d’honneur, mais la colère à la base est toujours là

Dans le même temps, avec 900 000 manifestants dans toute la France selon la CGT, celle-ci reste à un niveau élevé. Encore plus si on l’on prend en considération qu’il s’agit de la 14ème journée de mobilisation nationale et interprofessionnelle, près de cinq mois après le déclenchement du mouvement. En d’autres termes, la mobilisation reste toujours d’une ampleur inédite, bien au-delà par exemple, de la dernière journée de mobilisation contre la réforme des retraites en 2010 qui avait comptabilisé le 23 novembre, selon le ministère de l’Intérieur, 52 000 manifestants.

Malgré une faible mobilisation attendue du point de vue de la grève, dans la lignée du reflux dans les transports, la situation n’est donc pas encore à un retour à la normale. Dans les transports aériens, un tiers des vols ont été annulés au départ de Paris-Orly, tandis que plusieurs actions étaient appelées chez les électriciens et gaziers. En région parisienne, la CGT Energie a procédé mardi matin à plusieurs coupures d’électricité, ciblant notamment les sièges de Canal +, Orange ou encore Microsoft. À quelques kilomètres de là, des grévistes de la RATP, de la SNCF ou de Monoprix ont envahi les locaux du comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris au son des slogans « pas de retraites, pas de JO ».

Malgré tout, l’intersyndicale préfère bien entendu voir le verre à moitié vide pour mieux tourner la page des retraites. Après en avoir été le principal artisan, un mois et demi après le 1er mai, Laurent Berger défendait ce matin que la journée serait « la dernière manifestation sur la question des retraites dans ce format-là », justifiant notamment sa volonté de tourner la page des retraites en faveur du « dialogue social ». « On ne va pas se raconter des histoires. Il va falloir qu’on cultive la colère qui s’est exprimée pour travailler sur la question des salaires, du travail, du pouvoir d’achat et du dialogue social. » a expliqué le secrétaire général de la CFDT, quelques heures plus tard, devant l’Assemblée nationale. Une façon d’envoyer un signal clair quant à la stratégie de l’intersyndicale pour les prochains mois.

Une logique en contradiction avec la colère qui s’est exprimée dans les cortèges y compris ce mardi, où de nombreux manifestants revendiquaient la poursuite de la mobilisation, faisant le lien avec les grèves pour les salaires débutées ces derniers mois. « « Vertbaudet la classe ». Sur sa pancarte au milieu du cortège marseillais, qui selon la préfecture de police a réuni 4 000 personnes, Christine Lecocq, 50 ans, a tenu à rendre hommage aux salariées de l’entreprise de Marquette-lez-Lille (Nord), qui ont obtenu une augmentation de leurs salaires, le 2 juin, après deux mois et demi de grève. […] Sa présence dans la manifestation n’empêche pas un sentiment de déception sur l’issue de la lutte contre la réforme des retraites. « Maintenir l’intersyndicale est important mais ce n’est pas essentiel. Maintenant, il faut retourner vers un syndicalisme offensif, parce que les gens sont vraiment à bout », jauge-t-elle » rapporte par exemple un journaliste du Monde.

Berger prêt à enterrer la mobilisation, les syndicats « combattifs » s’alignent

Alors que Laurent Berger, principal dirigeant de l’intersyndicale, assume désormais ouvertement sa volonté d’en finir avec le combat dans la rue et par la grève contre la réforme des retraites, le reste de l’intersyndicale, et notamment ses directions dites « combatives », font mine de se dissocier mais maintiennent dans le fond la même stratégie, celle de remettre le « dialogue social » au centre. Ainsi si Sophie Binet met en cause l’idée que « tout [soit] plié », la secrétaire générale de la CGT, après des mois et des mois à essuyer échec sur échec à l’Assemblée nationale, au Sénat ou au Conseil constitutionnel, se contente de reconduire une logique d’interpellation élargie jusqu’aux rangs des macronistes.

