Dans l’après-midi du mercredi 15 novembre, les soldats de Tsahal ont hissé le drapeau israélien sur le toit de l’hôpital Al-Shifa. Tout un symbole d’une offensive coloniale qui massacre enfants, femmes et blessés depuis le 7 octobre et cible jusqu’aux services de santé gazaouis.
Un raid scandaleux contre l’hôpital Al-Shifa
Situé dans le quartier de Rimal dans l’ouest de Gaza-City, l’hôpital Al-Shifa a été au cœur de l’intervention militaire israélienne sur Gaza depuis quelques jours. Encerclé par Tsahal et soumis à plusieurs bombardements et un à siège total, privé d’eau, de carburant ou d’électricité, l’hôpital est devenu le théâtre de scènes d’horreurs. Lundi, une fosse commune avait dû être creusée à la hâte pour enterrer 179 corps dont 7 bébés, morts suite à l’arrêt des couveuses.
Alors que selon l’ONU, 2300 personnes se trouvaient dans l’enceinte de l’hôpital dont des patients, des soignants et des réfugiés, l’armée d’Israël a lancé un raid sur Al Shifa mercredi matin. Selon un journaliste de l’Agence France Presse présent sur place, un millier de Palestiniens sont sortis sur l’esplanade de l’hôpital les mains en l’air pendant que les soldats de Tsahal envahissaient l’hôpital.
Une offensive racontée par Le Monde : « Tôt mercredi, des dizaines de soldats israéliens, certains encagoulés, avaient fait irruption dans l’hôpital, selon le journaliste collaborant avec l’AFP sur place. « Tous les hommes de 16 ans et plus, levez les mains en l’air et sortez des bâtiments vers la cour intérieure pour vous rendre », ont-ils crié en arabe ». Plus de 200 personnes auraient été arrêtées et déshabillées par les militaires, des femmes et enfants fouillés. « Il n’y a pas eu de résistance, ce qui est normal puisque c’est un hôpital civil » a indiqué le directeur général des hôpitaux à Gaza à l’antenne d’Al Jazeera.
« Centre de commandement du Hamas » : la justification de Tsahal pour attaquer un hôpital
Pour justifier une telle offensive, l’armée de Tsahal a multiplié les déclarations accusant le Hamas d’avoir creusé un réseau de tunnels sous l’hôpital et de se servir des malades comme « boucliers humains », voire d’y détenir les otages. Un discours appuyé par les États-Unis, qui ont affirmé quelques heures avant le raid par la voix de John Kirby, porte-parole du Conseil National de Sécurité américain que le Hamas utilisait les tunnels sous les hôpitaux pour retenir les otages, y « stockait des armes » et était « prêt à répondre à une opération militaire israélienne ».
Si ces accusations sont relayées par la propagande israélienne depuis plusieurs années maintenant, « personne n’a jamais pu vérifier de manière indépendante qu’il y a bel et bien un QG du Hamas dans les sous-sols de cet hôpital » note la journaliste Maryse Burgot. Vendredi, l’ONG Human Rights Watch dénonçait l’utilisation de ce prétexte non vérifié pour justifier l’attaque.
Les prochains jours donneront peut-être plus d’éléments sur la réalité du discours d’Israël. Pour le moment, les déclarations de l’IDF, qui a affirmé avoir « trouvé un centre de commandement opérationnel et des équipements technologiques appartenant au Hamas », n’ont en tout cas été vérifiées par aucune agence de presse indépendante selon Le Monde. Certains journalistes commencent par ailleurs à pointer des reculs rhétoriques de responsables israéliens sur le réseau social X.
En tout état de cause, pour l’heure, aucune image de tunnel sous l’hôpital n’a été dévoilée. Un journaliste américain, Trey Yingst, correspondant pour le média d’extrême-droite pro-israélien Fox News a suivi mercredi les soldats de Tsahal et pu se rendre à l’intérieur d’Al Shifa. « On ne nous a pas montrés de tunnels », a-t-il expliqué sur X.
Une nouvelle opération de terreur d’Israël
Ce qui est clair, c’est que l’opération sur Al-Shifa s’inscrit dans la politique de terreur à l’encontre de la population palestinienne entamée par Israël depuis le 7 octobre dernier. Suite au lancement du raid sur l’hôpital, Benyamin Netanyahou a déclaré qu’il « n’y a aucun endroit à Gaza » qu’Israël « n’atteindra pas, aucune cachette, aucun refuge ». De quoi annoncer la poursuite des massacres de civils à Gaza, qui n’ont aucun abri pour se protéger des attaques d’Israël, pas même les hôpitaux eux-mêmes plongés dans une situation catastrophique : après Al-Shifa, l’hôpital Al-Quds a cessé de fonctionner dimanche faute d’électricité et de carburant et a été évacué mardi soir après un siège « depuis plus de dix jours » selon le Croissant Rouge.
