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La rue a parlé

Argentine : 1 million de personnes dans les rues pour défendre l’université publique contre Milei

Ce mardi 23 avril une mobilisation universitaire massive a inondé les rues de Buenos Aires et des plus grandes villes du pays, en mobilisant près de 122 universités. Avec la plus grande mobilisation ayant eu lieu dans le pays depuis l’arrivée de Milei au pouvoir, une nouvelle conjoncture politique s’ouvre en Argentine.

Julien Anchaing

24 avril

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Argentine : 1 million de personnes dans les rues pour défendre l'université publique contre Milei

Ce mardi 23 avril, la mobilisation universitaire qui a inondé les rues du pays a marqué un tournant dans la situation politique. Plus massive encore que les dernières journées de mobilisation des 24 janvier, 8 mars et 24 mars, la mobilisation universitaire d’hier a profondément mis à mal le gouvernement et signe l’irruption du mouvement étudiant sur la scène politique.

Avec autour d’un million de personnes dans la rue, la colère grondait hier contre le plan d’austérité massif mené par le président d’extrême droite Javier Milei et dicté par le FMI. Son intention de baisser drastiquement les budgets universitaires de près de 75% dans un contexte d’inflation massive a profondément fragilisé les universités ces derniers mois, qui traversaient déjà une situation dramatique.

Alors que la situation économique du pays est extrêmement dégradée, à l’image du taux de pauvreté qui a explosé depuis l’arrivé au pouvoir du dirigeant d’extrême-droite, passant de 45% à 57% de la population, et d’une hausse de l’inflation de 240% prévue en 2024, les universités du pays sont elles aussi en première ligne face à cette situation de paupérisation accélérée. Face à la hausse de 700% des prix de l’électricité provoquée par la dérégulation des prix de l’énergie voulue par Milei, certaines universités ont été contraintes de réduire à peau de chagrin leurs consommations énergétiques, à l’image de la Faculté de Médecine de Buenos Aires, dispensant des cours dans le noir une fois la nuit tombée.

Dans un pays où la majorité des étudiants travaillent, et souvent à temps plein à côté de leurs études qu’ils poursuivent lors de cours du soir, les politiques austéritaires en matière de transport et de subventions aux entreprises de service public (eau, électricité) ont poussé de nombreux étudiants à mettre fin à leur cursus. D’autres survivent difficilement à cette situation, comme le rappelle Lourdes, militante de En Clave Roja , collectif de jeunesse du Parti des Travailleurs Socialistes (PTS) : « Une de mes camarades de classe me racontait comment elle avait été contrainte d’arrêter ses études parce que le coût des transports avait explosé. A côté de son travail, elle devait payer près de 12 000 pesos de transports par mois ».

En Argentine, le salaire minimum est actuellement de 220 000 pesos, sans compter les situations de travail informel ou dissimulés, généralement bien moins rémunérées. L’impact des plans austéritaires de Milei sur la jeunesse étudiante et travailleuse est donc particulièrement brutal.

Cette situation se joue aussi dans les salles de classe. Une étudiante de médecine à l’Université de Buenos Aires, interviewée par la chaîne C5N, expliquait lors des manifestations : « Actuellement mon université n’a pas le budget suffisant pour assurer la fin du semestre. Il faut rappeler à tous ceux qui nous regardent depuis leur maison que notre université a formé les médecins qui se sont occupés de vous pendant la pandémie, qui ont sûrement aidé vos familles, vos parents, vos enfants. Cette université a formé les avocats et les médecins dont on a besoin tous les jours ».

Les attaques de Milei contre l’université publique (parmi les rares du continent à être gratuite) sont motivées par de fortes demandes du secteur privé qui y voit un marché très lucratif qui lui échappe encore et par la volonté d’attaquer un bastion du mouvement social. Les mileistes s’en prennent ainsi régulièrement, comme leurs homologues d’extrême droite à l’international, à l’ « endoctrinement idéologique » prétendument à l’œuvre dans les universités. Par-là, il faut comprendre que le gouvernement voit la tradition de lutte dans les universités argentines comme un obstacle pour son projet de faire de l’Argentine un pays centré sur l’extraction de matières premières dans l’intérêt des grands groupes économiques impérialistes et extractivistes.

En lançant une attaque aussi massive, il pourrait bien avoir réveillé la colère d’une jeunesse où les idées d’extrême droite avaient pourtant connu une percée ces dernières années.

Le mouvement étudiant en caisse de résonance de la crise historique que traverse l’Argentine

La manifestation fédérale universitaire s’est donc transformée en une véritable journée de lutte contre le gouvernement et l’ensemble de ses projets. Dans des villes comme Buenos Aires, Mar del Plata, Santiago del Estero, Cordoba ou encore Neuquèn, les mobilisations massives ont réuni des milliers d’étudiants. L’ampleur des manifestations a fait voler en éclat le protocole de la ministre de la Sécurité Patricia Bullrich qui interdit désormais en Argentine de manifester ailleurs que sur les trottoirs pour ne pas couper la circulation.

A l’Université de Buenos Aires, la mobilisation étudiante a renoué avec des traits historiques. Ainsi, des assemblées générales, des comités de base et des occupations ont été organisées dans les facultés de Sciences Sociales, de Philosophie ou de Médecine. Avec le soutien de plusieurs syndicats enseignants, la mobilisation s’est vite massifiée après des années d’absence du mouvement étudiant de la scène politique.

Le mouvement a généré une sympathie particulière au sein de la population. En effet, en Argentine, les universités publiques et gratuites sont vues comme un acquis historique par une partie très importante de la population, y compris à droite, et la promesse d’un avenir professionnel et d’aspirations intellectuelles pour un secteur des travailleurs et une grande partie des classes moyennes.

