Ce témoignage a été recueilli dans le cadre de la campagne anti-répression menée par le collectif jeune de Révolution Permanente, Le Poing Levé. Pour y participer également et témoigner, vous pouvez remplir ce formulaire.

Le Poing Levé : Bonjour, merci de nous accorder ton témoignage. Peux-tu commencer par te présenter et nous dire si avant ton arrestation, tu avais déjà participé à des manifestations contre la réforme des retraites ?

Je m’appelle Olivier*, j’ai 31 ans et je travaille à la SNCF où je suis l’équivalent de chef de service dans la maintenance. À la SNCF j’avais déjà un peu fait les grèves en 2019 et j’avais participé aux grèves en début d’année. Depuis janvier, j’ai fait quelques manifs dans les cortèges de l’intersyndicales mais elles étaient très routinières. En voyant la répression s’intensifier, on s’était dit avec ma compagne qu’on irait faire les manifs en tête de cortège. On voulait protéger un peu les gens en y apportant des bandages, des sérums physiologiques, de la nourriture pour pouvoir porter assistance. Après le 49.3 j’ai trouvé que la répression y était devenue beaucoup plus forte : on se faisait matraquer, gazer, c’était très dur. Mais ça a consolidé notre détermination.

Le Poing Levé : Peux-tu nous expliquer comment s’est déroulée ton arrestation ?

C’était pendant la manifestation du 6 avril. On était en avant de cortège avec ma compagne. C’était assez tranquille, malgré le début d’incendie qu’il y avait eu à la Rotonde ce jour-là. En marge de la manif on a rejoint des amis place d’Italie. Là-bas j’ai vu du mouvement autour d’une agence bancaire donc j’ai décidé d’aller voir un peu ce qui s’y passait. Je suis reparti très vite après une charge policière. En retrouvant mes amis, j’apprends que ma compagne s’est faite nasser devant la banque. Je l’appelle, elle est en panique. Il y a un mec qui vient de se faire ouvrir le crâne à côté d’elle, les policiers les poussaient avec leurs boucliers et les matraquaient. Je sens qu’elle est en détresse, donc je décide d’y retourner. Je fais à peine 100 mètres, quand dans un mouvement de foule, j’ai vu une personne arriver en courant vers moi. Je vois une matraque se lever, j’ai juste le temps de me retourner et je reçois un coup derrière la tête qui me fait tomber au sol. C’était un policier de la BRAV-M, qui me traîne en dehors de la manif par les cheveux.

Je me retrouve avec une dizaine d’autres manifestants interpellés. Les policiers nous insultent, nous tordent les bras et nous tirent par nos vêtements. Ils nous poussent comme si on était du bétail dans une petite ruelle. Là, un policier m’a menotté avec un serflex en me faisant des clefs de bras pour le mettre, j’avais des hématomes partout sur les mains. J’ai tenté d’établir un dialogue avec eux parce que j’ai senti que si je ne le faisais pas, ils risquaient de nous tabasser en plus des insultes. Ils n’ont pas arrêté de mégenrer Emma*, une manifestante transgenre avec qui j’avais été arrêté, et ils lui lançaient des brimades atroces. Après ça, ils nous ont emmené vers un camion, sans nous donner de motif d’interpellation ni nous dire où nous allions.

Le Poing Levé : Comment s’est passée la garde-à-vue ?

Après être arrivés au commissariat on a tour à tour vu un OPJ. Il m’a dit qu’il ne trouvait pas mon avocate dans sa base de données alors qu’une autre manifestante venait de donner son nom et il n’y avait pas eu de soucis. Mais j’ai pu appeler ma campagne, alors que toutes les autres personnes avec qui j’ai été arrêté se sont vu refuser le droit d’appeler un proche. J’ai aussi pu voir un médecin, parce que j’ai un traitement médical, alors que les autres personnes n’ont pu en voir un en coup de vent qu’à leur 23ème heure de garde à vue. Ils m’ont mis dans une cellule seul pendant 10 heures. Pour les toilettes c’était un enfer. J’ai pu uriner bien après mon interpellation, après avoir très longuement insisté. Le pire c’était pour aller à la selle. On n’avait pas de papier, il fallait utiliser un gobelet avec de l’eau pour s’essuyer, dans un environnement très sale et la porte ouverte. L’humiliation était totale. Pour demander de l’eau c’était presque impossible, il fallait insister jusqu’à ce qu’ils cèdent. J’ai encore tenté d’établir un dialogue avec les policiers, mais ils nous insultaient en permanence et nous faisaient des remarques masculinistes. Ils continuaient de mégenrer Emma, en disant : « c’est quoi ça ? », « on fait quoi avec ça du coup ? ». Ils s’arrêtaient souvent devant la cellule pour la regarder comme si c’était une bête de foire, c’était insupportable.

Le Poing Levé : Comment te sens-tu depuis cette arrestation ? Ton rapport à la police a-t-il changé ?

En vrai non. Moi je suis issu d’un milieu populaire à la base, on a toujours fréquenté des personnes politisées mais aussi des réfugiés. La police, dans ma vie, n’a jamais été une aide ou un soutien. Qui peut dire aujourd’hui, dans sa vie de tous les jours, que grâce à la police il s’en sort mieux ? Après je n’ai pas l’impression que ce sont des têtes pensantes non plus, ils sont formés pour agir comme ça.

Le Poing Levé : Vas-tu continuer à te mobiliser ?

J’ai refait plein des manifs depuis, je milite dix fois plus ! Ça donne plus envie de défendre ceux qui ne peuvent pas le faire. Je suis resté en contact avec le groupe avec lequel j’ai été mis en garde à vue. De partager des expériences avec des personnes plus touchées que moi par la violence sociale ou policière, m’a beaucoup touché. Si on est quelques-uns à pouvoir faire front commun sur tout un tas de sujets, on pourra changer la société.