Entre les bombardements qui s’accompagnent d’un flux incessant de blessés et le blocus imposé par Israël, la situation est « inhumaine » selon un chirurgien membre de Médecins sans frontières. Vendredi, Margaret Harris, une porte-parole de l’OMS affirmait que vingt hôpitaux seraient aujourd’hui hors service. Une situation qui risque de se détériorer encore face à l’accélération de l’offensive terrestre de Tsahal sur Gaza. Depuis l’annonce par Israël de la mise sous contrôle de la « zone en surface » du nord de Gaza et le lancement du siège de Gaza-City, il semblerait que Tsahal cherche à franchir un nouveau cap dans son intervention militaire sur les territoires palestiniens.
Ainsi, ces derniers jours, les forces israéliennes ont revendiqué avoir pris le contrôle de plusieurs centres d’opérations du Hamas, notamment des bâtiments gouvernementaux, des quartiers généraux de la police et un centre d’ingénierie « utilisé pour la production et le développement d’armes » selon un communiqué de l’armée israélienne. Quelle que soit la réalité de ces annonces, après plusieurs semaines d’offensives par les airs et de bombardements, les combats font désormais rage dans les rues de Gaza City et aux carnages s’ajoutent désormais les exactions de l’armée d’occupation israélienne.
Contradictions politiques de l’opération d’Israël : il faut massifier la solidarité !
Une situation qui témoigne des avancées de l’opération terrestre d’Israël mais aussi de contradictions grandissantes tant militaires que politiques et qui tendent à s’approfondir. Ainsi si Tsahal a revendiqué la « prise » de l’hôpital d’Al-Shifa et une victoire militaire importante, dont on notera le flou des enjeux sur un terrain strictement militaire, celle-ci a provoqué une réaction et l’intensification de la « pression » internationale sur Israël.
Le président des Etats-Unis, Joe Biden, a ainsi appelé mercredi Israël à être « extrêmement prudent ». Les Etats-Unis n’ont pas « donné leur accord aux opérations de l’Etat hébreu autour de l’hôpital Al-Shifa », a de son côté indiqué le porte-parole du conseil de sécurité nationale américain, John Kirby. « Nous avons toujours été très clairs avec nos partenaires israéliens sur l’importance de minimiser les pertes civiles ». Une déclaration totalement hypocrite alors que la veille il avait confirmé les allégations de son allié israélien quant à une utilisation des hôpitaux gazaouis à des fins militaires pour légitimer l’opération.
Emmanuel Macron a de son côté exprimé « sa très vive préoccupation » et condamné « avec la plus grande fermeté » le bombardement des infrastructures civiles. Le Qatar, acteur clef pour la médiation et les négociations de la libération des otages, a exigé « une enquête internationale » contre les attaques des hôpitaux par Israël. Le ministre des affaires étrangères jordanien a quant lui dénoncé « la barbarie qu’autorise le silence du Conseil de sécurité de l’ONU » qui, quelques heures plus tard, a fini par appeler pour la première fois à des « pauses et des couloirs humanitaires » dans la bande de Gaza mercredi soir.
Une « réaction » très limitée et hypocrite de la part des soutiens d’Israël, mais qui exprime la crainte des conséquences d’une offensive sans limite d’Israël, et les difficultés politiques auxquelles pourraient faire face Tsahal et les puissances impérialistes, alors que la pression des masses arabes, mais aussi des classes populaires occidentales, notamment au Royaume-Unis et aux Etats-Unis, se fait croissante sur fond de constitution du mouvement anti-guerre le plus important à l’international depuis 2003 et la guerre en Irak.Comme le note Stratfor, les pertes civiles palestiniennes et le risque d’embrasement de la région « inciteraient les Etats-Unis à accroître la pression diplomatique sur Israël pour qu’il mette fin à sa campagne et/ou modifie ces objectifs », ce qui empêcherait Israël de prendre « le contrôle de Gaza à court terme ».
Un constat qu’il faut cependant nuancer tant Israël semble assumer entièrement une offensive radicale sur Gaza, ses ministres assumant cette semaine l’idée d’une nouvelle « Nakba ».. Dans ce cadre, de nouveaux massacres et de nouvelles exactions s’annoncent, avec un coût politique cependant de plus en plus important à payer pour Israël et ses alliés occidentaux. L’image du hissage d’un drapeau israélien sur un toit d’hôpital et la symbolique violemment coloniale qu’elle revêt a d’ores et déjà fait le tour du monde.
Plus que jamais alors que 11 500 palestiniens ont déjà perdu la vie, dont 4710 enfants depuis le 7 octobre, le mouvement de solidarité internationale avec la Palestine doit s’étendre et se structurer, sans illusion dans la « communauté internationale » mais en construisant un rapport de forces pour exiger la fin du massacre en cours et de la situation coloniale en Palestine. Des puissances occidentales aux pays du monde arabe, il est urgent d’amplifier une mobilisation qui doit se doter d’un programme indépendant des Etats bourgeois et de leurs institutions internationales impuissantes.
