×

Criminalisation du soutien à la Palestine

Doxxing, listes noires : à Harvard, les étudiants solidaires de la Palestine harcelés

A Harvard, les signataires d’une tribune dénonçant la responsabilité du régime israélien dans les massacres en Palestine sont la cible d’un harcèlement de plus en plus intense. Après la diffusion de leurs données personnelles et une campagne d’affichage menée par l’extrême-droite, grands patrons et milliardaires font désormais pression sur la direction de l’université. Une résurgence du maccarthysme, alors qu’aux Etats-Unis se multiplient sur les campus les manifestations de soutien peuple Palestinien.

Tristane Chalaise

24 octobre 2023

Facebook Twitter
Doxxing, listes noires : à Harvard, les étudiants solidaires de la Palestine harcelés

Crédits Photo : compte Facebook du Harvard College Palestine Solidarity Committee

Alors que le nombre de victimes palestiniennes s’accroit de jour en jour, Joseph Biden a rappelé le soutien indéfectible de son pays à l’État d’Israël lors de sa visite diplomatique. Une position qui fait face à une importante contestation dans les universités américaines, où nombreux sont les étudiant-e-s qui se mobilisent en soutien au peuple palestinien et dénoncent la politique menée par l’État d’Israël et leur propre gouvernement.

Dès le 8 octobre, le Comité de Solidarité avec la Palestine de l’université d’Harvard était ainsi à l’origine d’un communiqué en soutien au peuple palestinien, publié sur les réseaux sociaux et signé par plus de 30 associations étudiantes, parmi lesquelles des associations d’étudiant-e-s musulman-e-s, Amnesty International à Harvard et l’association juive et antisioniste Harvard Jews for Liberation. Le texte dénonce le « régime d’apartheid » mis en place par l’état d’Israël, les conditions de vie de la population de la Bande de Gaza, « contrainte de vivre dans une prison à ciel ouvert et « l’anéantissement en cours du peuple Palestinien », dans un contexte où Israël annonçait vouloir « ouvrir les portes de l’enfer » sur Gaza.

Suite à cette prise de position, les étudiant-e-s membres des organisations signataires sont visé-e-s par une campagne de harcèlement extrêmement violente.

Dans les jours suivant la publication de la tribune, les noms et les données personnelles d’étudiant-e-s ont été postés en ligne, les menaces allant jusqu’à viser certain-e-s de leurs proches, eux aussi ciblés sur les réseaux. Pire, le 12 octobre, des étudiant-e-s ont découvert un camion circulant dans les rues de la ville Cambridge, où se trouve l’université de Harvard, affichant leurs noms et leurs visages sous le slogan « les antisémites en chefs de Harvard ». Interrogée par le New York Times, l’une d’entre elle raconte avoir découvert le camion garé juste devant les portes de l’université : « les client assis en terrasse, les étudiants qui regardaient par la fenêtre de leur dortoir, les passants qui allaient à la gare pouvaient [me] voir, avec tout un panel d’autres étudiants, désignés comme antisémites […] J’ai vomi dans la cour de l’université. » Une opération organisée par le groupe ultra-conservateur Accuracy Media, qui s’est illustré pour avoir défendu la pratique de la torture par l’administration Bush lors de la guerre en Irak, mais aussi pour ses positions climato-sceptiques et proches des mouvements conspirationnistes pendant la crise sanitaire. Le groupe n’en a pas fini de persécuter les étudiant-e-s : il a acheté les noms de domaines correspondant aux noms de celles et ceux qu’il soupçonne d’avoir participé au communiqué, et est en train de créer un site internet pour chacun d’entre eux, appelant l’université à les sanctionner.

Les conservateurs et l’extrême-droite sont loin d’être les seuls à participer à la campagne de harcèlement. Amalgamant soutien au peuple palestinien en antisémitisme, une partie de la classe politique s’est très rapidement emparée de l’affaire, interpellant la direction de l’université d’Harvard, conjointement à d’influents universitaires et anciens élèves, mais aussi plusieurs grands patrons et milliardaires. Sur X/Twitter, l’économiste Larry Summer, ancien président de l’université et ancien Secrétaire du Trésor des Etats-Unis, estime que « le silence de la direction de Harvard, jusqu’à présent, associé à la déclaration d’un groupe d’étudiants qui a fait entendre sa voix et dont on a beaucoup parlé, blâmant uniquement Israël, a permis à Harvard d’apparaître au mieux comme neutre face aux actes de terreur contre l’Etat juif d’Israël. » Dans un communiqué publié le 10 octobre, Claudine Gay, présidente de l’université, s’est ainsi explicitement désolidarisée des associations signataires du communiqué « bien que nos étudiants aient le droit d’exprimer leur opinion, aucune association étudiante — ni même 30 associations étudiantes — ne peut prendre la parole au nom de l’université d’Harvard ou de sa direction ». Tout en déclarant ni « tolérer » ni « ignorer » les mesures d’intimidation, la direction s’est pour l’instant contentée de mesures minimales pour protéger les étudiant-e-s.

