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Crise en Équateur : une chaîne de TV attaquée, le président appelle à une intervention militaire

Mardi, des groupes armés ont pénétré dans les locaux d'une chaîne de télévision à Guayaquil (Equateur). Une attaque menée après l'évasion de Fito, un chef de gang, sur fond d'émeutes dans les prisons et d'affrontements entre les bandes criminelles liées au trafic de drogues et l'Etat. Ce dernier a instauré des mesures d'exception pour tenter de refermer la crise et le Président a demandé l'intervention directe de l’armée sur le territoire.

Erell Bleuen

10 janvier

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Crise en Équateur : une chaîne de TV attaquée, le président appelle à une intervention militaire

Crédits photo : La Izquierda Diario

Mardi, un groupe d’hommes armés a fait irruption sur les plateaux d’une chaîne de télévision publique, dans la ville de Guayaquil (Équateur), prenant brièvement en otage journalistes et salariés lors d’une émission en direct. Le même jour, ils ont tenté de s’introduire dans l’université de Guayaquil, qui a été évacuée. es attaques criminelles qui s’inscrivent dans une grave crise sécuritaire dans le pays, dans lequel les gangs prolifèrent et multiplient les opérations violentes sur fond d’explosion du trafic de drogues.

C’est suite à cette scène retransmise en direct que le président équatorien, Daniel Noboa, a publié un décret qui prend acte d’un « conflit armé interne » dans le pays et a ordonné aux forces armées d’intervenir « en vertu du droit humanitaire international et dans le respect des droits humains ». La veille, il déclarait l’état d’urgence face à la situation de crise que traverse le complexe carcéral, dont six prisons sont en proie à des émeutes depuis plusieurs jours.

Crise carcérale et état d’urgence

L’état d’urgence décrété lundi par le gouvernement équatorien, qui comprend l’instauration d’un couvre-feu 6 heures par jour, constitue une réponse à la crise carcérale ouverte dans le pays récemment. En effet, dimanche, José Adolfo Macías Salazar alias « Fito », chef d’un gang connu sous le nom de « Los Choneros », considéré comme l’un des plus dangereux du pays et ayant des liens avec des cartels mexicains, se serait évadé d’une prison de la province de Guayas. Dès le lendemain, l’unité pénitentiaire de l’Etat signalait que des gardiens de prison avaient été pris en otage dans cinq centres de détention de province. A ce jour, au moins dix personnes auraient été tuées suite à l’explosion des violences selon l’AFP.

C’est dans la journée de lundi, sur Instagram, que le chef d’Etat Daniel Noboa a annoncé qu’il venait de signer un décret instaurant l’état d’urgence pour soixante jours. Un texte qui comprend la restriction de la liberté de circulation et l’instauration d’un couvre-feu. En effet, l’article 7 du texte stipule que « la liberté de circulation est restreinte à partir de la publication de ce décret tous les jours de 23h à 5h du matin dans le territoire délimité par cette déclaration », et précise que « les personnes circulant pendant les heures du couvre-feu seront déféréesà l’autorité judiciaire compétente ». Le décret mentionne plusieurs exceptions au couvre-feu, telles que les services de santé publics et privés, les membres des forces de sécurité, les services d’urgence, les employés des différentes institutions gouvernementales et les corps diplomatiques accrédités dans le pays.

Il suspend également le droit à la liberté de réunion sur le territoire national et dans les prisons, ainsi que le droit à l’inviolabilité du domicile et le droit au secret de la correspondance dans le système pénitentiaire. Dans le même temps, il instaure une « zone de sécurité dans les centres de détention », ainsi que dans le « rayon d’un kilomètre autour de chaque centre » pénitentiaire, où le personnel policier et militaire est autorisé à effectuer des contrôles des véhicules et des bus.

Aussi, le décret prévoit la possibilité de « réquisitions nécessaires au maintien de l’ordre et de la sécurité sur l’ensemble du territoire national », effectuées « en cas d’extrême nécessité et dans le strict respect de la législation en vigueur ». Ces mesures visent à permettre à l’armée d’intervenir pour contrôler les prisons, et brutalement renforcer la répression dans tout le pays.