Ainsi, auprès des étudiants a pu être remarquée la présence de très nombreuses familles de travailleurs ou de classe moyennes ainsi que d’anciens étudiants qui ont obtenu leurs diplômes dans les universités argentines. La menace d’une privatisation et d’une fermeture de nombreuses facs est perçue comme un démenti brutal à leurs aspirations à de meilleures conditions de vie et un meilleur travail que leurs parents, alors que le pays est traversée par une crise économique historique.

Cette journée de mobilisation a aussi donné lieu à des rencontres entre étudiants et travailleurs, notamment de la part des syndicats combatifs qui ont animé les précédentes journées de lutte avec l’exigence aux directions syndicales du pays d’organiser un plan de bataille débouchant sur une grève générale pour mettre Milei en échec.

A Cordoba, une ville traditionnellement marquée à droite où Javier Milei a enregistré des scores massifs, l’arrivée des travailleurs du syndicat Luz Y Fuerza a résonné avec l’histoire de l’union des étudiants et des travailleurs qui, en 1969, lors du Cordobazo, avait infligé une défaite historique à la dictature de Ongania et avait conduit à sa chute. Le projet de Milei est d’ailleurs souvent comparé à celui d’Ongania. Le fait que le mouvement étudiant soit venu jouer un véritable rôle de caisse de résonnance du mal-être profond qui touche une partie conséquente de la population argentine pourrait signer un tournant politique important dans la lutte contre les projets ultra-libéraux et austéritaires du gouvernement.

Une radicalité qui pourrait émerger aux marges du péronisme ?

De nombreux sénateurs et députés argentins issus du péronisme et du radicalisme (UCR), principale force politique au sein des universités, ont pris part aux manifestations. La mobilisation a touché la quasi-intégralité de l’arc des forces politiques argentines, excepté La Libertad Avanza, le parti de Milei, et le PRO, celui de son allié Mauricio Macri.

Cette situation a notamment motivé les dirigeants de la CGT et de la CTA, les deux principales centrales syndicales du pays, à appeler à rejoindre la mobilisation (sans appeler à la grève) et à être présents dans les manifestations. Des personnalités politiques étaient également présentes comme Sergio Massa (ex-candidat aux élections présidentielles contre Javier Milei) qui, depuis son poste de ministre de l’Economie dans le précédent gouvernement, avait lui aussi attaqué à plusieurs reprises les budgets des universités publiques. Les universités se trouvent effet au croisement d’aspirations populaires importantes mais aussi d’enjeux politiques et financiers massifs. Les mêmes députés et sénateurs péronistes actuellement en négociation avec le gouvernement de Milei pour obtenir la mise en place de la réforme du travail et une potentielle nouvelle loi Omnibus sont très souvent liés à des recteurs et directeurs d’université qui ont généralement un pouvoir conséquent dans la province dans laquelle ils se trouvent.

Si Milei était parvenu, durant ces derniers mois, à se présenter comme un gouvernement avec une forte assise populaire par ses résultats électoraux, et ce malgré ses défaites successives au Parlement, la manifestation d’hier indique l’entrée massive d’un nouveau secteur combatif dans la situation politique. Cependant, le fait que la manifestation d’hier se soit terminée sans qu’aucune perspective de lutte ultérieure ne soit annoncée est une limite centrale. La présence des directions syndicales et des directions étudiantes et péronistes agit ainsi comme un frein pour la mobilisation, ces forces adoptant une posture de négociation avec Milei, avec lequel elles veulent composer en attendant de le chasser du pouvoir aux prochaines élections de… 2027 ! Tout cela implique de donner comme consigne au mouvement de masse, la patience et l’attentisme.

Au contraire, les militants du Parti des Travailleurs Socialistes au sein de leur collectif de jeunesse En Clave Roja, par la voix de leurs députés comme Myriam Bregman et Nicolas del Caño et de leur présence dans de nombreux secteurs qui subissent les attaques du gouvernement comme les travailleurs de aerolineas argentinas ont mis au centre la nécessité de ne pas cantonner la journée d’action d’hier à une journée de lutte pour la seule défense de l’université. L’extrême gauche argentine avance la perspective nécessaire d’un véritable plan de bataille d’ensemble et d’une union entre travailleurs et étudiants pour en finir avec les attaques de Milei. Alors que le président d’extrême-droite annonçait dans une allocution publique que le pays « est sur la bonne voie » et qu’il insultait la manifestation d’hier comme des « larmes de gauchistes », une partie conséquente de l’opposition péroniste et radicale sont actuellement en pleine négociation pour faire passer les prochaines réformes austéritaires souhaitées par le gouvernement.
Comme l’indique Fernando Scolnick du PTS, dans les colonnes de la Izquierda Diario :

« Un nouvel acteur, le mouvement étudiant, est apparu sur la scène politique. Sa force dans la rue ouvre de nouvelles batailles politiques en son sein. Contre l’opposition péroniste et radicale, avec la gauche révolutionnaire nous luttons pour unir les travailleurs - comme les chauffeurs - qui se battent pour leurs salaires, les assemblées de quartier et les millions de travailleurs qui s’apprêtent à se mettre en grève le 9 mai pour une journée de grève générale, contre le projet de Loi Omnibus, à l’appel de la CGT. Sans aucune confiance dans les bureaucraties syndicales et étudiantes, il est nécessaire de travailler à cette unité par la base des mouvements, en pariant sur l’auto-organisation et en franchissant chaque étape de la lutte sur le chemin de la construction de la grève générale pour renverser le pouvoir. Après l’énorme victoire nationale de mardi, les conditions pour ces tâches sont bien meilleures. Travailleurs et étudiants reprenons ensemble le chemin du Cordobazo ! »


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