Yano Lesage

C’est à coup de pneus enflammés et de citernes de lisier déversés sur les grilles de la préfecture de Saint-Lô, dans la Manche, que les producteurs de porcs ont exprimé leur ras-le-bol mercredi 19 août. Ils étaient 150 à affronter les forces de l’ordre au petit matin, vivement réprimés à coup de gaz lacrymogène et de neige carbonique. Après un été tumultueux, au cours duquel les actions des éleveurs se sont multipliés (blocages d’axes routiers et de sites touristiques comme le Mont Saint Michel, actions dans les grandes enseignes de distribution et devant les industriels de transformation agro-alimentaire, blocages des produits aux frontières avec l’Allemagne et l’Espagne), le sentiment de n’être pas écouté perdure, de même que le refus de se voir une fois de plus flouer par les promesses gouvernementales qui n’apportent que des solutions de court terme à un problème largement structurel.

1,40 euros le kilo de porc, c’est le chiffre convenu entre les professionnels de la filière et le gouvernement dans un accord conclu à la suite des mobilisations du mois dernier. Pour les plus modestes, ceux qui disposent des exploitations de taille moyenne, ce prix de vente couvre à peine les coûts de production, de fourrage et d’alimentation qui, eux, n’ont cessé d’augmenter. En Bretagne, l’une des principales régions productrices en Europe, 200 élevages seraient au bord du dépôt de bilan. En quinze ans, 10% des élevages ont disparu. 1,40 euros le kilo, c’est donc un minimum pour assurer la survie d’un secteur en détresse.

Pourtant, c’est ce prix, jugé en dehors de la réalité du marché européen, qui a poussé les deux industriels, Bigard et la Cooperl, à un retrait surprise du Marché du Porc Breton, à Plérin, la semaine dernière d’où est écoulée 15% de la production commercialisé en France. Un boycott orchestré de concert pour punir le mouvement, faire chuter les prix, et continuer à imposer les conditions des industriels de l’agro-alimentaire sur le marché.

Sans effet contraignant, dans un contexte d’approvisionnement européen, une administration des prix d’achat de la production animale est totalement illusoire. La supercherie du gouvernement, qui connaît bien les tenants et les aboutissants du marché européen, consiste uniquement à calmer la colère des éleveurs, chez qui il est largement critiqué, notamment sur sa droite, tout en tablant sur un retour « à la normale », soit à la logique implacable de la concurrence acharnée sur les prix d’achat, une fois les forces de mobilisation dispersées.

En effet, l’administration, y compris temporaire, des prix sur le marché du porc français, entraîne de facto un approvisionnement des industriels sur le marché européen, notamment espagnol et allemand. Cette méthode, pratiquée par les industriels, vise à couper court à toute velléité de contestation. Il est vrai que depuis dix ans, les importations de porc en France n’ont cessé d’augmenter : excédentaire en 2003, la balance commerciale porcine est déficitaire de 366 millions d’euros en 2014, conséquence de la concurrence acharnée que mènent la production espagnole, qui bénéficie de normes environnementales beaucoup plus souples, et allemande, ayant investi dans des équipements à forte productivité. Face à cela, les éleveurs français réclament notamment l’harmonisation des normes européennes, à la hausse, pour garantir la qualité des productions. Sans succès jusqu’à présent.

Dans ce contexte, l’introduction prochaine de la viande américaine sur le marché européen permise par l’accord commercial transatlantique (TAFTA), avec un prix inférieur de 15 à 20% à la production européenne, n’augure rien de bon. Le modèle productiviste étasunien, qui pratique, encore plus qu’en Europe, l’élevage à grand renfort d’OGM et d’hormones de croissance, est bien plus compétitif. L’ouverture du marché transatlantique présage d’une accélération de la détérioration des conditions de production et de la qualité de l’alimentation pour les consommateurs.