Dans ses déclarations, le président accuse les gangs de trafiquants de drogues, les tueurs à gage et le crime organisé d’être responsables de la crise carcérale qui touche le pays depuis plusieurs années, et s’est engagé à « reprendre le contrôle des prisons ». Un discours qui omet les liens étroits entretenus entre le narcotrafic et les plus hautes sphères de l’État, qui ont notamment conduit en décembre dernier à l’arrestation d’une trentaine de juges, de procureurs ou encore de policiers accusés de crime organisé. La procureure en charge de l’opération dénonçait encore récemment la prégnance du trafic de drogue dans « les fonctions sensibles de la justice », allant jusqu’à parler de « narcopolitique ».

Une situation qui résulte de la crise économique et de la corruption politique

L’administration pénitentiaire a porté plainte contre deux gardiens de prison impliqués selon elle dans l’évasion de José Adolfo Macías, alias « Fito », absent de sa cellule dimanche dernier lors d’une opération de maintien de l’ordre dans la prison où il était détenu, au centre de réhabilitation numéro 4, dans la province côtière de Guayas. Elle a également déposé d’autres plaintes « contre tous ceux qui cherchent, par le biais de menaces et d’actes terroristes, à interférer dans la bonne administration du Système national de réinsertion sociale ». Cependant, elle a déclaré que « malgré le fait que le Ministère ait justifié la demande de détention provisoire, le juge de la détention de l’unité judiciaire Cuartel Modelo (à Guayaquil) a seulement ordonné l’interdiction aux gardiens inculpés de quitter le pays et de comparaître devant le procureur de l’affaire. ».

Dans la cour de la prison régionale, où « Fito » était détenu, les détenus avaient écrit « PAPA FITO » et « FATALES GTR » avec des pierres, en référence à un autre gang. Fito avait été transféré dans une autre prison de haute sécurité à Guayaquil en septembre, suite à l’assassinat du candidat à la présidence Fernando Villavicencio.

Selon des enquêtes menées par des journaux locaux, Los Choneros comptent au moins 8 000 hommes. Depuis 2021, la violence entre les gangs de trafiquants de drogue s’est intensifiée et a provoqué la mort de près de 500 personnes dans les prisons. Dans le même temps, la violence dans les rues a également connu une hausse considérable, avec une augmentation des homicides de près de 800 %.

Une situation qui résulte de la profonde crise économique et sociale qui traverse l’Équateur, soumis aux politiques d’ajustements du FMI de plus en plus sévères et à la poursuite de la dollarisation. Ce contexte a été le terreau de la prolifération des bandes criminelles, directement liée à la détérioration des conditions économiques, qui profitent du manque d’opportunités d’études et d’emploi, en particulier chez les jeunes précaires. Des gangs qui ne pourraient pas se développer sans liens avec des secteurs de l’État, tels que l’armée, la police, les juges et le personnel politique corrompu, parfois lié à l’ancien gouvernement de Guillermo Lasso.

Daniel Noboa, fidèle représentant de la droite équatorienne

Le chef d’État Daniel Noboa a remporté les élections en décembre dernier pour un mandat allant jusqu’en mai 2025, en remplacement de l’ancien président Guillermo Lasso, qui a invoqué en mai dernier la « mort croisée », une disposition constitutionnelle qui lui a permis de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer des élections extraordinaires pour éviter la destitution. Le père de Daniel Noboa, Álvaro Noboa, est considéré comme l’homme le plus riche d’Équateur et appartient à l’élite équatorienne. Son fils a réalisé l’exploit que son père avait tenté à cinq reprises, à savoir remporter l’élection présidentielle.

Lors de sa campagne, il s’était montré déterminé à prolonger le programme néolibéral de Guillermo Lasso visant à poursuivre les accords avec le FMI et la dollarisation du pays. En parallèle, lors des présidentielles, il avait déclaré vouloir transformer les navires en prisons flottantes et militariser les prisons, les ports et les douanes. Des promesses ultra-répressives qu’il commence à concrétiser en ce début de semaine.

Entre l’instauration de l’état d’urgence et la demande d’une intervention militaire, le chef d’État équatorien vise à instaurer un état de siège sur le territoire. Des mesures bonapartistes extrêmes aux conséquences catastrophiques dont la population risque de faire les frais. Au Mexique, la militarisation des forces de sécurité s’est accompagnée d’une hausse drastique des plaintes pour atteinte aux droits humains, dont plus de 4000 ont été déposées depuis 2014. Loin d’une réponse répressive, la résolution de la crise sociale est en réalité indissociable d’une véritable amélioration des conditions de vie de la population, et exige la fin de la dollarisation et des mesures d’austérité imposées par le FMI, qui plongent les équatoriens dans la misère.


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Erell Bleuen

@Erellux

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