De fait, la direction de l’université n’est pas prête à se mettre à dos ses généreux donateurs, alors que certains, comme Leslie Wexner, ancien patron de Victoria’s Secret, ou Jon Huntsman, ancien ambassadeur américain en Chine, ont déjà annoncé vouloir « fermer leur carnet de chèque ». D’après le New York Times, Kenneth Griffin, le milliardaire fondateur du fonds de pension Citadel, qui a donné 500 millions de dollars à Harvard, ne décolère pas, qualifiant d’« impardonnable » la lettre des associations étudiantes. Et les étudiant-e-s ciblé-e-s sont désormais menacé-e-s d’être mis-e-s sur liste noire par leurs futurs employeurs. En pleine campagne de doxxing, Bill Ackman, autre milliardaire et directeur de fonds de pension, a déclaré sur son compte X/Twitter que la liste des étudiant-e-s ayant participé au communiqué en défense du peuple Palestinien devait être mise en circulation pour éviter qu’ils ne soient embauché-e-s « par inadvertance ». Faisant un parallèle délirant, le grand patron va jusqu’à poser la question : « Embaucheriez-vous un membre d’une association étudiante qui aurait publié une déclaration accusant les victimes de lynchages perpétrés par le Ku Klux Klan ? ». D’après Le Monde, le cabinet d’avocat Davis Polk a déjà annulé les offres d’embauches faites à trois étudiants de Harvard et de Columbia à New York sous prétexte que « les opinions exprimées dans certaines déclarations contreviennent directement [à notre] système de valeurs […] les dirigeants étudiants ayant signé ces déclarations ne sont plus les bienvenus ».

Membre d’une organisation signataire, un étudiant résume la situation : « des vies détruites, des carrières détruites, des associations détruites ». Avec la proposition de « liste noire du genre McCarthy », c’est une nouvelle chasse aux sorcières qui est en train de se lancer sur les campus américains.

Face à cette campagne de harcèlement, la mobilisation ne faiblit pas. Les étudiant-e-s d’Harvard étaient plusieurs centaines à participer à un die-in organisé le 19 octobre par le Comité de Soutien à la Palestine et par l’association Étudiants pour la Palestine suite au bombardement de l’hôpital al-Ahli à Gaza. Alors que la semaine dernière, des centaines de lycéen-ne-s et d’étudiant-e-s marchaient dans les rues de San Francisco pour dénoncer les violences à Gaza et exiger un cessez-le-feu immédiat, plusieurs organisations de jeunesse palestiniennes et musulmanes appellent à une marche nationale des étudiant-e-s pour la fin du siège de Gaza ce mercredi. Un appel relayé par plusieurs organisations étudiantes à travers le pays, et auquel devraient se joindre des nombreux-euses étudiant-e-s.

Loin de se circonscrire aux États-Unis, la criminalisation du soutien à la Palestine s’observe aujourd’hui à l’échelle mondiale avec, pour ne citer que la France, l’interdiction durant deux semaines des manifestations en soutien au peuple palestinien. Le cas de Harvard, une des facultés qui forment l’élite étasunienne, illustre le degré de radicalisation d’un front commun qui inclut l’establishment, des Républicains aux Démocrates, jusqu’à l’économiste de renom Larry Summer, en passant par l’extrême-droite, et tous les riches patrons et milliardaires qui les arrosent.

Face à cette offensive maccarthyste d’un nouveau genre, nous apportons tout notre soutien internationaliste aux étudiant-e-s d’Harvard face au harcèlement très violent dont ils sont victimes, ainsi qu’à tout-e-s celles et ceux qui subissent la répression pour leur soutien à la lutte du peuple Palestinien. Alors que des milliardaires n’hésitent plus à rentrer dans la bataille pour criminaliser la contestation, et utilisent leur position pour blacklister des étudiant-e-s qui oseraient critiquer la colonisation et l’apartheid imposée par l’Etat d’Israël, il est indispensable que le mouvement étudiant, aux États-Unis comme à l’international, s’organise et se coordonne, en toute indépendance de l’État et du cadre institutionnel universitaire pour faire entendre une voix internationaliste et anti-coloniale.


Facebook Twitter
Interview d'une étudiante de Columbia : « les campements doivent s'étendre à l'ensemble du pays »

Interview d’une étudiante de Columbia : « les campements doivent s’étendre à l’ensemble du pays »

Argentine : 1 million de personnes dans les rues pour défendre l'université publique contre Milei

Argentine : 1 million de personnes dans les rues pour défendre l’université publique contre Milei

Du Vietnam à la Palestine ? En 1968, l'occupation de Columbia enflammait les campus américains

Du Vietnam à la Palestine ? En 1968, l’occupation de Columbia enflammait les campus américains

Argentine : la jeunesse entre massivement en lutte contre Milei et l'austérité

Argentine : la jeunesse entre massivement en lutte contre Milei et l’austérité

Hongrie : 4 antifascistes menacés de jusqu'à 24 ans de prison ferme pour leur lutte contre des néo-nazis

Hongrie : 4 antifascistes menacés de jusqu’à 24 ans de prison ferme pour leur lutte contre des néo-nazis

Etats-Unis : la mobilisation de la jeunesse étudiante attise les difficultés de Biden

Etats-Unis : la mobilisation de la jeunesse étudiante attise les difficultés de Biden

Netanyahou compare les étudiants américains pro-Palestine aux nazis dans les années 1930

Netanyahou compare les étudiants américains pro-Palestine aux nazis dans les années 1930

Mumia Abu Jamal, plus vieux prisonnier politique du monde, fête ses 70 ans dans les prisons américaines

Mumia Abu Jamal, plus vieux prisonnier politique du monde, fête ses 70 ans dans les prisons américaines