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Opération coloniale

« Place Nette » à Mayotte : le gouvernement relance l’opération Wuambushu pour des expulsions de masse

Ce 16 avril, le gouvernement lance une nouvelle offensive sécuritaire d’ampleur à Mayotte. Ce deuxième volet de l’opération Wuambushu marque une nouvelle étape dans la politique raciste et xénophobe dans la colonie départementale française de l’Océan Indien.

Antoine Chantin

16 avril

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« Place Nette » à Mayotte : le gouvernement relance l'opération Wuambushu pour des expulsions de masse

C’est au son des chars de gendarmerie et des pelleteuses détruisant des habitations informelles, que s’est réveillée Mayotte ce mardi 16 avril. Annoncée en février dernier, l’opération « Mayotte place nette » débute, un an après le lancement de l’opération Wuambushu sur l’île, et s’annonce comme le second volet de cette offensive de l’appareil répressif sur Mayotte. Vantée par la ministre déléguée aux Outre-mer, Marie Guévenoux, comme une « opération coup de poing pour rétablir l’ordre », cette mission cherche, tout comme Wuambushu 1, à répondre par la brutalité et la violence à une situation sociale désastreuse dans la colonie départementale française.

L’opération « Place Nette » à Mayotte a peu en commun avec les opérations « Place Nette » qui se sont déroulées en mars en Métropole. Ces dernières devaient être un « coup de filet inédit contre la drogue, la délinquance et la criminalité » d’après le ministre de l’Intérieur, mais devaient surtout imposer l’autorité étatique dans les quartiers, avec diverses « Place Nette XXL » dans quelques quartiers populaires. La similitude des opérations se trouve dans l’objectif semi-assumé de prendre d’une main de fer les milieux populaires, et de normaliser la présence policière. Enfin, il s’agit pour un gouvernement en difficulté de faire du chiffre, se fixant des quotas d’interpellations à atteindre.

Deux fois plus de destructions : vers une nouvelle étape répressive dans la colonie départementale française

En mobilisant 1 700 forces de répression, des moyens maritimes comme aériens, le Ministère de l’intérieur cherche, selon sa communication, à « éradiquer la délinquance, bloquer l’immigration illégale, détruire l’habitat indigne », en visant la destruction de 1 300 logements informels et l’arrestation de soixante « chefs de bande », soit le double de ce qu’avait fait l’opération Wuambushu 1. En réalité, derrière la rhétorique xénophobe et sécuritaire de Beauveau, l’opération vise principalement à endiguer la contestation contre l’immigration qui gronde dans l’île. Une mobilisation réactionnaire, qui avait conduit des habitants à dresser des barrages en début d’année, bloquant les principaux axes routiers de Mayotte, ces barrages ont inquiété certains secteurs du patronat local qui ont fait pression sur le gouvernement.

Instrumentalisées par l’extrême droite, criminalisant les immigrés et les rendant responsable de tous les maux de l’île, ces mobilisations insulaires, dont le mouvement « Force Vive » est le porte étendard, ont accompagné le gouvernement dans sa surenchère réactionnaire. Malgré le déploiement considérable de Wuambushu 1, avec la mobilisation d’un arsenal militaro-policier inédit, constitué de 1800 policiers et d’unités spéciales comme le RAID, le GIGN mais aussi la CRS 8, qui n’avaient pas hésité à tirer à balle réelle sur les habitants de l’île, cette dernière avait été un relatif échec pour le gouvernement qui n’avait pas atteint les 10% de destruction de l’habitat illégal et les 24 000 personnes expulsées, escomptées. Un échec sur le plan quantitatif pour le gouvernement, mais qui lui avait toutefois permis d’opérer un saut supplémentaire de l’état répressif qui règne l’île, en normalisant les opérations policières de grande ampleur tel que ce nouveau volet de l’opération Wuambushu.

Le saut répressif ne se cantonne pas à Mayotte, Gerald Darmanin souhaitant faire des Outre-mer, portefeuille sous le giron de l’influent ministre de Macron depuis 2022, une véritable vitrine de sa politique de répression. C’est ainsi qu’un « Wuambushu version réunionnaise » a été lancé ce 5 avril par le préfet du département, Jérôme Filippini. Une opération visant à « occuper le terrain », selon le préfet, qui comme à Mayotte, a entrainé la mobilisation d’unités spéciales comme le RAID contre les habitants des quartiers populaires de l’île. Véritables laboratoires du régime, les Outre-mer préfigurent ainsi de la politique répressive du gouvernement, comme lorsque les révoltes des quartiers populaires, en Métropole, en juin dernier, avaient vu débarquer les mêmes unités de répression qui avaient été à la tête de proue de Wuambushu 1 : le RAID, le GIGN, et la CRS 8.