« Je veux vraiment insister sur le rôle de Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale. (...) Si elle empêchait jeudi une nouvelle fois le Parlement de voter, ça serait extrêmement grave pour la situation démocratique dans le pays, ça créerait un précédent grave » a-t-elle expliqué ce mardi sur le plateau de BFM TV. Un appel à la « responsabilité » qui ne pourrait être plus en décalage avec l’état d’esprit du gouvernement et de ses soutiens, déterminés à en finir avec le mouvement des retraites pour poursuivre leurs attaques. D’autant plus que dans le même temps, la CGT a repris le chemin de Matignon et du « dialogue social » et n’annonce aucune date de mobilisation. Une réponse qui participe à désarmer le mouvement et à fermer la séquence des retraites.

De son côté, Solidaires va jusqu’à mettre en scène un tableau selon lequel l’intersyndicale « passe[rait] en mode offensif ». « L’intersyndicale, c’est exceptionnel ! Il y a six mois, franchement, vous m’auriez demandé, je n’aurais pas imaginé qu’elle parviendrait à ce niveau. Elle passe d’un mode défensif, contre les 64 ans, à un mode plus offensif, puisque nous commençons, ensemble, à revendiquer du positif » explique ainsi Simon Duteuil, co-secrétaire général de la centrale dans Alternatives économiques. Une façon de maquiller le bilan de l’intersyndicale et de couvrir l’attitude de ses dirigeants, qui est au retour à la table des négociations et à l’enterrement de la mobilisation.

Une position d’autant plus problématique que la mobilisation de ces derniers mois a démontré que seul un rapport de force dur, par une grève reconductible généralisée pouvait faire reculer Macron et le patronat. Or c’est l’inverse que prône l’intersyndicale, plaçant ses espoirs dans un très illusoire dialogue avec le patronat et le gouvernement.

Une autre issue est possible : l’urgence de tirer les bilans

L’attitude de l’intersyndicale qui appelle à tourner la page des retraites constitue le point final d’une stratégie qui a petit à petit désarmé la formidable colère qui s’est exprimée depuis le 19 janvier dernier. Après avoir refusé d’élargir les revendications, être restée passive face aux réquisitions et n’avoir pas cherché à construire un plan de bataille qui pose la perspective d’un réel rapport de forces par la grève dans le cadre d’une stratégie de pression sur les institutions, elle entend désormais accepter les appels de Macron au dialogue social.

Il y a plus que jamais urgence à tirer les bilans de cette séquence et à poser la nécessité d’une autre orientation. La colère est toujours au rendez-vous : avec le mouvement contre la réforme des retraites, une nouvelle vague de grèves pour les salaires, avec des tendances à la reconductible, est apparue. Pour que cette colère se déploie, il s’agirait d’élargir les revendications à la question des salaires, en exigeant 400 euros d’augmentations de salaires pour tous, et leur indexation sur l’inflation, mais aussi d’utiliser comme des points des points d’appui les grèves en cours. Une perspective que s’est toujours refusée à porter l’intersyndicale, malgré les déclarations d’intention de Sophie Binet ces dernières semaines sur sa volonté de « nationaliser le conflit des Vertbaudet ». Or, chercher à étendre de tels mouvements, à les généraliser à l’ensemble des entreprises autour d’un programme revendicatif commun, serait un outil décisif dans le rapport de forces avec le patronat, pour arracher des victoires pour l’ensemble de notre classe.

Lire aussi : Vertbaudet. La CGT veut « nationaliser le conflit » : à quand une mobilisation nationale pour les salaires ?

Défendre une telle politique est plus que jamais indissociable de la rupture avec le « dialogue social », de l’élaboration d’un plan de bataille qui dépasse les journées de mobilisation isolées de 24 heures et cherche à construire la perspective d’une grève reconductible généralisée. Un tel objectif doit s’appuyer sur l’organisation des grévistes à la base en assemblée générale, qui a notamment été une des faiblesses du mouvement. Après plus de cinq mois de mobilisation, et alors que l’intersyndicale ne masque plus sa volonté de tourner la page, nous ne pouvons plus nous contenter d’attendre qu’elle dessine un réel plan de bataille. C’est autour de cette nécessité que s’est notamment forgé le Réseau pour la Grève Générale. Un réseau qui continue de vivre et de se structurer autour de la tâche centrale de coordonner les conflits.


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