Une opération militaro-policière à la veille des élections européennes

Mais le lancement de cette nouvelle opération répond également à l’agenda politique du camp présidentiel à la veille des élections européennes. Dans la lignée de la politique répressive de Gabriel Attal, qui accorde à « l’autorité et (au) régalien » une place centrale, ce nouveau volet de Wuambushu ne manque pas de faire écho aux discours bellicistes et autoritaires du pouvoir.

Un écho également présent dans les discours des différentes forces politiques qui, comme le camp présidentiel, souhaitent capitaliser sur le sentiment anti-migrant qui règne à Mayotte à l’approche des scrutins. Ainsi Marine Le Pen se rendra sur l’île dès cette fin de semaine, les 20 et 21 avril, afin de surfer sur le discours et l’opération réactionnaire et surenchérir à son tour, à coups d’appel à la mobilisation des forces armées et à la traque de personnes sans papiers. En ce sens, le représentant local du Rassemblement National, Boina Hamissi, affirmait sans détours au micro de Mayotte la Première, que « tous ces gens-là, nous on est très clair, on ira les chercher là où ils sont » tout en souhaitant mettre fin à la construction d’école et d’hôpitaux, qui ne profiteraient « qu’aux immigrés ». Le tout, en appelant à sortir la destruction de logement de la protection juridique : « ça fait partie des projets de Marine Le Pen : on va faire une révision constitutionnelle, on va faire un référendum pour que le peuple se prononce sur ces incohérences ».

À gauche les critiques contre cette opération et, plus généralement, sur l’occupation coloniale de l’île par la France se font rares, voir absentes. Ainsi, la dirigeante des Écologistes, Marine Tondelier, se rendra elle aussi sur l’île cette semaine, parce que « ces territoires délaissés, parfois un peu oubliés sont en première ligne du changement climatique ». Mais il y a fort à parier, au vu des récentes prises de positions du parti, et notamment de son soutien aux budgets militaristes de Macron, ou de sa dénonciation du soutien à la Palestine, que l’ampleur réactionnaire de l’opération ne sera pas dénoncée. Un mutisme qui fait écho aux positions de La France Insoumise, dont le porte-parole local avait refusé de dénoncer l’offensive tout en appelant à fermer les frontières de Mayotte.

Une politique ultra-répressive au service des intérêts de l’impérialisme français

Mais ces silences de la gauche, et l’absence de dénonciation claire de l’offensive sécuritaire que connait Mayotte, permettent en outre de normaliser la politique qu’y mène le gouvernement. Une politique qui dépasse la mobilisation inédite de force de répression, et qui vise à saper toujours plus les droits des personnes étrangères ou soumises au giron colonial de la France. En plus de cette nouvelle opération Wuambushu, le gouvernement prévoit le vote, en mai prochain, d’une loi « d’urgence » pour Mayotte, prévoyant la fin du droit du sol sur l’île. Une mesure xénophobe que la ministre des Outre-mer est prête à faire passer en force, quitte à modifier la constitution.

Derrière cette offensive législative en préparation, figure, tout comme pour l’opération Wuambushu, un véritable laboratoire de la politique raciste et xénophobe du gouvernement. Un terrain qui, en plus de permettre au régime de multiplier les expérimentations réactionnaires, revêt une importance stratégique de premier ordre pour son impérialisme. La présence française sur l’île, dans le sud-ouest de l’Océan Indien et dans le Canal du Mozambique, lui permet ainsi de défendre les projets gaziers de Total, de continuer à contrôler les routes commerciales de la zone (30% des exportations mondiales de pétrole) et de garder une base militaire centrale pour ses intérêts impérialistes en Afrique et dans le Monde.

Ainsi cette nouvelle opération Wuambushu ne vise en aucun cas à améliorer la situation des Mahorais, dont une partie va directement être victime de l’opération. Elle vise au contraire à maintenir par tous les moyens les intérêts de la France dans la région, tout en masquant le drame social que connait l’île à coups de surenchères autoritaires. Car la situation sociale de l’île est dramatique. Mayotte connait une véritable crise concernant ses ressources en eau, ses infrastructures publiques, comme les écoles et les hôpitaux fonctionnent difficilement, tandis que les commerces sont à court d’approvisionnement et qu’une épidémie de choléra guette.

Alors que l’appareil répressif s’abat une nouvelle fois sur Mayotte, et que les procédés employés commencent à s’étendre au-delà, il est nécessaire, d’exiger l’arrêt de la gestion coloniale de Mayotte et de ses ressources, de se battre pour l’accès à l’eau et aux services publics, et de dénoncer l’impérialisme français, qui réserve un statut juridique spécial à Mayotte pour contrôler les habitants, traquer les migrants, et projeter son influence à partir de l’île.


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